Infirmière pédiatrique, Formatrice en soins infirmiers, Master Santé Publique, Coordinatrice d’une formation interdisciplinaire en soins palliatifs pédiatriques en Belgique, j'ai voulu, par ce texte, tenter d'y voir plus clair et clarifier certains points pour des proches qui me posaient des questions au sujet de la loi sur l'euthanasie chez les mineurs.
© Analia Pasquali
Observer
Ce qui me pousse à m’exprimer est avant tout un sentiment diffus de malaise, voire même de colère face à l’extension de la loi sur l’euthanasie chez les mineurs votée le 13 février 2014 à la Chambre des Représentants à Bruxelles. Je vais par conséquent partir de là, de ce qui m’émeut, fait bouger au sens étymologique du terme.
N’est-ce pas souvent un point de départ pour essayer d’y comprendre les raisons ensuite ?
L’exercice réflexif qui s’est imposé à moi, pour emprunter les mots de Christian Bobin, est d’ "écrire, c’est à dire obéir à ce que l’on voit." Cette congruence entre nos réflexions et nos actes, entre notre observation et nos paroles donne du sens à nos pratiques professionnelles, moyen essentiel pour prévenir à terme le fameux concept de "moral distress", détresse morale en français, à l’origine parfois du syndrome d’épuisement professionnel.
Mon expérience personnelle et professionnelle dans une équipe de soins palliatifs pédiatriques à domicile m’a profondément marquée. Les situations de maladies graves des enfants accompagnés exigent des réponses multidisciplinaires "les moins mauvaises", individualisées au maximum en fonction des besoins cliniques, psychologiques et sociaux des enfants. Pas de solution blanche ou noire dans ce domaine. Pas de protocole unique que l’on pourrait appliquer aisément. Reconnaissons que les situations de fin de vie des enfants sont infiniment complexes et que nous, soignants, marchons parfois à tâtons, tels des artistes funambules.
Face à cette loi votée il y a quelques jours à la Chambre des Représentants de Belgique, je respecte profondément le processus démocratique. Le danger serait d’augmenter le clivage déjà existant entre les partisans et opposants à la loi. Il me semble plus fructueux d’envisager une attitude de dialogue qui essaye de comprendre les arguments des uns et des autres plutôt que de se braquer sur une idéologie unique, tels les pro-life avant tout ou les pro-euthanasie ! Opposition stérile qui ne nous fera pas avancer. Ne serait-ce pas plus constructif de nous mettre d’accord sur notre objectif commun, celui qui consiste grâce à tous les moyens mis à notre disposition à soulager la souffrance globale (psychique, physique, sociale et spirituelle) des enfants en fin de vie ? Sur ce point-là, nul doute, tous, nous avons le même combat ! C’est là que se situe notre membrane semi-perméable, notre point de convergence. Et si nous partions avant tout de là ?
Clarifier des concepts
En discutant autour de moi, je me rends compte qu’il est très difficile pour les non-initiés de participer au débat tant les termes entendus semblent opaques, ambigus, confus… Il s’agit de creuser plus profond pour paradoxalement amener à la lumière le méli-mélo des concepts ayant trait à la fin de vie, car les conflits ne naissent-ils pas surtout de la méconnaissance des termes utilisés ? Chacun ayant une représentation plus ou moins singulière de ceux-ci.
Dans les soins palliatifs pédiatriques, l’acharnement thérapeutique est exclu. Ce qui veut dire que la mise en œuvre des techniques de soins déraisonnables est critiquée, lorsque la qualité de vie ne peut plus être garantie. Continuer par exemple une ventilation artificielle lorsque l’enfant est dans un état de mort cérébrale.
La désescalade thérapeutique (appelée "withdrawing" en anglais) est la suppression progressive de techniques de soins qui permettaient la survie artificielle du patient. Elle est pratiquée en soins palliatifs pédiatriques.
