De Anne-Laure Perret.
Alors que s’achève le « Tour de France », course populaire et grand-messe du cyclisme, on peut bien sûr se questionner sur cette passion du vélo qui gagne les routes de France et pas mal de nos salons pendant trois semaines. Ce tour 2012, que les spécialistes qualifient « d’ennuyeux » car dominé par une équipe « qui a verrouillé la course », éclaboussé par une énième affaire de dopage, nous a, quoi qu’on en dise, encore donné l’occasion d’admirer un sport qui met en valeur les performances individuelles tout en restant profondément un sport d’équipe.
Sky : de la confiance, du travail… et de l’argent
L’équipe britannique avait annoncé son objectif en 2009 : porter pour la première fois un sujet britannique à la victoire sur le tour « dans les cinq ans ». Pour atteindre cet objectif, le manager s’est appuyé en premier lieu sur un budget colossal, celui de la télé par satellite BSkyB (investissement de 38 millions d’euros sur 4 ans !) et sur un savoir-faire : celui du travail intensif qui a fait briller le cyclisme sur piste britannique (pour rappel : 7 médailles olympiques sur 10 aux J.O. de Pékin en 2010). Mais le cyclisme sur route c’est autre chose : seuls deux coureurs britanniques, au moment de la genèse de l’équipe en 2008 avaient réussi à finir le tour ! Pourtant aujourd’hui, c’est bien deux britanniques aux deux premières places et Bradley Wiggins, avec ses rouflaquettes, qui a ramené le maillot jaune à Paris. Ce dernier, triple médaillé d’or en poursuite, a fini 4e du tour en 2009. Malgré un tour moyen en 2010 (il finira 24e) et une fracture de la clavicule en 2011, le team Sky ne désarme pas, continue son recrutement et un travail militaire qui nous amène à cette domination 2012.
Bradley Wiggins – CC BY-NC-SA Brendan A Ryan
Les méthodes de travail de la Sky ne font pas rêver, c’est « une autre vie » comme le reconnait Bradley Wiggins lui-même… Le calcul et la stratégie, même s'ils sont le fruit d’un travail louable et d’une certaine intelligence sportive, ne passionnent pas les milliers de gens au bord de la route. Il y a donc autre chose… Peut-être faut-il aller à la rencontre des figures qui « émergent » du peloton par des attitudes porteuses de valeurs qui nous font aimer le sport ?
Un coureur attire particulièrement notre attention dans cette équipe Sky : c’est Christopher Froome. Né au Kenya avec un passeport anglais, il est le second derrière le leader désigné. Il paraît pourtant plus fort que son leader. Cependant, en gentleman britannique, Froome se comporte en coéquipier modèle. Même s’il tient à montrer sa force, au final, il reste derrière. Dans le journal l’Equipe, Froome déclare : « Je sais que je serais capable de gagner ce Tour, pas chez Sky. Nous avons défini une stratégie autour de Wiggins et tout le monde la respecte. » Puis : « Je ne peux vous mentir, c'est difficile, vraiment, mais c'est mon métier. » Peut-être que son attitude n’est pas totalement gratuite, peut-être n’est-ce pas très palpitant pour la course, mais il aura été loyal jusqu’au bout.
Du « panache »
A l’antipode de la sagesse anglaise, le plus jeune coureur français s’appelle Thibaut Pinot. Sans complexe, il s’est fait remarquer en gagnant à Porrentruy (8e étape) en ignorant les directives de son directeur sportif, Marc Madiot. Ses coéquipiers (dans Le Parisien, 21 juillet 2012) mettent en avant « l’inconscience de sa jeunesse », son énergie, sa différence, sa fraîcheur ou son caractère obstiné. Ce coureur atypique finit dans le top 10 du Tour pour sa première participation. Le « super mec qui aime les choses simples » devient la coqueluche des français et des médias. Comme un besoin d’audace ?
Un autre coureur français très populaire : Thomas Voeckler. Il recueille une belle moisson sur ce Tour de France 2012 : deux victoires d'étape et le maillot de meilleur grimpeur. Que représente ce maillot à pois pour lui ? « Une valeur inestimable et un maillot qui correspond bien à mon idée du vélo : l'offensive, le panache. Toujours être tourné vers l'attaque. » Déjà brave en 2009, où il avait gardé le maillot jaune pendant plusieurs jours, Thomas Voeckler est populaire parce qu’il est accessible. A la différence de Lance Amstrong qui avait un côté « machine à gagner », Thomas Voeckler ressemble un peu au gendre idéal : sympa, combatif, humain… On a l’impression que, ce maillot, il est allé le chercher avec les dents et, en temps de crise, on a bien besoin de héros.
Thomas Voeckler – CC BY-NC-ND joménager
Dans les deux cas, ce sont les exploits qui mettent les coureurs dans la lumière. Sur ce Tour, il y en a aussi qui se sont fait remarquer pour d’autres choix…
La grande classe
Le doyen du Tour, l’Allemand Jens Voigt, a 40 ans. Avec une belle carrière derrière lui, faire cette course n’était pas un besoin, mais bien une preuve d’amour pour son sport. Equipier modèle, il sera brave jusqu’au bout en étant un des rares de son équipe à s’exprimer sur le départ de son leader Franck Schlek (après un contrôle anti-dopage positif). Il aurait réagir avec colère mais il déclare « plus que le leader (de l'équipe), c'est un ami ». Pour son dernier tour, il finit 52e, avec le maillot de la fidélité.
Le suisse Fabian Cancellara n’a pas pris le départ le 12 juillet. Il avait gagné le prologue et passé sept jours en jaune mais il est rentré chez lui, à Berne, afin d'accompagner sa femme prête à accoucher. Il déclare : « Je ne suis pas seulement un cycliste, je suis aussi un mari et un père, et je vais bientôt avoir un autre enfant. Ce "trophée" est plus important que n'importe quelle victoire d'étape ou médaille olympique. » De quoi faire pleurer la ménagère de moins de 50 ans…
Chaque soir, l'équipe Saur-Sojasun publie un communiqué où s'exprime Jérôme Coppel. Malade à partir de la treizième étape (il y en a 20 en tout) le coureur fait preuve d’un courage qui frôle le masochisme. A la seizième étape, il écrit : « Je pense que cette étape entre sans problème dans le Top 5 de mes pires journées sur un vélo. Quand c'est long et que ça roule comme ça, il ne faut pas être malade. Si ça n'était pas le Tour, je ne serais plus là. Je serai très heureux d'être à Paris, mais en fait, je n'ai qu'une envie, c'est d'être chez moi et de laisser le vélo au garage ! ». Considéré comme une des meilleures chances françaises, il restera en 2012 un champion… de persévérance.
La passion pour le Tour de France, malgré les scandales, peut s’expliquer par bien des raisons. La diversité de nationalités, de cultures, de tempéraments des coureurs au départ peut permettre à chacun de s'y reconnaître. Ainsi, on se passionne pour leurs exploits comme pour leurs défaillances, en occultant parfois la possibilité du faux et de la triche. Encore une preuve que ce n’est pas la force qui suscite l’admiration mais quelque chose de plus subtil : l’humanité.
Comme toujours très bonne analyse tout à fait juste et pleine d' humanité. Je ne te connaissais pas cet intérêt pour le tour de France, mais bravo!
Personnellement, j'en étais resté aux histoires de dopages, mais l'intéret qu'il suscite à l'étranger, est une belle occasion de redécouvrir la beauté de la France!