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Le 24 novembre 1997 s’est tue « la dame en noir »  et avec elle, c'est toute une période de la chanson française qui s'achève. Avec les Brassens, Brel, Piaf et autre Ferré, Barbara symbolise cette génération issue du cabaret. Interview de Stéphane Mariotti. 

Stéphane Mariotti, d’où vient votre passion pour Barbara ?

J’avais 7 ans lorsque, pour la première fois, j’ai écouté la chanson « Nantes » qui évoque la mort du père de Barbara. Mes parents venaient de divorcer, c'était comme si j’avais perdu mon père. Depuis, Barbara ne m’a jamais quitté. Toute chanson de Barbara a une histoire, sa propre histoire et qui peut aussi être notre histoire. Barbara n’avait pas besoin de donner des interviews, il suffisait d’écouter cette femme pour comprendre son humanité, comprendre tout de sa vie, car elle avait cette impudeur de venir à nous, son public, nue dans tous ces textes. Tout est vrai dans ses chansons, jusqu’aux lieux, aux dates, aux noms.

Pouvez-vous parler d’un trait caractéristique de la vie de Barbara ?

Barbara, de son vrai nom Monique Serf, naît le 9 juin 1930 près du square des Batignolles à Paris, de père alsacien et de mère juive ukrainienne (ex-URSS). Elle a connu la souffrance dès son enfance à cause de blessures familiales éprouvantes, et cela au cœur de la 2nde guerre mondiale, où elle a dû se cacher des allemands. Et pourtant, elle ne s’est jamais fermée ou durcie. Elle a toujours su pardonner.
Sa chanson « Göttingen » est un véritable modèle de pardon. Elle avait le désir de rejoindre l’autre et ne pas en rester à ce qui divise, à ce qui crée la solitude, à la haine, elle voulait tisser des ponts, redonner une chance. En 1964, lorsque  le directeur du théâtre de Göttingen l’invite à chanter en terre allemande, Barbara, au début, refuse. Mais devant son insistance, elle finit par accepter. Les obstacles ne manquent pas : Barbara ne veut pas jouer sur le piano droit qui est devant elle, et qui, par surcroît, est désaccordé. Malgré la grève de transporteurs de piano ce jour-là, des étudiants se proposent de dégoter un Stanley qu’ils acheminent, eux-mêmes, sur la scène de Göttingen. Barbara reste une semaine, saisie par l’enthousiasme et l’accueil qu’elle y rencontre : le dernier après-midi, dans un square, elle écrit cette chanson juste avant le dernier concert, en français et en allemand, pour ce public qu’elle avait tant hésité à rencontrer. Il s’agit là d’un véritable hommage à la réconciliation, à l’amour et au pardon.
 

La chanson « Nantes » est aussi bouleversante, vu la relation douloureuse qu’elle a eue avec son père. Elle a 19 ans lorsqu’un matin, son père part acheter des cigarettes et ne revient plus à la maison. Dix ans plus tard, elle reçoit un jour un télégramme : « votre père est mourant à Nantes ». Elle part à Nantes et retrouve son père qui vient de mourir. Elle en écrit une chanson. D’ailleurs, c'est cette chanson qui la fera passer de la chanteuse de minuit à l’Ecluse au rang de star. Cette chanson a évolué sur quarante ans avec un seul mot – en tant qu’auto-compositeur-interprète, elle se permettait cela. A la fin de la chanson, la première version dit : « je veux que, tranquille, il repose » en parlant de son père. Dans les années 70, chemin faisant, elle écrit « je crois que, tranquille, il repose ». Enfin, dans les années 90, elle chante « je sais que, tranquille, il repose » : elle savait qu’elle avait fait le chemin pour lui pardonner.
 

 

Qu’est-ce qui lui a permis de surmonter la souffrance ?

Barbara ne s’est jamais laissé écraser par la souffrance mais a toujours voulu répondre par la délicatesse et la tendresse, par la beauté et par l’amour, par l’ouverture et l’attention portée aux autres. Dans ces « mémoires interrompus », elle écrit : « J’ai beaucoup donné d’objets – de petite ou grande valeur, peu importe – à des êtres que je croisais. Je ne les ai jamais regrettés. Il y a tant de plaisir à donner, à lire la joie et l’étonnement dans le regard de l’autre. Je ne crois pas que le manque soit toujours une nécessité, mais je crois qu’il est important d’avoir manqué, eu froid, faim, mal, car cela permet de mieux reconnaître un jour celui qui souffre, de mieux lui venir en aide. »
Elle était une femme d’amour mais aussi de révolte. Elle pouvait être très en colère contre l’injustice, contre la faim, contre la maladie. On retrouve ce trait marquant de Barbara dans sa chanson « Perlimpinpin ». Et dans cette chanson, se révèlent toute son humanité, sa bonté, sa générosité et son amour de l’autre. C'est pour cela que cette femme me touche tant.

PERLIMPINPIN :
 

 

« Mais pour rien, mais pour presque rien,
Pour être avec vous et c'est bien !
Et pour une rose entr'ouverte,
Et pour une respiration,
Et pour un souffle d'abandon,
Et pour ce jardin qui frissonne !
Rien avoir, mais passionnément,
Ne rien se dire éperdument,
Mais tout donner avec ivresse

Vivre
Avec tendresse,
Vivre
Et donner
Avec ivresse ! »

Qu’est-ce que Barbara a éveillé dans le cœur de ceux qui ont été saisis par sa vie, par la passion de son chant ?

Barbara était autodidacte, elle n’était pas une chanteuse intellectuelle, elle chantait avec son cœur. L’intensité de sa voix, la profondeur de son chant suscitaient chez toutes les personnes qui l’ont écoutées et aimées une grande nostalgie de l’infini, de la beauté. Elle se nourrissait de toutes ces amitiés, de cette attention aux autres pour, ensuite, coucher sur le papier les paroles de ses chansons et les partager avec tous, sur scène. C'est comme cela qu’a jailli « Ma plus belle histoire d’amour » à la fin de l’année 1966. C'était la première fois que Barbara se levait de son piano, derrière lequel elle s’était toujours cachée, pour clamer à son public : « ma plus belle histoire d’amour, c'est vous ! »
 

 

 « J’aime les tournées de théâtre en théâtre, de ville en ville. J’aimais rouler la nuit, traverser les villes, me laisser aller à rêvasser sur la vie des habitants assoupis, à imaginer leurs bonheurs, leurs malheurs, leur quotidien. J’avais l’impression de les veiller, l’espace de ma traversée. (« mémoires interrompus », extrait)
 

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