La sédation est "la recherche, par des moyens médicamenteux, d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience. Son but est de diminuer ou de faire disparaître la perception d'une situation vécue comme insupportable par le patient, alors que tous les moyens disponibles et adaptés à cette situation ont pu lui être proposés et/ou mis en œuvre sans permettre d’obtenir le soulagement escompté." (SFAP) L’intention n’est donc pas d’accélérer la mort. La sédation est temporaire. Cette pratique peut se rencontrer en soins palliatifs pédiatriques lorsque tous les autres moyens ont échoué et que la souffrance de l’enfant persiste.
Définir les soins palliatifs pédiatriques
Peut-être est-il nécessaire avant tout d’expliciter à cet endroit ce que ne sont PAS les soins palliatifs pédiatriques ?
Ce ne sont pas des soins passifs initiés quand les soins curatifs ont échoué. Ce ne sont pas des soins uniquement compassionnels. Ce ne sont pas des soins qui refusent l’administration d’opioïdes et pourraient avoir une connivence avec de quelconques obscurs bienfaits expiationnistes. Ce ne sont pas non plus des soins qui veulent à tout prix prolonger la vie.
"Les soins palliatifs pédiatriques sont des soins actifs et complets, englobant les dimensions physique, psychologique, sociale et spirituelle. Le but des soins palliatifs est de d’aider à maintenir la meilleure qualité de vie possible à l’enfant et d’offrir du soutien à sa famille ; cela inclut le soulagement des symptômes de l’enfant, des services de répit pour la famille et des soins jusqu’au moment du décès et durant la période de deuil. Le suivi de deuil fait partie des soins palliatifs, quelle que soit la cause du décès, ce qui inclut les traumatismes et les pertes dans la période périnatale." (IMPaCCT, 2007)
Ce sont des soins holistiques, centrés sur la famille, apportés par une équipe interdisciplinaire, bien souvent en parallèle avec des soins curatifs, lorsque ceux-ci permettent d’apporter une qualité de vie à l’enfant.
J’ai découvert que ce qui semblait faire soin pour la famille, c’est-à-dire ce qui semblait lui faire du bien et répondre à ses besoins, était en rapport avec la qualité des liens tissés entre elle et les soignants. En d’autres termes, un soin de qualité est celui qui permet de soutenir en tant que soignant non seulement les interrelations entre l’enfant et son entourage (parents, fratrie, grands-parents, école, amis, loisirs, projets…), mais aussi entre professionnels de santé. Ce qui se traduit concrètement de multiples façons : cela concerne le principe de non-abandon de la famille, de l’accompagnement de celle-ci même après le décès de l’enfant, mais aussi d’une cohérence interne par la communication impeccable des informations au sein d’une équipe interdisciplinaire et le respect du rôle de chaque membre de l’équipe. N’est-ce pas là une responsabilité majeure ?
Questionner la loi sur l’euthanasie des mineurs
Il me semblait naïvement qu’une loi trouvait son origine dans des faits réels qui risquaient d’être nocifs à autrui, donc que cette loi permettait d’encadrer une pratique jugée abusive ou risquant de l’être dans le but de faciliter la vie en société et de protéger le plus faible.
Pourtant, selon mon expérience certes limitée de soins palliatifs pédiatriques à domicile, je ne trouve pas d’élément du terrain qui "collerait" à cette loi.
Tout d’abord, les moyens antalgiques médicamenteux et non médicamenteux disponibles ne m’ont pas permis de rencontrer chez les enfants accompagnés des souffrances physiques inapaisables.
A ma connaissance, en Belgique, nulle plainte n’a été déposée par des parents qui jugeaient qu’un médecin aurait abusivement accélérer la mort de leur enfant.
Les quelques parents qui auraient exprimé un désir d’en finir avec cette souffrance de leur enfant ont fini par y renoncer à partir du moment où la douleur de leur enfant a été prise en charge et où ils ont été accompagnés et soutenus par une équipe interdisciplinaire, notamment en bénéficiant de structures de répit, leur permettant de souffler et de reprendre des énergies.
