Bruno Montariol est chargé de projet de développement pour l’Union Européenne. Il nous livre son regard sur la situation de l’aide européenne en Haïti et au Liban.
La famille Montariol
Bruno, quel a été ton parcours ? Comment es-tu entré dans le secteur du développement ?
J’ai 47 ans. A l’âge de 19 ans j’étais très curieux et je suis parti en Inde. J’ai alors décidé de faire des études dans le domaine du développement. J’ai travaillé d’abord dans des ONG aux Philippines puis au Bénin où j’ai rencontré ma femme.
Puis, je suis parti, en famille, comme co-directeur d’une ONG française en Haïti. C’est là que l’Union Européenne m’a engagé comme chargé de programme. En général nous faisons des missions de 4 ou 5 ans : pour nous d’abord en Haïti où nous avons passé, en tout, 7 années merveilleuses et dramatiques à la fois, puis au Liban.
Au printemps dernier nous avons décidé de prendre un congé sabbatique et de partir en voyage en Asie avec nos 5 enfants pendant une année avec 3 objectifs : découvrir les autres religions (l’Asie c’est le continent des religions !), découvrir des sociétés où l’Eglise Catholique est en minorité, et puis rencontrer différents projets de développement.
Vous êtes depuis 5 ans au Liban : comment se passe votre mission ?
Travailler au Liban c’est très intéressant au niveau culturel. Les problèmes sont internes et politiques, avec souvent des ingérences des puissances régionales. Actuellement, le Liban subit l’instabilité régionale, et on y retrouve aussi la fracture entre chiites et sunnites. J’interviens sur des dossiers de développement local et d’appui aux autorités locales. L’année dernière, j’ai eu aussi la chance d’être en charge des projets culturels. C’est passionnant ! La « scène » libanaise est tellement riche et plurielle. C’est un pays où dix-huit communautés religieuses sont représentées et actives. Elles vivent pacifiquement ensemble, avec cependant encore des séquelles de la guerre civile. Il y a une effervescence extraordinaire. Beyrouth c’est une ville où on ne se couche jamais !
Vous travaillez aussi avec les Palestiniens ?
En 2007, Nahr al-Bared, le plus grand camp palestinien du Liban (30 000 habitants) a été investi par un groupe salafiste. Au cours de violents combats qui ont duré près de 5 mois, le camp a été presque totalement détruit et l’Armée libanaise en a finalement repris le contrôle. Là, j’ai eu la possibilité de travailler à la reconstruction du camp avec ces populations qui sont un peu les « intouchables » du Moyen Orient. Impliqués dans la guerre civile qui a duré plus de 15 ans, l’Etat Libanais ne leur accorde pas le statut de réfugié. Ils ne bénéficient donc pas des droits sociaux et civiques dans ce pays. Ils représentent pourtant 8 à 10% de la population du Liban. La question du « droit au retour » est tellement incertaine et conflictuelle que leur espoir de revenir en Palestine s’amenuise.
J’ai travaillé particulièrement avec une centaine de familles, qui en étaient à leur 2ème ou 3ème exil (1949, Sabra ; Chatila en 1982 et enfin la destruction de ce camp). La reconstruction de ce camp a bien avancé. L’Union Européenne s’est fortement mobilisée. La reconstruction totale de ce camp, programmée par les autorités libanaises, aura besoin d’argent frais, tout particulièrement des pays frères arabes.
La situation des Palestiniens diffère d’un pays à l’autre. La Jordanie en compte un grand nombre – 50% de sa population. La Syrie en accueille 500.000, dans neuf camps.
Les palestiniens sont « pris en charge » par une structure des Nations Unies, l’UNWRA qui est financée, en majorité, par l’Occident. Les Palestiniens ont une grande gratitude envers l’Europe qui est leur premier bailleur de fonds. Mais, il doit être terrible de vivre, en permanence, une situation de grande dépendance, sans grand espoir de retour.
Quelle espérance voyez-vous pour un pays comme Haïti ?
C’est une question un peu difficile car les difficultés sont innombrables et on est confronté à une capacité de résilience incroyable. La terre haïtienne, tellement déboisée, a des difficultés à nourrir sa population de 8 millions. Dès qu’il y a un cyclone toute la production est perdue ou endommagée. Dans les années 80 et 90, pour des questions de mauvaise gouvernance et d’instabilité politique, Haïti a raté le tournant du développement. Haïti aurait pu devenir un « atelier » des Etats-Unis, pour des produits semi-manufacturés, comme l’est la République Dominicaine voisine. Il faut se rappeler qu’Haïti n’est qu’à 1 h d’avion de Miami, premier marché du monde !
Il y a une instabilité politique chronique, parfois organisée. Haïti est, en effet, à mi-chemin entre la Colombie et la Floride : entre les producteurs de drogue et les consommateurs.
