Pour inaugurer ce nouveau thème, rien de tel que de le confier à l'inspiratrice de ce blog. Bonne fête à toutes les mamans !
Le mystère de la compassion que les mères vivent de manière toute particulière nous conduit à Marie. La compassion signifie Marie. Tel est le propos de Catherine de Hueck Doherty dont nous citons le texte suivant.
"Le mot qui me vient aujourd'hui est compassion, mais dans mon esprit – ou bien est-ce dans mon cœur ? – il s'écrit com-passion. (…) je me demandais : qu'est-ce que veut dire ce mot ? Où ce mot allait-il me conduire ? Il m'a conduit à Marie.
Quand je commençais à me rendre compte que j'étais "en route pour Marie", j'ai scruté le mot en lui-même tout en me rendant vers elle. Oui, compassion. Cela veut dire partager une passion, partager une souffrance, faire partie de la souffrance, de la passion. Finalement quand j'arrivais auprès de Marie, je me reposais à ses pieds et je la regardais, et je compris tout à coup ce que ce mot com-passion signifiait. Il voulait dire Marie.
Marie est venue au monde sans la tache du péché originel. Cela ne veut pas dire qu'elle n'a pas eu la liberté de choix entre le bien et le mal tout au long de sa vie. Elle a eu bel et bien cette liberté de choix ; autrement, son fiat n'aurait pas été donné librement – n'aurait pas été cette offrande d'une volonté libre qu'il a été. Je me rendis compte que sa vie avec Jésus, vie qu'elle a embrassée librement, n'avait pas été facile. Cela n'avait pas été facile parce qu'elle n'avait pas toujours compris le sens de bien des événement de sa vie. Qu'est-ce que signifiait la réponse qu'il lui avait faite, enfant, dans le Temple ? Qu'est-ce qu'il voulait dire quand il lui dit un jour qu'il n'avait ni frères, ni sœurs, ni mère. Non, elle n'a pas toujours compris, mais elle conservait toutes ses paroles dans son cœur, ce qui veut dire qu'elle l'aimait passionnément et qu'il était sa vie.
Marie était le silence, le calme, le recueillement même. Elle ne parlait pas beaucoup, car elle était aussi par excellence celle qui écoute, et c'est pour cela qu'elle pouvait conserver tant de ses paroles dans son cœur.
Ceux qui sont calmes, ceux qui écoutent, sont les enfants du Père, et font sa volonté. Marie était la mère du Fils, la fille du Père, l'épouse de l'Esprit Saint. Oui, elle était par excellence celle qui écoute, celle qui prie, celle qui se tait. Elle était aussi celle qui est libre, pure de cœur, et c'est pour cela qu'elle voyait Dieu. Oui, il est sûr que Marie a dû voir Dieu de bien des façons. Souvent de façon obscure, comme dans un miroir ; à l'occasion, peut-être, dans une aveuglante révélation d'amour. Mais ça, c'est de la spéculation. Ce qui n'est pas de la spéculation, c'est qu'elle a suivi le Christ dans sa passion.
Quand on considère la passion du Christ (…), on doit se demander : qu'est-ce que la passion ? La passion et l'amour se donnent la main. La passion fait étinceler et scintiller l'amour, le conduisant aux sommets escarpés d'immenses montagnes qui se trouvent dans le cœur des hommes mais qui ne peuvent être escaladées que par des amants passionnés. Ses racines sont l'amour, ses fruits sont l'amour. Le Christ nous a aimés passionnément, et certains d'entre nous lui rendent un amour passionné.
Passion veut dire en général souffrance. Rien d'étrange à cela. L'amour et la passion non seulement se donnent la main, non seulement escaladent les sommets escarpés des montagnes, mais sont enlacés l'un à l'autre. Il n'y a pas d'amour sans souffrance et pas de souffrance sans amour. L'une est inconcevable sans l'autre : l'amour sans souffrance est inconcevable.
Marie est entrée dans ce mariage de la passion et de l'amour que le Seigneur a accepté et par lequel il nous a rachetés. Pure de cœur, elle voyait Dieu. Elle l'a suivi, lui son Fils, jusqu'au pied de la croix et au-delà jusqu'au tombeau. Sa passion a été com-passion. Elle a partagé la passion de son Fils non seulement d'une manière physique mais aussi d'une manière spirituelle, émotionnelle, et profondément tragique.
Assise aux pieds de Marie, la regardant avec les yeux du cœur, je compris que s'était présentée à elle une fantastique question. Il lui avait fallu la foi pour accepter cette première annonce de l'ange qui lui disait qu'elle était pleine de grâce et que Dieu allait naître d'elle. Marie avait cette foi. Elle accepta, de son propre libre arbitre, d'être la mère du Messie. Sa foi fut encore mise au défi quand, du haut de la croix, elle entendit Jésus dire : "Femme, voici ton fils !", et à Jean : "Voici ta mère". Une fois de plus on lui demandait l'impossible – ou presque. Le Fils venu pour faire la volonté de son Père proposait à Marie cette même volonté du Père.