L’alchimie de la réponse apportée à la famille naît d’un dialogue singulier tissé par le temps et les échanges vécus, desquels naît une relation de confiance entre l’enfant, sa famille et l’équipe interdisciplinaire.
L’introduction du critère concernant la capacité de discernement chez l’enfant et en particulier son application pratique risque de compliquer une série d’éléments. Notamment, est-il souhaitable d’introduire une personne de plus, inconnue de l’enfant, qui se trouvera, selon la définition de la loi, dans une situation de souffrance inapaisable et sera déjà confronté à une multiplicité d’intervenants en intra ou extra hospitalier ? Quel instrument utilisera-t-on pour mesurer la capacité de discernement de l’enfant ? Et par rapport au consentement parental exigé par la loi, que se passera-t-il si l’avis des parents diverge ? Quel est le poids de responsabilité que l’on incombe à l’enfant ? J’ai l’impression désagréable que l’équilibre bascule vers une responsabilisation quasi exclusive de l’enfant au nom de son autonomie et de son libre arbitre…
Et, en ce qui concerne les enfants au stade non-verbal ? Et en particulier les prématurissimes ? L’avis seul des parents comptera-t-il ? Quel poids leur fait-on porter, poids qui risque de compliquer – faute d’accompagnement adéquat prévu – leur deuil déjà si douloureux ?
S’éclairer de repères éthiques
Dans ce débat complexe peuvent nous aider certains principes éthiques, tels des phares dans une mer à certains moments agitée par la houle.
Le principe de la bienfaisance, de la non-malfaisance, de l’équité et de l’autonomie sont quatre principes éthiques décrit par Beauchamp et qui peuvent nous guider dans la réflexion. En quoi sont-ils mis à mal dans la loi sur l’euthanasie des mineurs ?
Le principe éthique de l’autonomie de l’enfant par exemple. Un enfant de 10 ans, aussi mûr soit-il de par sa maladie, peut-il décider en autonomie ce qui est bon pour lui ? Selon quels critères ? C’est une chose de reconnaître, d’entendre sa souffrance et de la soulager, mais de là à lui faire comprendre qu’il peut décider lui-même de la solution à apporter à sa souffrance physique, j’avoue avoir du mal à suivre.
En quoi respecte-t-on le principe de bienfaisance au travers de cette loi ? On voudrait bien croire que c’est la suppression de la souffrance physique qui est le but même de nos soins. Mais dans ce cas, il n’est pas question d’euthanasie, qui, elle, est l’intention délibérée de donner la mort afin d’abréger les souffrances d’un malade incurable.
Y a-t’ il réellement de la non-malfaisance à faire porter la responsabilité de la décision à l’enfant ou à ses parents lorsque ce dernier ne sait pas s’exprimer de par son âge ou son handicap ?
Le principe d’équité qui est de dire "cette loi pourra être appliquée à tous de la même manière" ne me semble pas respecté non plus. La pédiatrie se caractérise justement par une très grande variété de situations liées d’une part aux âges de l’enfant (0-18 ans), aux pathologies rencontrées, aux situations familiales.
Il peut être utile, dans nos processus décisionnels en équipe, de se poser les questions suivantes :
Quelle est notre intention ?
Soulager la souffrance ? Avancer la mort ? Faire des économies ? Améliorer la qualité de vie de l’enfant ?
Quelles seront nos actions ?
Evaluer la capacité de discernement de l’enfant ? Obtenir le consentement parental à une décision d’euthanasie ? Former les professionnels à la gestion adéquate de la douleur et d’autres symptômes ? Améliorer notre communication au sein de l’équipe interdisciplinaire ? Accompagner la fratrie ?
Quelles seront les conséquences ?
Un deuil plus compliqué des familles ? Une anxiété chez les enfants en bonne santé de tomber un jour gravement malade ? La promotion des soins palliatifs pédiatriques ? Un débat plus serein autour des questions de fin de vie des enfants ?
