Le grand pianiste et chef d’orchestre Daniel Barenboïm et la grande pianiste Martha Argerich se retrouvent à Buenos Aires ces jours-ci pour des grands moments de piano. Deux Argentins, amis depuis leur enfance. Deux parcours et deux intelligences hors du commun. C’est une grande émotion pour eux et pour tout le peuple argentin. Cette célébration musicale de l’amitié de deux passionnés veut aussi être un formidable signe de paix dans le terrible contexte des violences au Moyen-Orient, ainsi qu'une révolution de l’éducation musicale.
L’amitié de deux passionnés
Ils ont une profonde admiration mutuelle comme en témoigne cette interview de Daniel Barenboïm dans le journal La Nación : « Il n’y a personne au monde qui joue du piano aussi bien qu’elle du point de vue instrumental. Mais le plus extraordinaire, c’est son naturel, sa fantaisie et son imagination très développée. On dirait qu’elle improvise alors que, bien sûr, il n’en est point ainsi : le grand art consiste à avoir pensé à tout et à l’exécuter comme si l’idée lui était venue à l’instant. »
Un signe de paix
Daniel Barenboïm a créé il y a 15 ans, avec Edward Said, un philosophe palestinien, l’orchestre West-Eastern Diván avec des musiciens palestiniens, israéliens et d’autres pays arabes. Le plus beau et le plus étonnant est qu’aucun des musiciens israéliens et palestiniens n’a quitté l’orchestre depuis l’éclatement des violences à Gaza.
« Chaque fois je suis de plus en plus convaincu que pour El Diván, le projet avec Said, rien n’aurait pu être possible si je n’avais pas passé mon enfance en Argentine, où il y a non seulement une tolérance de l’autre mais aussi une acceptation d’identités multiples. En Argentine, on peut être juif, allemand, et pas moins pour cela argentin. Cette particularité est due au fait qu’une grande partie de l’immigration a été une immigration économique. Ils n’étaient pas des réfugiés. Ils étaient des personnes venues pour tenter leur chance et ils furent acceptés. Je suis de plus en plus convaincu que les années de mon enfance en Argentine m’ont éduqué dans ce sens-là.
Une révolution de l’éducation musicale
« Jamais dans l’Histoire, il n'y eut tant de personnes cultivées, vraiment cultivées, qui n’ont aucune connexion avec la musique. Pour cela, il n’y a qu’un seul remède : obtenir une révolution dans l’éducation musicale. Ce n’est pas normal que les enfants apprennent à l’école la littérature, la biologie, les mathématiques et rien de musique. L’idée n’est pas qu’ils deviennent des exécutants, mais qu’ils apprennent à connaître quelque chose de la musique. Cela seulement serait déjà un grand progrès pour l’humanité. La musique n’est pas seulement quelque chose qui donne du plaisir, on apprend aussi beaucoup d’elle. La musique entre dans le corps par l’ouïe et l’ouïe est beaucoup plus près du cerveau que l’œil. L’ouïe a une anticipation de sept mois par rapport à l’œil. À 45 jours dans le ventre de la mère, le bébé commence déjà à entendre. Après nous oublions complètement d’éduquer l’ouïe. Et l’ouïe sert pour la mémoire et donne du contenu émotionnel, ce qui améliore la qualité de vie. Donc ce n’est ni un luxe, ni réservé à une élite. »
« Sans éducation musicale, l’ouïe se ferme. Maintenant il y a de la musique partout, dans les avions, les ascenseurs, les restaurants et pas là où elle devrait être : dans le cœur et dans le cerveau. »
Marie Debacque
Les citations sont d’une interview de Daniel Barenboïm par Pablo Gianera, parue dans le journal La Nación, le 20 juillet 2014
Extrait du concert gratuit sur le pont Alsina avec quelques 8000 spectateurs :
D. Barenboïm et M. Argerich au Théâtre Colón :
D. Barenboïm avec le West-Eastern Diván Orchestra