C’est un pays qui n’a pas un Etat fort. Seulement 10.000 policiers pour tout le pays, et souvent sous-équipés ! L’Enseignement public ne représente que 15% de l’offre – le reste est privé, souvent confessionnel. Le peu de structure étatique existante n’a pas résisté au tremblement de terre. Imagine, un tremblement de terre qui touche la capitale et la seule force industrielle du pays : 19 ministères sur 24 ont été détruits ou fortement endommagés. Le palais présidentiel est encore par terre !
La communauté internationale s’est fortement mobilisée mais la reprise économique et le développement est encore très fragile.
L’aide à Haïti est aussi très sensible. Haïti est le premier pays qui a obtenu son indépendance, en 1804 ; la première république noire. Il a été un modèle pour d’autres pays et aujourd’hui c’est le pays le plus pauvre de cet hémisphère et de ce continent ! La situation pour les Haïtiens est terriblement douloureuse. Leur histoire est tragique. Il est important que toute intervention, souvent perçue par les Haïtiens comme de l’ingérence, intègre cette histoire complexe.
Après le départ d’Aristide en 2004, la communauté internationale s’est mobilisée pour la reconstruction. Quatre institutions – Banque Mondiale, Banque Interaméricaine du Développement, Nations Unies et Union Européenne – étaient les pilotes, sous la supervision du Gouvernement intérimaire, d’un processus de définition des besoins et des projets prioritaires. Cet exercice, appelé le CCI – Cadre de Coopération Intérimaire – a mobilisé 250 experts du monde entier pendant près de trois mois. Un cycle de conférences internationales de bailleurs de fonds s’est déroulé dans les pays amis d’Haïti. Plus d’un milliard de dollars a été mobilisé mais nous sommes arrivés à un constat : la capacité d’absorption du pays est limitée. Haïti ne peut absorber le financement disponible par manque de cadres. Il faut donc construire une nouvelle classe moyenne et cela est très difficile car une fois que les personnes sont formées, elles quittent le pays, pour parfois devenir chauffeurs de taxi aux USA. Elles contribuent cependant activement avec l’argent renvoyé dans les foyers. En effet, l’argent de la diaspora, qui atteint près de 2 milliards de USD par an, sert de sécurité sociale et permet au pays de ne pas exploser.
Enfin, il est pratiquement impossible, pour un étranger, d’investir en Haïti à cause d’un code des investissements très restrictif. Le pays souffre donc d’une difficulté à attirer les investisseurs malgré sa position géographique favorable.
Pour le moment, la recette n’a pas encore été durablement trouvée. Il faut réinventer, pour ce pays, un autre-développement social et humain qui capitalise sur les qualités humaines et renforce un Etat souvent défaillant. Cela passe nécessairement par une plus grande lisibilité de l’aide externe, respectueuse de ce contexte compliqué et aussi par une meilleure gouvernance nationale.
Le peuple haïtien, par son courage, mérite le meilleur.
Quelle est la place de l’Eglise dans le développement ?
Partout dans le monde, les structures d’Eglise sont souvent les plus organisées, les plus loyales, les plus respectueuses d’un « développement intégral » de l’homme et de la culture comme disait Jean-Paul II. Il y a une vision de l’homme, une anthropologie chrétienne qui est unique et qui à mon avis est universelle : elle peut s’adapter partout avec un processus d’inculturation.
Avec mon ONG et ensuite avec l’UE, j’ai eu la chance de travailler avec des structures d’Eglise dans les domaines sociaux mais aussi des droits de l’homme. L’UE ne finance pas des institutions, mais des projets. Les projets mis en œuvre par des structures confessionnelles et tout particulièrement catholiques, garantissent une pérennité. C’est une assurance bien précieuse pour un acteur de développement ou pour un bailleur.
Il me semble que Points-Cœur conjugue deux atouts forts : la permanence dans l’engagement auprès des plus pauvres et aussi la place laissée à la prière. Cette prière porte votre action et lui donne tout son sens et son relief.
En effet, dans le domaine du développement, on oublie parfois la personne. Il y a une forme de stakhanovisme dans l’action de développement qui se veut efficace avec un retour rapide sur investissement, les yeux rivés sur une foule d’indicateurs de performance. Mais il faut reconnaitre qu’on oublie parfois l’essentiel, l’homme dans sa plénitude, dans toutes ses aspirations et notamment sa soif spirituelle permanente. Je suis heureux que ces quelques jours à Points-Cœur nous aient rappelé cette évidence parfois oubliée.
Photo en page d'accueil : La cathédrale de Port-au-Prince (Haïti) détruite par le tremblement de terre
Félicitations pour cet article, et pour le tour du monde en famille!! Bel example d'espérance!!