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Nikifor : le petit peintre était un grand maître

L'Allemagne met à l’honneur les naïfs au cours d’une exposition intitulée : “Les grands naïfs à l’ombre de l’avant-garde” (Folkwang Museum, Essen). Parmi les peintres exposés se trouve le polonais Nikifor Krynicki. Qui était ce personnage énigmatique ?

Les habitants et visiteurs du village polonais de Krynica (Pologne) ont conservé le souvenir vivant de l’avoir vu plus d’une fois dans les rues et sur les places. Tous les jours, il posait son regard singulier sur le monde et peignait de petits cartons représentant son cher paysage de montagne traversé par la voie ferrée, avec au loin, la petite église orthodoxe. Fortement enraciné dans la terre de ses origines, il faisait lui-même partie de ce paysage et de la culture de Pogranicze, si particulière, se trouvant pourtant au croisement des pays et des langues.

Qui était-il et d’où venait Nikifor Krynicki (1895-1968), de son vrai nom Epifaniusz Drowniak ? Durant de longues années, il est resté inconnu, même de ceux qui le rencontraient tous les jours. Orphelin à l’âge de 8 ans, il était marqué par un fort déficit de la parole et de l’ouïe qu’il avait hérité de sa maman, une femme sourde et muette, extrêmement pauvre et humble. Pour les gens, il était un être étrange, incompréhensible et différent. Quelques uns voyaient en lui ce que la tradition orthodoxe appelle un « fol en Christ », le saint, le prophète qui, au travers de sa folie et de son originalité, ou de son extrême pauvreté, est plus proche de Dieu.

La rumeur raconte que son père aurait été un célèbre peintre polonais, hébergé jadis dans une des villas de Krynica, lieu de villégiature de beaucoup d’artistes. Sa mère, quant à elle, était une Lemkowie, ce peuple de cette région montagneuse résultant d’un mélange entre les influences polonaises, russes et ukrainiennes. Persécuté par l’intolérance et l’incompréhension des gouvernements communistes, transporté et dispersé dans la partie occidentale de Pologne durant les années 1947-1950, afin d’être assimilé, ce peuple a pourtant su conserver sa propre culture et sa propre langue, même si de nos jours, elle a pratiquement disparu.

Nikifor, expulsé par trois fois de sa terre, revenait toujours. Le lien avec sa terre, ses racines, était plus fort que n’importe quelle décision politique arbitraire. L’appartenance à la terre était la seule identité qu’il avait. C’était son monde. Cela faisait partie de sa personne et lui-même faisait partie de ce monde.

Et cette partie était celle qui a été tant de fois représentée dans plus de 40.000 œuvres, le fruit d’un incessant travail, l’accomplissement de sa vocation de peintre, la mission de toute une vie. Bien que souvent la pauvreté le mettait dans une situation extrême, il n’a jamais cessé de peindre. Il travaillait sur de petites feuilles de papier, des bouts de carton, des boîtes d’allumettes, des couvertures de cahier. On peut aussi trouver beaucoup de dessin recto-verso, ce qui révèle les nombreuses difficultés qu’il rencontrait pour trouver le matériel dont il avait besoin. Bien que la majeure partie de ses dessins représentent Beskid, nous ne trouverons pas deux tableaux identiques. Il avait une telle fécondité qu’il ne pouvait pas copier. Il avait toujours un regard nouveau sur la réalité qui lui était familière. Un regard qui reflète une grande richesse intérieure, cachée sous les apparences d’un être pauvre et limité aux yeux du monde…

Découvert dans les années 50, ce regard a été présenté dans des expositions d’art primitif. Il y rencontra des avis positifs et fût bien reçu par la communauté des peintres polonais ainsi que par les étrangers. La ligne noire caractérisitique, le contour des dessins et la capacité d’obtenir des couleurs uniques, les vastes gammes harmonieuses furent l’objet de l’admiration de beaucoup. 

Peu de temps après, Nikifor est tombé malade. Atteint de tuberculose, il a vécu les dernières années de sa vie soigné par un autre peintre polonais, Marian Wlosinski. Ce dernier, n’ayant jamais été reconnu, a dédié toute sa vie à Nikifor en le recevant d’abord dans sa maison, comme un membre à part entière de sa famille, puis, après sa mort, en faisant connaître au monde l’œuvre du grand maître Nikifor (nous pouvons voir l’histoire de cette belle amité dans le film Moj Nikifor de K. Krauze, 2004). Comme beaucoup il avait été captivé par le monde fascinant de Nikifor.

 

Extrait du film : Mon Nikifor (2004), film polonais de Krzysztof Krauze

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