Cette année encore, laissons-nous introduire dans la fête de l'Assomption par quelques lignes d'Adrienne von Speyr. La mort et l'Assomption de la Mère sont elles aussi éclairées par le "oui" qu'elle a dit le jour de l'Annonciation, "ce oui central et unique qui éclaire chaque tournant de sa vie, confère à chaque situation son sens plénier et donne à Marie dans toutes les circonstances la grâce toujours neuve de comprendre".
"(…) C’est donc un mystère d’amour quand sa vie, qui ne diffère extérieurement en rien de celle du reste des hommes, s’incline vers la vieillesse et la mort. La petite vie ordinaire qui fut celle de sa jeunesse reprend et les années passées avec le Fils, de l’apparition de l’ange jusqu’à l’Ascension, ont l’air à présent d’un épisode prodigieux, extraordinaire, presque invraisemblable dans sa vie de femme si paisible. Elle a commencé dans l’humilité et l’obscurité, fut brusquement mise en lumière, puis elle rentre dans l’ombre et l’humilité. Tant qu’elle vit, elle n’est l’objet d’aucun culte dans l’Église ; elle est écartée, presque oubliée. Elle reprend la tâche qu’elle avait avant la venue du Fils. (…) On n’entend plus parler d’elle. Quand elle sera morte et que sa vie aura été totalement sacrifiée, toute la lumière de son existence éclatera et commencera à briller irrésistiblement. Sa mort sera un éclatement dans l’éternité semblable à son oui qui fit éclater toutes les mesures terrestres.
(…) L’Assomption de la Mère comble et efface en quelque sorte la distance et la différence entre le ciel et la terre. Car celle qui est reçue maintenant au ciel par le Fils n’est autre que celle qui l’a reçu du ciel sur la terre, et de même que son chemin est toujours allé en s’élargissant depuis la conception du Fils jusqu’à l’accueil qu’il lui fait aujourd’hui dans le ciel, de même cet accueil s’élargit à son tour à un point tel que c’est elle qui accueille le Fils. Ces deux sommets se renforcent l’un l’autre et il est impossible de dire quelle est la direction qui l’emporte : celle qui va de la terre au ciel ou celle qui va du ciel à la terre. C’est une circulation éternelle entre Dieu et l’homme, entre le ciel et la terre, entre le monde spirituel et le matériel. Une circulation aussi entre la Mère et le Fils. Car de même que la Mère autrefois a dit oui au Fils et à tout ce qui le concerne, le Fils à son tour dit aujourd’hui son grand oui à la Mère. Ce oui divin et incommensurable donne au oui de la Mère tout l’infini du ciel. Tant qu’elle était sur terre, elle avait ses limites et devait en tenir compte comme tout homme, même quand elle essayait d’agir dans le sens du Fils. A partir de l’Assomption elle reçoit le pouvoir de faire sans limites ce que veut le Fils. Elle ne connaît plus d’autres barrières que celles que nous opposons sur terre à son action. Seul notre non peut arrêter son oui éternel.
Dans l’Assomption de la Mère, c’est aussi la fête de Pâques qui s’accomplit pour elle. Ces deux fêtes n’en forment qu’une seule, car le jour de Pâques, le Seigneur lui même s’apprêtait à monter vers son Père et vers notre Père. A Pâques sa mission terrestre était achevée, et les quarante jours entre Pâques et l’Ascension étaient déjà en quelque sorte le commencement visible de sa future mission céleste. A Pâques, il a définitivement triomphé et, dans la lumière de cette victoire, il embrasse du regard toute son œuvre de Rédemption : sa Passion, sa déréliction, la fécondité de son obéissance. Cette vue le remplit d’un amour nouveau et infini pour le Père. C’est dans le même esprit pascal que la Mère monte au ciel. Ce que le Fils vit à Pâques, la Mère le vit à son entrée au ciel : elle saisit tout à coup le sens de sa vie terrestre ; elle voit combien elle a été associée à l’œuvre universelle de la Rédemption ; le Fils lui montre à quel point chaque instant de sa vie était un service fécond, à quel point elle a vécu et œuvré pour l’Église et pour tous. Elle reconnaît d’un coup un tas de choses qui lui étaient inconnues et qu’elle cherchait si peu à connaître qu’elle se les tenait cachées à elle-même. A présent le Fils lui montre son œuvre et toute la part qu’elle y a prise. Elle voit ce qu’il y a de marial dans le Christ, elle comprend ce que signifie être la Mère de Dieu. Tout en elle se résume comme dans l’unité, unité en Dieu et dans la vie éternelle, qui est aussi l’unité authentique et personnelle de Marie.
Et elle contemple maintenant tout ce en quoi elle a cru jusqu’ici : la divinité de son Fils qu’elle a bien sûr adorée, mais comme un mystère caché en lui et pour elle. Elle contemple l’abîme du Père et voit l’Esprit Saint qui autrefois l’a couverte de son ombre et ne l’a plus quittée depuis. Elle reconnaît la cohérence de toute l’histoire du salut, l’accomplissement des prophéties, et elle voit la place qu’elle y tient. Elle comprend à quel point elle était nécessaire à cette œuvre du salut et combien Dieu a compté sur elle. Elle voit les premières promesses faites au sortir du Paradis et elle voit que toutes les générations ont attendu son oui pour retrouver le chemin du Paradis. Et elle voit aussi qu’à aucun moment Dieu n’a eu à s’inquiéter du oui qu’elle prononcerait, bien plus, qu’il l’avait de toute éternité si bien cachée en lui que toute sa liberté ne pouvait consister que dans ce oui au service de son Dieu. Il l’avait si bien choisie pour Reine de toute éternité qu’il ne lui restait plus qu’à être éternellement sa Servante."