Couturier à New York, Siki Im a été unanimement salué par les critiques lors de la dernière Fashion Week de la Big Apple. Sa collection Homme Printemps/Eté 2015 est un hommage à notre humanité fragile – mais libre – dans un monde dominé par la technologie. Rencontre avec un homme humble et passionné, qui est aussi architecte et chanteur.
© Paul Anel
Siki, pouvez-vous nous raconter en quelques mots votre histoire ? Pourquoi travaillez-vous dans la mode et pourquoi à New York ?
Je suis né et j'ai grandi en Allemagne, de parents coréens, et je ne me suis jamais vraiment fait à la culture allemande. Par contre, j'ai toujours été fasciné par la culture américaine, avec ses films, le skate-board, le phénomène afro-américain… J'ai fait des études d'architecture, et c'est comme architecte que je suis venu à New York, non pas tant pour y faire carrière (l'architecture est bien plus intéressante en Europe) que pour réaliser le rêve de ma vie – vivre ici.
Je suis arrivé en 2001, une semaine après le 11 septembre et ai travaillé deux ans dans un cabinet d'architectes, à deux pas du World Trade Center.
C'est tout à fait par hasard que je suis entré dans le monde de la mode. Il a suffi d'une rencontre avec un homme incroyable et excellent couturier, David Vandewal. Nous nous sommes bien entendus et il m'a tout de suite offert de travailler pour lui. Ensemble, nous avons créé pour Karl Lagerfeld, Helmut Lang, et d'autres. Aujourd'hui David est mon styliste, mais il est surtout mon grand frère. C'est important pour moi de me sentir en famille, de m'appuyer sur quelqu'un de confiance, parce que dans la mode tout va très vite.
Pourquoi avez-vous choisi le thème de la technologie pour votre collection Printemps/Eté 2015 ?
Enfant, j'ai toujours été fasciné par les robots, les engins, les transformers… J'aime leurs mécanismes, leur esthétique, leurs formes bizarres, et j'ai voulu un jour faire des vêtements qui leur ressemblent. Pourquoi ne pas utiliser des tissus durs, anguleux et faire des habits-robots ?
J'avais déjà commencé ma collection quand une expérience a tout bouleversé. Je suis parti faire du surf au Costa Rica, ce qui impliquait d'abandonner mon téléphone pendant plusieurs jours. Après un vrai temps d'angoisse, je me suis tout à coup senti libéré, et j'ai réalisé que je ne voulais plus faire des habits-robots, que je ne voulais pas devenir comme ces humains dans WALL-E (film d'animation des studios Pixar, réalisé en 2008, où l'on voit l'hypertechnologie et la consommation de masse transformer peu à peu les hommes en simples machines, ndlr). Je ne crois pas dans ce futur ! Je ne crois pas dans un futur dominé par les réseaux sociaux où la rencontre n'existe plus.
J'ai donc voulu faire le contraire. Il fallait que j'utilise des tissus plus humains, des tissus traditionnels, fluides et naturels. Mon travail est devenu une juxtaposition entre l'humain et les machines, une confrontation entre anthropologie et technologie.
Par exemple, dans le défilé, presque tous les mannequins ont deux chaussures différentes à chaque pied, comme par erreur. Parce que l'erreur, c'est humain. J'ai mis aussi de la couleur, en souvenir des plages du Costa Rica… et parce que personne n'attendait cela de moi. J'aime créer la surprise.
Êtes-vous content de la manière dont les critiques ont reçu votre collection ?
Oui, car personne n'a fait de commentaire tiède. Le défilé, pour moi, doit amener les gens à s'interroger, à remettre en question certaines choses. Je ne donne pas de réponse, mais j'interroge, je veux faire réfléchir. Si le public réagit – que ce soit en aimant ou en détestant – j'ai atteint mon objectif. Et je crois que cette saison, les critiques ont compris ce que je faisais.
Au-delà de cette expérience au Costa Rica, d'où vous vient ce désir de rendre hommage à la condition humaine dans ce qu'elle a de plus fragile ?
Avez-vous lu Crime et Châtiment de Dostoïevski ? Il y a quelque part dans ce livre une phrase qui dit que l'on trouve un plus grand amour de la vie chez les prisonniers que chez les hommes libres. Ce qui m'intéresse, c'est ce qui est obscur, noir, et cette espérance qui ne jaillit que dans les ténèbres. Je crois – ou plutôt j'espère – en cette espérance.
Toutes mes collections ont toujours traité de notre condition humaine. Il y a deux ans, j'ai travaillé sur le thème de la prison par exemple, et je pense que la mode a à voir avec la psychologie : elle ne peut pas se réduire à un simple produit.
Chaque soir, j'espère avoir vécu ma journée en humaniste. Chaque soir, je réalise qu'il faut célébrer notre imperfection, assumer que nous faisons des erreurs, que nous sommes égoïstes. Essayons au moins d'être honnêtes avec nous-mêmes, et de ne pas nous cacher notre faiblesse en nous transformant en robots.
Pourtant, la mode est justement ce qui permet de se créer un personnage…
C'est vrai, mais pour moi cela ne vaut que pour la présentation de la collection. J'organise mes défilés comme des petits films, j'essaye de créer des personnages, je choisis mes mannequins en fonction des habits. C'est là la beauté de la haute-couture : je peux créer un monde qui va susciter tel ou tel type d'émotions chez le public.
Qu'est ce qui vous permet de rester aussi libre dans une ville comme New York ?
Rester libre n'est pas si facile, parce que malgré tout il faut bien que je fasse marcher mes affaires. Je ne sais pas si l'on est toujours libre quand on a des responsabilités. Mais la vie est faite de choix, et j'essaie de faire des choix qui soient motivés non par l'argent mais par ce en quoi je crois. C'est parfois très difficile, et je sais que je dois faire attention et sans cesse me reposer les bonnes questions. Je me livre sans tabous à mes équipes, à mes amis, car ce sont eux qui m'aident à garder le cap. Et puis, il y a des moments où je tombe.
Bill Cunningham (photographe pour le New York Times, ndlr) disait dans une interview que renoncer à la mode, c'est détruire la civilisation. Cela rejoint ce que vous dites sur le fait que la mode nous sauve de la tentation de vivre en robots.
Oui, la mode est une composante essentielle de notre culture. C'est un art, tout comme la poésie ou la musique. Bien souvent je me demande pourquoi je travaille et m'épuise autant – il ne s'agit que des vêtements après tout. Mais le fait est que j'y crois !
Le défilé de sa collection Homme Printemps/Été 2015 à la New York Fashion Week
Une de ses chansons, Slow Death
Le site web de Siki Im: http://sikiim.com
c’est quand même déjanté! j’ai lu l’article parce que c’est vous et qu’il faut bien « ouvrir l’oeil » pour se laisser bousculer.
pardonnez-moi si je ne comprends rien!