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Conseil européen des 28 et 29 juin 2012 : éclairages

Les 28 et 29 juin derniers, un Conseil européen a réuni à Bruxelles les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne. Il a principalement porté sur la crise financière de la zone euro. Pierre Berthonnaud, consultant dans le secteur bancaire, a répondu à nos questions.


CC BY-NC-ND TPCOM

Les facteurs de crise économique et politique semblent toujours de plus en plus nombreux en Europe. Quel est selon vous, aujourd’hui, l’élément central de cette crise ?

L’élément central de cette crise est insaisissable… c’est la perte de confiance entre les agents économiques… et cela remonte à la crise financière de 2007, qui a eu un effet boule de neige ! En effet, souvenons-nous :

La crise des subprimes de 2007-2008 s’est propagée dans le monde via les marchés financiers, puis, nous avons assisté à une crise bancaire principalement due aux actifs toxiques détenus dans le bilan des banques. Le point d’orgue de cette crise bancaire a été la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008. A partir de là, le « politique », au travers du G20, a défini deux mots d’ordres :
« Il faut sauver le système bancaire » afin de limiter les conséquences économiques de la crise financière,
« Il faut mieux le réguler ».

Le premier obstacle à passer, a été celui de la liquidité : les banques ne se faisaient plus confiance, ne se prêtaient plus entre elles au jour le jour sur le marché interbancaire. Cela a nécessité des interventions extraordinaires – hors de leur mandat initial – des banques centrales américaine (FED) et européenne (BCE).
Second défi : éviter le « credit crunch », soit l’arrêt du financement de l’économie (entreprises, consommation des ménages) via les crédits bancaires.

Néanmoins, en dépit des mesures et des engagements, la crise de confiance s’est généralisée, la contagion vers l’économie réelle a bien eu lieu. A titre d’exemple, si l’on prend les chiffres du revenu national brut par habitant (indicateur de richesse) en 2012, base 100 en 2007, les résultats se passent de commentaires :
• Zone euro : 97,1
• Exception allemande : 103,6
• France : 98,4
• Espagne : 93
• Italie : 91
• Grèce : 82,4

Ce ralentissement de l’économie a des impacts directs sur les rentrées fiscales et l’envol mécanique des dépenses sociales, ce qui conduit au creusement des déficits et à l’explosion de la dette des états. Certains, au sein de la zone Euro, sont plus touchés que d’autres : les PIIGS (Portugal, Irland, Italy, Greece, Spain). Si le cas de la Grèce est un peu à part – la crise économique se double d’une falsification des comptes de l’Etat qui remonte à l’entrée dans l’Euro de ce pays –, les autres voient leur modèle économique de croissance voler en éclat. Citons l’exemple de l’Espagne qui avait basé une bonne partie de sa croissance, ces dernières années, sur le secteur de l’immobilier.

Ainsi, à chaque fois que ces pays vont chercher à se refinancer sur les marchés obligataires, les agents économiques estimant ces prêts de plus en plus risqués, demandent des primes de risque plus élevées… ce qui renchérit le coût financier de l’emprunt et augmente mécaniquement le poids de la dette. Une question cruciale se pose : à partir de quel moment cette dynamique devient insoutenable ?

Deux économistes américains, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, dans leur histoire des crises financières, ont identifié un seuil de 90% de poids de la dette par rapport au Produit Intérieur Brut, au-delà duquel la croissance est mécaniquement réduite et les politiques économiques deviennent inefficaces. Ainsi, un des objectifs principaux de nos gouvernants est d’envoyer un message fort aux marchés financiers pour réduire les tensions obligataires. Ce message intègre ce chiffre « magique » de 90%. Nous avons pu notamment le voir au cours de la campagne présidentielle française, Nicolas Sarkozy et François Hollande présentant tous deux des objectifs de maîtrise de la dette en-dessous de ce seuil.

