Le 19 février, sort le prochain film de Jim Jarmush : Only Lovers left alive. Après les westerns et les thrillers, le réalisateur de Dead Man et de Ghost Dog – the Way of Samourai s’attaque maintenant à une histoire d’amour entre deux vampires.
Le sujet n’est pas vraiment original, vu la profusion de films, livres ou comédies musicales qui traitent du sujet depuis le succès de Twilight. C'est étonnant de la part d’un réalisateur qu’on a souvent classé comme élitiste… Jim Jarmush utilise ici ce thème pour en faire quelque chose d’absolument unique. « J’aime beaucoup de genre (de films). J’utilise volontiers leurs règles comme point de départ. Mais je ne veux pas être esclave d’une forme [1]. » Il se réfère davantage aux vampires de Lord Byron et à Vampyr de Dreyer ou à Nosferatu de Murnau qu’à Twilight.
Le film met en scène un couple de vampires vieux de plus d’un millier d’années : Adam et Eve (ce qui ne signifie pas que Jim Jarmush met en scène le couple primitif, mais qu’il fait référence au Journal d’Adam et Eve de Mark Twain, paru en 2005). Adam vit à Detroit, la ville grise qui a connu un si bel essor au XXème siècle et dont il ne reste que des banlieues industrielles en ruine. Eve vit à Tanger dans la douceur des nuits marocaines. Adam regarde avec désespoir les actions des hommes qui s’autodétruisent. Eve danse, rie et se déplace avec l’élégance d’une lionne. Adam collectionne les disques vinyles, les guitares électriques et joue du rock. Eve lit couramment toutes les langues, depuis les langues oubliées jusqu’à l’arabe, le russe ou le français. L’un et l’autre sont très amis avec Christopher Marlow, également vampire. Ils sont mariés et se voient par intermittence, toujours aussi épris l’un de l’autre.
Les deux acteurs portent avec délicatesse le rôle difficile d’être dans le monde sans en être. Tilda Swinton notamment est la pierre d’angle et le point de départ de ce film que Jim Jarmush a écrit en pensant à elle.
Si Jim Jarmush met en scène des vampires c’est effectivement parce que ce sont des êtres hors du monde qui sont pourtant dans le monde. Ils sont déjà été témoin de tant de mouvements, de tant d’apogées et de défaites. « Vous êtes snobs », leur lance Ava, la petite sœur d’Eve en visite chez eux. « Si vous et moi nous avions vécu 500 ans, 1000 ans, imaginez tout ce que nous saurions ! Les mortels nous accuseraient d’être snobs aussi. [2]», nous dit Jim Jarmush. Oui snobs, mais toujours passionnés par la monde. Adam joue du rock et Eve ne lit pas que des parchemins ! Ils sont comme les coffres au trésor de notre histoire. Tout le film est parcouru de citations qui nous montrent la beauté et la richesse de notre culture, de notre histoire, de notre art. Mais parce qu’ils sont également en dehors du monde, ils peuvent aussi le contempler avec tristesse ou avec joie. « Ce sont des être humains, simplement transformés en une autre créature, ce ne sont ni des zombies, ni des morts-vivants [3]» ; ils comprennent les réactions des hommes, leur désir de bonheur et d’amour, leur désir d’immortalité.
Ce film est aussi à l’image de l’histoire artistique de Jim Jarmush : des années 80 où il écumait les bars de Berlin Ouest en compagnie de Nick Cave, et ces même années 80 à New York, âge d’or de la renaissance du Jazz, du Rock, du Folk… Époque d’un très grand renouveau artistique mais aussi d’une recherche effrénée de cette « liberté », dans la drogue et les nuits sans sommeil. Ruth, une Berlinoise, qui avait rencontré Jim Jarmush à New York m'a dit : « Dans ce film, je vois aussi quelque chose de cette époque. La vie de nuit, la vie sans repères, la recherche effrénée d’un sens, même simplement dans le plaisir. Et puis la drogue… Dans le film, à chaque fois qu’ils boivent du sang, c’est comme l’extase après la drogue, mais une extase qui les rend plus attentifs, plus forts, plus réveillés… C’est ce que beaucoup ont cherché à cette époque et comme nous ne faisions pas les choses à moitié, combien d’artistes qui auraient pu être aussi connus que Jim Jarmush sont morts d’overdose… »
Ce film est un conte. Un conte qui, à aucun moment, ne prétend donner de solution ultime sur le sens de la vie de l’homme. Nous ne savons ni ce qui peut vraiment permettre de garder, comme Eve, la joie et l’enthousiasme pour accueillir chaque jour comme un cadeau, ni ce qui permet l’amour, la communion, de ces deux êtres si différents et qui savent s’accepter tels qu’ils sont. Mais ce film nous montre avec certitude que ces désirs habitent le cœur de l’homme comme il habitait les jeunes artistes qui se retrouvaient passionnés dans les bars berlinois.