Dans une unité de soins palliatifs (USP), l’approche quotidienne de la mort invite à se rapprocher de la vie. Il y a nécessité de quitter ce qui est vanité, mondanité, superficialité pour se rencontrer en vérité, intensité, amitié. Cette « conversion » implique un dénuement, une pauvreté derrière lesquels se profilent immédiatement une véritable fécondité.
1- La pauvreté :
Qu’est-elle pour le malade, la famille, le soignant ?
Le malade
A l’USP, il est confronté à la privation maximale puisque c’est sa vie qui va lui être retirée. Atteint d’une affection de longue durée appelée cancer ou sida, le malade apprend librement ou malgré lui à se détacher au niveau :
- de son avoir : ses possessions, ses passions, ses constructions ;
- de son être : son identité, ses facultés, son langage, ses désirs ;
- de ses relations : familiales, amicales, sociales, professionnelles.
Jusqu’au bout, il se déleste du passé. Il n’est plus concerné par l’avenir. Il ne peut que se situer dans le présent, seul et face à l’inconnu.
Sa pauvreté se nomme : détachement, mise à nu, solitude.
La famille
La fin de la vie est radicalement différente de la vie quotidienne. Elle déloge la famille de ses habitudes et la propulse dans un ailleurs inconnu. Chacun doit trouver de nouveaux repères pour assumer l’étrangeté.
Eprouvée sur les plans physique, psychologique, social, spirituel, la famille se sent bouleversée, différente, impuissante. Elle est fragilisée, angoissée, culpabilisée. Elle ne sait que dire, que faire, que croire. Elle est abattue par une souffrance globale liée à la perspective de la séparation, de l’avenir sans l’être aimé. Sa vie n’a plus de sens.
Sa pauvreté se nomme absence, perte de repères, vide.
Le soignant
Certes, il a un savoir, une compétence, mais face à la fin de la vie il perd ses certitudes. Pendant l’agonie notamment, ses regards sont des questions : de quoi le malade a- t-il besoin ? Est-il confortable ? Souhaite t-il être seul ? Aimerait-il une présence ? Quelle est l’attitude juste ?
Pour ma part, ma position n’est pas plus facile : le malade n’a pas toujours le désir de parler de sa mort, je dois rester en retrait. Quand il me sollicite, telle une sage-femme qui prépare l’accouchement, je peux l’aider à se libérer des angoisses, des peurs, des culpabilités qui habitent son cœur pour qu’il parte en paix avec lui même et avec les autres
Mais la mort interrompt ce travail. Je fais alors l’expérience du passage entre une relation qui a la saveur d’une communion et l’absence d’une relation qui a le poids de certains silences. Il n’est pas facile de s’incliner et d’accepter ses limites.
Parallèlement, la cohabitation avec la famille et les autres soignants, exige souvent de mourir à soi- même pour laisser l’autre exister
Sa pauvreté se nomme silence, écoute, effacement.
2- La fécondité
A l’expérience, la pauvreté se révèle l’envers d’une médaille dont le revers est la fécondité. En effet, grâce à l’accompagnement réciproque, quand le dépouillement s’opère, quelque chose d’inattendu se passe pour le malade, la famille, le soignant.
Le malade
Il perd son apparence mais rejoint sa profondeur. Il est dépossédé mais comblé, dépendant mais libre. Il se sépare mais se relie. Il est meurtri mais rayonnant. Il est mourant mais vivant !
Son corps le trahit mais, s’il garde ses facultés et son esprit, la vie peut l’appeler à d’autres défis :
- A une guérison psychologique : tandis qu’il pense, se souvient, fait le point, souffre, imagine, se révolte, déprime, espère, partage, il peut donner sens à sa vie et préparer son « travail du trépas ».
- A une guérison spirituelle : dès qu’il se détache, ses questions existentielles trouvent des réponses. Il devient alors acteur dans ce passage vers la mort qui est, il est permis d’en faire le pari, naissance à une autre vie.
Sa fécondité est intériorité, lâcher prise, ouverture
La famille
Elle perd un être mais trouve son être. Scellée, sa parole émerge. Contenues, ses émotions s’expriment. Agitée, elle se calme. Terrassée, elle se relève. Eclatée, elle se rassemble. Elle perd et diminue mais gagne et grandit.
A l’USP, la souffrance n’est pas évitée mais elle est traversée parce que partagée. Passage obligé de tout travail de deuil, elle porte alors ses fruits qui se nomment prise de conscience, mutation, transformation. Pour chaque membre de la famille, un jour et au rythme de chacun, la lumière se fait et donne un autre relief à la vie.
La famille témoigne que « l’épreuve est redoutable mais qu’à travers ce grand bouleversement, elle grandit intérieurement ».
Sa fécondité est questionnement, approfondissement, croissance.
Le soignant
Il quitte le connu mais s’ouvre à l’inconnu. Il sait mais apprend, soigne mais écoute. Affairé, il se pose. Interrogé, il réfléchit. Sollicité, il répond. Interpellé il s’implique. Attristé, il relativise. Il quitte mais se rapproche.
Personnellement, je me questionne souvent : qui sont les mourants qui sont les vivants ? Car si j’aide les mourants à trépasser, bien plus que beaucoup de vivants, ils m’aident à me dépasser, à donner le meilleur de moi-même. Ainsi, ils m’ouvrent les portes de la Vie.
A son insu, la personne en fin de vie conduit souvent le soignant à faire le point sur ses valeurs personnelles : le sens de sa vie, la relation à soi-même, à l’autre, ou au « Maître de l’univers ».
Sa fécondité est relativité, échange, ouverture du cœur.
3- Vers l'infini
L’USP est un lieu spirituel car au cœur de ce paradoxe pauvreté-fécondité, malade, famille, soignant tendent vers un infini qui embrasse tout ce qui n’est pas fini ici-bas, sans doute pour le parfaire. Un infini qui fait la synthèse d’opposés complémentaires :
- l’intensité de la souffrance et la beauté de la compassion ;
- la violence de la mort et le baume de l’authenticité ;
- la force de la parole et la profondeur du silence ;
- la déchéance des corps et le perfectionnement des soins ;
- la cruauté des situations et la tendresse des relations ;
- l’angoisse de l’inconnu et la sécurité du connu ;
- la douleur et la douceur, les pleurs et les rires ;
- l’absence et la présence, la fragilité et le courage ;
- le retour sur soi et le partage, la gravité et l’humour.
Un infini qui trace en chaque personne une route au-delà d’elle-même, vers un lieu qui est unique et commun.
L’unité de soins palliatifs, berceau d’incessantes naissances est un réel lieu de vie quand chacun entend l’appel permanent et urgent de la rencontre entre le manifesté et le caché, entre le visible et l’invisible.
Pour approfondir, découvrez le livre de Suzanne Hervier, La mort réconciliée (DDB, 2005).
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Merci bcp Suzanne pour cette article!