De Pierre-Marie Tiberghien.
Le gouvernement a fait un pas historique en ouvrant ses portes aux chaînes de supermarchés, ce qui provoque une vague d’indignation et de colère et met en péril la coalition au pouvoir. Décryptage.
Inde © Jérôme Helliet
Pour qui connaît les bazars surpeuplés de Bombay ou de Chennai, il était saisissant de voir ces ruelles complètement vides et les stores en fer rester fermés durant une journée de grève. Cette mobilisation révèle l’inquiétude face aux nouvelles mesures décrétées par le gouvernement de Manmohan Singh. En effet mi septembre, le premier ministre jusqu’ici silencieux et embarrassé par les scandales touchant sa majorité, a repris « le chemin des réformes » comme le titraient la plupart des journaux. Le gouvernement a pris plusieurs mesures impopulaires comme l’augmentation du prix du diesel – jusque là hautement subventionné – ou la restriction du nombre de bombonnes de gaz allouées par famille, mais surtout, une libéralisation longtemps attendue : la permission pour des investisseurs ou groupes étrangers d’investir dans le domaine prometteur de la vente au détail en détenant la majorité du capital d’un magasin[1]. Cette décision ouvre la porte du marché indien aux grandes chaînes Carrefour, Wallmart et autres Tesco qui sont depuis plusieurs années « sur les starting blocks » tant le marché indien est prometteur.
Cette mesure n’est pas seulement symbolique. La croissance de l’Inde depuis les années 90 s’est basée sur une l’ouverture économique qui a permis l’arrivée massive de capitaux étrangers.
Mais cette nouvelle mesure du Professeur Singh arrive dans un contexte difficile. La croissance économique est au faible, le gouvernement est paralysé par divisions et scandales, le pays est miné par la corruption. La crise a aussi sa dimension sociale : tensions communautaires dans le Nord-Est du pays, tentation identitaire très forte (le parti Nationaliste hindou, le BJP est la principale formation d’opposition et risque de revenir au pouvoir dans 18 mois lors des prochaines élections) et montée en puissance des régionalismes (ainsi les partis régionaux se développent).
Mr Singh semble convaincu que la solution réside dans l’ouverture de l’économie. Cela n’est sans doute pas l’avis des foules de petits commerçants dont les échoppes minuscules quadrillent toutes les villes indiennes. Il y a de quoi être inquiet en effet devant la puissance d’un Carrefour qui saura proposer des gammes de produits variées et de qualité dans un lieu accessible avec parking pour les voitures toujours plus nombreuses. On peut sans doute dire qu’il y a la place pour tous tant le marché est vaste. On peut aussi avancer que la présence de ces grands groupes améliorera la distribution et la qualité des produits. Somme toute, une saine concurrence peut être bénéfique ! Cependant, l’expérience occidentale peut faire craindre qu’à plus longue échéance des effets pervers apparaissent. Combien de temps les petits commerçants qui vivotent dans les ruelles surpeuplées résisteront aux supermarchés surpuissants ? Or, ces petits commerçants représentent tout un tissu économique et social que beaucoup en Europe regrettent d’avoir perdu.
Cela pose plus profondément la question du modèle de développement que l’Inde doit suivre. De ces années de croissance intense, une classe moyenne ou riche est née, avide de consommation.
[1] il faut en effet s’allier avec un partenaire indien pour investir en Inde mais jusqu’ici le partenaire étranger ne pouvait posséder qu’un petit pourcentage des parts dans ce domaine).
Photo en page d'accueil : Inde © Jérôme Helliet
les indiens vont pouvoir gouter à la joie des inventaires…!