Enfin, pour revenir à la question initiale – l’élément central de cette crise, en adoptant le prisme de la zone euro –, comment ne pas repenser à la genèse du projet d’union monétaire : une union réalisée sans union budgétaire et fiscale, avec la création d’une Banque Centrale dont le seul mandat est de juguler l’inflation.
Pourquoi revenir à cette question ? Tout simplement, parce que la politique monétaire est un des leviers de la politique économique, et pour la zone Euro, nous avons une politique monétaire pour douze économies aux fondamentaux différents. Pour pallier à l’absence d’accord sur une union budgétaire et fiscale, les Européens avaient défini les critères de convergence de Maastricht, basés notamment sur la situation des finances publiques :
• Déficit public annuel (Etat + Sécurité Sociale) inférieur à 3% du PIB,
• Dette publique (ensemble des emprunts contractés par l’Etat et l’ensemble des administrations publiques, dont les organismes de Sécurité Sociale) inférieure à 60% du PIB.
Malheureusement, depuis le début de la crise, le respect de ces critères a volé en éclat et la politique monétaire menée par la BCE ne peut satisfaire aux besoins d’économies aussi différentes que celles des PIIGS ou de pays plus vertueux comme l’Allemagne et l’Autriche.

2. Pouvez-vous nous expliquer la position de la France au Conseil européen des 28 et 29 juin derniers ?

Le Conseil européen des 28 et 29 juin avait comme objectif prioritaire de faire avancer le projet d’une union bancaire des pays membres de la zone Euro. Ainsi, « la Commission présentera, avant la fin de l'année 2012, de nouvelles propositions législatives relatives à un système de surveillance bancaire unique concernant l'ensemble des banques, un système européen de garantie des dépôts et un système européen de résolution des défaillances bancaires », stipule le Conseil dans son projet de conclusions. Si le sujet peut paraître technique, il est néanmoins essentiel pour répondre aux derniers appels à l’aide de l’Espagne et de Chypre afin de sauver leurs banques.

Si la France avait une position très consensuelle sur ce premier point, elle a en revanche bataillé jusqu’au mini-sommet de Rome face à l’Allemagne pour imposer le pacte pour la croissance et l’emploi, pacte finalement accepté. Ce sujet de la croissance, au cœur de la présidentielle française, est dicté par l’observation que la rigueur seule, appliquée de manière drastique, conduit à la récession et au cycle pervers : absence de croissance, absence de rentrée fiscale, dérapage des prestations sociales, augmentation du déficit public… Ainsi, les observateurs ont noté que, malgré les effets de politique politicienne, la vision de la crise des deux pays piliers de la zone Euro se rapproche. Affaires à suivre…

Pour aller plus loin :
• La presse économique :
   – La Tribune – Hebdo,
   – Le numéro de juin de l’Expansion avec un dossier consacré aux scenarios économiques probables visant à équilibrer le budget français,
   – Le numéro de juin d’Alternative Economique sur l’économie européenne.

• Deux blogs :
   – Le blog d’Olivier Berruyer sur les crises actuelles, qui utilise de nombreux graphiques pour expliquer son raisonnement et fait référence à d’intéressants articles de personnalités de tous horizons,
   – Le blog de Paul Jorion, diplômé en sociologie et en anthropologie sociale, spécialiste de la crise des subprimes.

 

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1 Commentaire

  1. David

    Merci pour cet article qui propose une analyse claire et intéressante de la crise actuelle.
    Et qui laisse percer une question qu'il est difficile d'envisager de manière optimiste : les pays européens sont-ils prêts à se lancer dans une union budgétaire et fiscale, et à accepter les abandons que cela représente en termes de souveraineté ?
    Si  ce n'est pas le cas, les mécanismes de régulation comme le système de surveillance bancaire unique qui se mettent en place suffiront-ils pour que l'Europe tienne bon dans sa forme actuelle ?
    Cela me semble peu probable si les différents états-membres ne se mettent pas à vivre à la hauteur de leurs moyens, et, en France, nous en sommes encore loin, quelque soit le parti au pouvoir…
    Mais peut-être que cette alternative se présentera : se mettre à vivre à la hauteur de nos moyens ou quitter l'Europe, et qu'elle nous permettra de faire le pas que peu d'hommes politiques oseraient présenter à leur électorat et assumer de leur propre initiative : mettre en place des réformes structurelles suffisamment significatives pour ajuster notre train de vie à nos ressources…
    Affaire à suivre, là aussi
    David

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