de Lakshmi Bories 16 juin 2012
Volontaire Points-Cœur en Allemagne (Berlin)
Anecdotes – Temps de lecture : 3 mn
Nos visites à l’hôpital se poursuivent, toujours plus déroutantes – pour moi en tout cas ! – toujours plus exigeantes. De semaine en semaine, j’ai l’impression que je n’apprends rien ; j’ai toujours un peu peur en frappant à la porte (“ Bonjour, nous venons vous rendre visite…”). Je crois que ce sera comme ça jusqu’à la dernière visite, et c’est probablement mieux ainsi. Chaque semaine, on nous donne une liste de noms, avec des numéros de chambre. Ces noms deviennent des visages que l’on apprend à aimer, que toute notre vie nous prépare à aimer, en fait.
Aujourd’hui, par exemple, j’ai appris la mort d’un monsieur que j’ai visité une fois – d’autres y étaient allés la semaine suivante. Quand j’étais arrivée dans sa chambre avec une amie, pour lui proposer notre présence, je lui avais pris la main, voyant que la conversation risquait de n’être pas très animée. Il m’avait fait remarquer que j’avais les mains froides. Et puis il s’était tu, c’était déjà trop pour lui. Ouf, j’ai pu l’aimer, au moins un peu, au moins essayer, avant qu’il ne s’en aille…
La présence de ces personnes en fin de vie est bouleversante ; j’ai rencontré là des visages que je n’oublierai jamais, même si je ne connais de leur voix qu’un râle, qu’un souffle. Ces rencontres sont aussi bien une gifle qu’un cadeau. Avec elles, on ne risque pas de manquer d’attention, de se mettre à bâiller… C’est difficile de parler de ces quelques amis qui ne sont qu’une porte grande ouverte, parfois bien malgré eux – mes mots sont inévitablement restrictifs. Tant pis, je vous raconte quand même un gros coup de coeur…
C’était il y a quelques semaines, déjà ; Jean-Marie nous a dit que ce monsieur, amputé des deux jambes, “suicidé à l’alcool”, que j’avais visité la semaine précédente, allait de plus en plus mal. Les médecins lui donnaient quelques heures à vivre. J’avais pourtant échangé quelques mots avec lui la dernière fois. Je suis donc arrivée dans sa chambre un peu en terrain connu. Il faisait très chaud et très sombre. Je l’ai à peine reconnu ; le visage émacié, la bouche comme une plaie entrouverte. Ses yeux roulaient, il râlait, ne réagissait à aucune parole. Nous sommes restées à prier en silence en lui tenant la main. Ces quelques minutes sont un vrai mystère – qui sait ce qui est donné, ce qui est reçu… ? Il faut bien finir par partir. Je lui presse une dernière fois la main et lui murmure : “Nous prions pour vous”. Les yeux mi-clos, dans un souffle, il me répond distinctement : “Je sais”. Il est mort alors que nous étions à l’adoration, quelques heures plus tard. Mais “il savait”. Je suis la première surprise de découvrir la joie dense, profonde, très intérieure que l’on éprouve à s’asseoir auprès de personnes comme lui. L’émotion presque enfantine lorsque l’un de ces malades accepte qu’on lui prenne la main. Ce n’est pourtant pas bien drôle. On m’en avait parlé, j’en avais le pressentiment, mais c’est quelque chose que d’en faire l’expérience, vraiment. Que de sourire dans le vide dans le métro, en repensant au sourire de l’un d’eux. On ne sait vraiment pas ce qu’on leur apporte ; d’une certaine façon, ce n’est pas à nous de décider. On a juste à frapper à la porte.
Emouvant
Lackshmie? La filleule de Berni?