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Nick Cave : « Le rock a encore du sens »

de Suzanne Anel   21 mars 2013
Temps de lecture 5 mn

Il y a à peine plus d’un mois, Nick Cave sortait son 15e album « Push the Sky Away ».


Photo en page d'accueil : CC BY-NC-SA NRK P3

La pièce maîtresse de l’album se termine ainsi :

« And some people
Say it's just rock'n roll

Oh, but it gets you
Right down to your soul »
 

Nick Cave – Push the sky away

Nick Cave commente : « J'ai eu besoin de finir l'album avec cette pensée. Un petit prêche au terme d'un disque qui en est démuni. J'ai horreur de donner des leçons. Mais, pour moi, le rock a, malgré les apparences, encore du sens. »[1]
Que peut nous dire le rock ? Que peut nous dire Nick Cave ?

Ceux qui ont vu Les Ailes du désir de Wim Wenders se souviendront de Nick Cave déversant From her to Eternity devant l’ange pensif qui cherche des traces d’humanité. Depuis ces débuts fulgurants, Nick Cave a sorti 15 albums, a vécu à Londres, au Brésil, à Berlin… Il est maintenant installé à Brighton depuis 10 ans avec sa femme et ses 4 fils.

Quelques remarques qui nous permettront de mieux comprendre la genèse d’un album plus doux, plus fort et plus pensif que les précédents.

Jouer en groupe
Deux éléments apparaissent fondamentaux pour le groupe de rock. C’est un groupe, si l’un guide et dirige, les autres suivent. Mais suivre c’est à la fois écouter et donner corps à l’intuition, la faire sienne. Chacun des musiciens devient responsable de cette musique.
« Je suis un collaborateur, c’est fondamental pour un artiste de mesurer ses limites. (…) Je peux composer une chanson mais lui donner corps, jamais… C’est frustrant d’entendre des chansons dans ma tête et de ne pas être capable de les exprimer seul, de manière convaincante. Mais heureusement, des gens comme Blixa Bargeld, Mick Harvey ou Warren Ellis m’ont aidé au fil des ans à rendre mes idées concrètes, à les sublimer, à leur faire emprunter d’autres directions. » [2]
« Le but, c’est de se mettre au service des chansons, quel que soit le danger. » [3]

Berlin ou la nécessité d’une communauté d’artistes
Nick Cave a longtemps vécu à Berlin. Le Berlin des années 80, un Berlin où la séparation Est/Ouest permettait une sorte d’indépendance étrange à l’Ouest, un lieu hors du monde, incapable de vivre indépendamment économiquement ou politiquement, une île pour les artistes. Beaucoup d’artistes reconnus y ont vécu. Nick Cave revient sur la toute récente chanson de David Bowie Where Are We Now ? qui célèbre cette époque. Mais pourquoi cette nostalgie ?

« La chanson m'a ému. Son élégance et puis ces paroles, sincères, sur Berlin, que j'ai bien connu pour y avoir vécu. Tous les lieux qu'il évoque me sont familiers. Comment ne pas être touché ? Berlin, dans les années 80, me renvoie à la dernière fois où j'ai évolué au cœur d'une véritable communauté d'artistes. On partageait tout. C'était une ville unique de ce point de vue. Je me sens privilégié d'avoir éprouvé ce sentiment de ne vivre que pour et par l'art. Je n'ai jamais retrouvé d'équivalent depuis. J'étais à Berlin après Bowie, mais je comprends la nostalgie qu'il semble exprimer. » [4]

Berlin aujourd’hui a changé, mais pour un artiste, le désir de retrouver une communauté, un lieu où l’on est compris reste. Toujours des jeunes du monde entier arrivent à Berlin, c’est sans doute un effet de mode. Mais plus encore c’est cette certitude de la solitude de l’artiste face à son art parce que le travail acharné et l’insatisfaction laissent toujours solitaire. Pourtant ce que beaucoup viennent chercher dans la capitale allemande c’est d’autres solitaires, d’autres qui comprennent et vivent de cette soif de beauté. 

« Je n’attends pas que les idées viennent : je les force. »
Le don, même s’il est lié à une réelle intelligence, sans le caractère, ce n’est rien, c’est inutile, nous dit la très grande Nadia Boulanger dans le documentaire de Bruno Monsaingeon. C’est certain à tous les niveaux : un don s’il n’est pas exploité par un réel caractère, c’est-à-dire un réel effort qui est prêt à donner du temps et des sacrifices, est vain. C’est le caractère ou le travail qui permettront à l’œuvre de s’exprimer, de se développer.

