Jean-Paul II était à la fois artiste, philosophe et pape. Une exposition très surprenante lui rend hommage à Vienne du 25 avril au 15 juin en rassemblant dans la magnifique Votivkirche des artistes contemporains sur le thème « Corporéité et sexualité ».
L’exposition s’inscrit dans la lumière de la « théologie du corps » de Jean-Paul II. Il ne s’agit cependant pas d’une illustration doctrinale ou spirituelle, mais d’une rencontre et d’un dialogue avec l’art contemporain. Cette approche est audacieuse et fascinante car elle permet d’ouvrir un espace de parole et une écoute réciproque.
L’affiche de l’exposition présente une sculpture du Suédois Andres Krisar. La trace des empreintes de doigts sur un buste rappelle que tous nos gestes scellent une marque indélébile et éternelle dans le cœur de l’autre. Le corps exprime l’unité de la personne et le plus profond de notre être, en bien ou en mal.
Le spectateur entre dans l’exposition par un couloir de miroirs où son reflet oscille et se démultiplie sous la lumière chatoyante des cierges. Le sculpteur anglais Doug Aiken nous immerge ainsi dans un kyrie introductif qui ébranle les certitudes et les préjugés des visiteurs. Ceux qui sont habitués à entrer dans une église peuvent en être déstabilisés, irrités ou inquiets. Les personnes qui fuient habituellement le formalisme de ces lieux de culte ont la bonne surprise de se sentir accueillis. N’est-ce pas en effet le but de l’art : to confort the disturbed and disturb the conforted ?
Les différents thèmes de la théologie du corps du Jean-Paul II sont ensuite déclinés dans un style d’expression propre à l’art contemporain : solitude, innocence, pudeur, nudité, plaisir, pardon, signification conjugale du corps, regard intérieur, rédemption du cœur, corps et identité personnelle, communion et fécondité.
L’exposition fait également une grande place à la souffrance : la tragédie de l’exil est illustrée par un collage de mouches de l’Allemand Frankl ou par l’autel du sacrifice. Mat Collishaw réalise sur le baptistère un montage visuel de fleurs enflammées appelé « Auto-immolation ». L’Espagnol Javier Perez utilise l’espace des caveaux qu’il décore avec un chapelet géant dont les boules sont des crânes en bronze ; à la place de la croix qui termine habituellement le chapelet se trouvent de larges menottes ouvertes sur la liberté.
Alors que le message de l’Eglise sur la sexualité a été si souvent réduit à des interdits et à des règles, Jean-Paul II a réussi à redonner une approche globale du corps et de la personne. Comme Jésus refusa de se laisser enfermer dans un débat casuistique par les pharisiens qui l’interrogaient sur le divorce et la concupiscence, mais a tout replacé dans la lumière de l’innocence originelle et dans la perspective eschatologique, Jean-Paul II a su replacer la question sexuelle dans l’horizon plus vaste de la signification conjugale du corps.
La qualité des œuvres redonne paradoxalement une dimension d’incarnation à cette église. Comme la plupart des églises, la Votivkirche est presque devenue plus un musée qu’un lieu de vie. L’art contemporain ne cherche pas à figurer ou à représenter des thèmes religieux mais il nous place dans une attitude religieuse. Celui qui regarde dans ce vieux confessionnal désaffecté depuis Freud, voit une vidéo de l’artiste allemand Clemens Wilhelm mettant en scène de nombreux personnages qui disent dans toutes les langues : « Je crois que je suis malade », réveillant ainsi le désir de rédemption des visiteurs. L’élan de beauté se trouve moins dans l’objet présenté que dans le chemin intérieur qu’il invite à parcourir. Ce n’est pas un art conceptuel mais plutôt une ouverture par les sens à l’Esprit-Saint qui unit les pôles irréconciliés du moi et du nous. Il y a une trilogie entre l’œuvre, le spectateur et l’invitation de Dieu.
David Rastas, le jeune curateur et initiateur de cette exposition a rassemblé une palette étonnante d’artistes contemporains de premier plan : Damien Hirst, Erwin Wurm, Takashi Murakami, etc… Sa créativité est déjà reconnue par les journalistes et le public. Il ajoute à ses qualités professionnelles une grande sensibilité humaine. Conscient que l’exposition est une source de questionnement intime et qu’elle touche des blessures très profondes des hommes d’aujourd’hui, David Rastas souhaite que des volontaires demeurent présents tout au long de l’exposition pour écouter gratuitement ceux qui ont envie ou besoin de parler. A côté d’une présence sacerdotale pour la confession, il y aura donc aussi une présence gratuite d’écoute. C’est une belle façon de garder vive la mémoire de notre nouveau saint, Jean-Paul II.