En conclusion
Reconnaissons que ce processus qui a abouti à la loi sur l’euthanasie des mineurs aura eu le mérite d’initier un débat autour de la fin de vie des enfants. Mais était-ce vraiment l’unique moyen de mettre sur la place publique les questions fondamentales autour de la souffrance des enfants ? La mort en général, encore davantage celle des enfants, nous interpelle au plus profond et nous oblige à nous questionner face à notre propre mort. Chaque soignant au contact de la souffrance des enfants devrait avoir l’opportunité d’un espace-temps soit pendant sa formation, soit pendant ses années d’exercices professionnels pour réfléchir à son rapport à sa propre mort.
En résumé, cette loi, à mes yeux, ne répond pas à une demande des familles ayant un enfant gravement malade. Elle concerne un nombre de situations cliniques exceptionnelles. Les douleurs réfractaires, qu’on n’arriverait pas à soulager avec les analgésiques existant dans nos pays occidentalisés, sont des situations rarissimes. Par ailleurs, comment pourra-t-on faire appliquer équitablement cette loi sur le terrain ?
Elle semble être surtout une loi-symbole. Symbole de quoi ?
La Belgique se vantant d’être le premier pays du monde à se doter d’une loi sur l’euthanasie pour les 0-18 ans risque fort d’envoyer un signal plutôt peu flatteur aux autres pays…
Un indice ? Une réaction immédiate a été notamment la Déclaration ICPCN de Mumbai. Réunissant du 10 au 12 février 2014 250 experts en soins palliatifs pédiatriques de 35 pays, le premier congrès de l’International Children of Palliative Care s’est clôturé en publiant une déclaration rappelant l’essence des soins palliatifs pédiatriques et appelant le gouvernement belge à reconsidérer sa récente décision : "L’euthanasie ne fait pas partie des soins palliatifs pédiatriques et ne constitue pas une alternative à ceux-ci."
Les points de vue exprimés dans cet article n’engagent que leur auteur.
Marie Friedel
Références :
Arrêté royal du 15 novembre 2010, publié au Moniteur Belge le 30 décembre 2010 fixant les normes auxquelles la fonction "liaison pédiatrique" doit répondre pour être agréée. www.etaamb.be/fr/arrete-royal-du-15-novembre-2010_n2010024459.html
Beauchamp, T., Childress, J. (2001) Principles of Biomedical Ethics. 5th ed. Oxford University Press, Oxford.
Définition des soins palliatifs pédiatriques, Réseau francophone de soins palliatifs pédiatriques, sur www.pediatriepalliative.org
International Children’s Palliative Care Network, Déclaration ICPCN de Mumbai, 12 février 2014 sur www.icpcn.org/euthanasia-is-not-part-of-palliative-care-declaration-at-the-end-of-the-icpcn-conference/
IMPaCCT, des recommandations pour les soins palliatifs pédiatriques in European Journal of Palliative Care, 2007, 14 (3), 109-117. Sur www.sfap.org/pdf/0-D2-pdf.pdf
SFAP, Société française d’accompagnement et de soins palliatifs http://www.sfmu.org/documents/consensus/reco_sedation_terminale_SFAP.pdf
Thiel M.J., La conscience, une instance dynamique pour la bioéthique , Ethique (La vie en question) n° 15, 1995/1.
Villa Indigo, www.maisonderepit.be/
World Health organization (WHO), Worldwide Palliative Care Alliance (WPCA), Global Atlas of Palliative Care at the End of Life, January 2014. Sur www.who.int/nmh/Global_Atlas_of_Palliative_Care.pdf
A lire également : https://terredecompassion.com/2014/02/06/euthanasie-des-mineurs-une-loi-pour-construire-quelle-societe/
Un grand merci à Marie Friedel pour cet article bien équilibré et abondamment documenté. Il reste à espérer que celle loi ne passera pas et que pourrons être ainsi protégés des milliers d’enfants.
Si je comprends bien, avec une telle loi, un enfant peut être d’un côté jugé inapte à voter, sortir le soir ou regarder tel film, et d’un autre il est jugé mûr de pouvoir choisir entre la vie et la mort…