« Je me concentre des journées entières sur mes carnets. Ce n’est même pas une discipline que je m’impose : je n’ai simplement pas le choix, je dois écrire. J’ai l’impression que tout s’effondrera si je ne travaille pas. Je passe ma vie à griffonner un roman ou un truc quand on me traîne en vacances.
Je ne crois pas au mythe de l’inspiration, c’est très surestimé. Il y a parfois des révélations, mais sans travail derrière, elles ne servent à rien. J’ai rencontré beaucoup d’artistes autrement plus inspirés que moi : mais qu’ont-ils fait de ces épiphanies ? Rien. Ils les ont laissées mourir. Ils ne sont pas allés au bureau. Je n’attends pas que les idées viennent : je les force. Sur mon calepin, je note une date : et c’est le jour où on se mettra à travailler sur l’album. Une fois inscrit, on ne peut plus rien changer, c’est gravé dans le marbre. Ce matin-là, j’arrive au bureau et je commence à écrire l’album, sans la moindre idée, sans la moindre piste. Il me faut des mois pour affiner les paroles, un disque se façonne très lentement. » [5]


CC BY david_shankbone

Et aujourd’hui… un album fait de silence.
De Nick Cave, on connaissait les cris, la fureur, les guitares électriques qui s’excitent. Pourtant Push the Sky Away, nous apparaît aujourd’hui fait de beaucoup de paix et de silence. Pourquoi ?

C’est d’abord dû à un lieu. En l’occurrence la Provence, mais plus encore c’est important de trouver le lieu où l’on peut être « libre, calme et joyeux ».

« Quelqu’un m’a parlé de la Fabrique [en Provence] : un studio qui abrite la plus grosse collection de vinyles classiques en Europe. Je m’y suis tellement senti chez moi qu’aujourd’hui la Fabrique me manque. J’y ai vécu une expérience très forte, qui a affecté mon âme. Parler d’épiphanie serait peut-être exagéré, mais il s’est vraiment passé un truc. Nous nous sommes sentis totalement libres, calmes, joyeux : l’album reflète ce moment précis de nos vies, une pause… »[6]

Le guitariste du groupe The bad Seeds est parti, cette absence a entraîné le silence de l’album. Mais c’est finalement dans le silence que les tonalités et la force peuvent s’exprimer. Et c’est parce que le silence est là que la voix peut trouver pleinement sa place, plus besoin de crier pour se faire entendre.
« Nous n’avions encore jamais fait un tel disque, avec une telle cohérence, une continuité dans les textes et la musique. Jamais nous n’avions accordé une telle place au silence. » [7]
« Ma voix est sortie comme ça, instinctivement. Je n'en revenais pas lorsque je l'ai réécoutée. Mon timbre s'est adouci. Je n'imaginais pas que cela puisse arriver. L'entendre m'a ­donné des frissons. C'était beau. » [8]

« On avait l’intention de le remplacer [Mick Harvey, le guitariste] mais quand nous avons écouté les premières prises, tout cet espace entre les instruments nous a impressionnés. C’était trop beau pour être souillé par des guitares. On a juste rajouté des chœurs, notamment ceux de l’école du village. Aucun des gamins ne parlait anglais, c’était magnifique… Quand on jouait une chanson, on ne savait jamais où elle nous menait, combien de temps elle durerait… Même moi, je n’avais pas le plan de vol. C’est une façon de conserver la beauté et le danger. »[9]

Retrouver la beauté, retrouver la lumière
L’art a-t-il une autre finalité que de retrouver l’émerveillement de l’enfant ?
« Je passe ma vie à tenter de revivre des épisodes de mon enfance. Il m’est arrivé des choses qui m’ont changé… Ma notion de la beauté est très liée à ma petite enfance. Écrire, c’est ma façon de retrouver ces impressions, cette lumière. »[10]

Nick Cave – Push the sky away (tout l'album)

Photo en page d'accueil : CC BY-NC-SA NRK P3


[1] Extrait de Télérama, Interview Nick Cave, 16 février 2013, Télérama n°3292 ; http://www.telerama.fr/musique/nick-cave-pour-moi-le-rock-a-encore-du-sens,93470.php
[2] Extrait de Les Inrocks, Interview Nick Cave, 28 février 2013 ; http://www.lesinrocks.com/2013/02/28/musique/entretien-nick-cave-jai-une-tete-a-ecouter-du-classique-11364064/
[3] cf. Les Inrocks
[4] cf. Télérama
[5] cf. Les Inrocks
[6] cf. Les Inrocks
[7] cf. Les Inrocks
[8] cf. Télérama
[9] cf. Les Inrocks
[10] cf. Les Inrocks

 

 

 

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