A ce moment il lui disait qu'elle devait devenir la mère de l'humanité, et qu'elle aurait à exercer sa com-passion sans interruption au cours des siècles, tout comme Dieu aurait à exercer sa miséricorde au cours des âges. Elle aussi, il lui faudrait pardonner à ceux qui aujourd'hui assassinaient son Fils et à tous ceux qui l'assassineraient de nouveau à chaque génération. La com-passion de Notre-Dame devait porter son fruit, le fruit du pardon, et à eux deux il revenait d'aider à guérir l'humanité. Oui, (…) le rôle de Marie m'est apparu un peu plus clairement.
Je me suis souvenue que beaucoup m'avaient demandé ce qu'était la compassion. Je sentais qu'à présent j'étais en mesure de leur répondre. C'était Marie, Marie qui a éprouvé la passion de son Fils comme personne d'autre ne l'a fait. Elle a éprouvé au sens propre la com-passion – elle a pris part à la passion de son Fils. Elle a partagé son amour passionné pour l'humanité et le genre humain, et elle a partagé sa souffrance !
"Amour passionnée pour le genre humain" et "souffrance". Ces deux réalités furent comme le calice que le Père a présenté au Christ et auxquels les hommes s'abreuveraient : ils sauraient alors qu'il leur avait pardonné. Le pardon lui aussi est le fruit de l'amour. L'incroyable, incompréhensible amour de Dieu est rempli de pardon. Le même calice a été donné aussi à Marie. D'une certaine façon, dans l'incroyable mystère de la conduite de Dieu à l'égard des hommes, il a été demandé à cette femme de prendre sa part de l'amour, de la souffrance, du pardon et de la guérison dont son Fils faisait l'expérience sur la croix.
Parce que Marie a accepté ce rôle, si c'est bien un rôle, elle est devenue la mère des hommes, et les hommes ont compris qu'ils ne pouvaient traverser la vie sans elle. Les hommes ont besoin d'autres êtres humains, et par-dessus tout ils ont besoin d'un être humain qui soit tendre, compatissant, attentif. Ils ont besoin d'une femme qui puisse leur apprendre le pardon parce qu'elle a pardonné de tout son être. Elle avait pardonné avec le pardon de son Fils. Oui, cela pourrait leur apporter la guérison, car en vérité rien ne peut guérir comme le fait une femme."
Catherine de Hueck Doherty, Le désert au coeur des villes : Poustinia, Paris, Le Cerf 1976
En lisant ce texte, j'ai vu défiler sous mes yeux le visage de toutes ces mères que je rencontre quotidiennement à l'hôpital. En effet, mon travail de médecin dans un service de pédiatrie universitaire me donne d'être témoin chaque jour de cette compassion qu'elles vivent auprès de leur enfant malade. Ces mères attentives, tout à l'écoute de leur enfant, de ses symptômes et de ses besoins. Ces mères qui s'oublient complètement elles-mêmes pour être totalement présentes à l'enfant. Catherine de Hueck parle de l'amour qui naît de la souffrance. A l'hôpital, c'est un fait bien réel, incarné. Il me semble que les enfants malades sont rarement malheureux. Souvent, il leur est donné d'expérimenter dans ces circonstances de la maladie un amour et une attention tous particuliers, une communion avec leurs proches. Lorsque ce besoin fondamental n'est pas comblé, alors tout est différent! Ces derniers mois, nous avons eu dans le service un bébé de 6 ou 7 mois, dont la maman était toujours absente. Un jour où j'étais de garde, je l'ai entendu pleurer et je suis entrée dans la chambre, un peu empruntée (d'ordinaire, les mamans sont présentes !), me demandant comment j'allais bien pouvoir le calmer. Eh bien, le simple fait que je sois présente dans la chambre a suffi pour le calmer. Et l'infirmière qui arrivait juste derrière moi m'a expliqué que c'était toujours ainsi: l'enfant s'arrêtait de pleurer dès que quelqu'un était à ses côtés… Cela suffisait. Je suis toujours frappée de voir à quel point l'enfant malade est lui-même souvent peu affecté par sa maladie. C'est comme ça. Ca fait partie de son univers. La plupart du temps, ce sont les soins prodigués qui le font souffrir bien davantage: le médecin lui fait peur, la prise de sang est pour lui un événement presque insurmontable, la perfusion l'entrave dans ses mouvements… Jusqu'à un certain âge, il ne peut comprendre que c'est pour son bien ! Mais ce qui lui permet d'aller au bout, de vivre tous ces événements douloureux, dont il ne peut percevoir le sens, c'est la présence de ses parents en qui il a confiance. Pour moi, c'est une grâce d'avoir tous ces exemples sous les yeux. Se mettre à l'école de ces mamans, entrer dans leur regard et dans leur attention…
Merci Sophie pour cette magnifique contribution. C’est ce que le p. Thomas Philippe appelait « la conscience d’amour ». Ce besoin de la communion et de l’amour manifeste ce que nous sommes au plus profond.