Dans notre mentalité contemporaine, la conscience s’exprime souvent par opposition à toute forme d’autorité. Sa dignité consiste plutôt à rendre témoignage à la vérité. Quelques extraits d’un enseignement magistral sur le Cardinal John Henry Newman donné à Turin en 1991 par celui qui était alors le Cardinal Joseph Ratzinger.
Qui ne se souvient de cette phrase célèbre de Newman au duc de Norfolk : « S’il me fallait porter un toast à la religion – ce qui est hautement improbable – je boirais au pape. Mais d’abord à la conscience, et ensuite seulement au pape ». […] Cette vision du rôle du pape ne peut être perçue correctement que dans la mesure où ce rôle est considéré conjointement avec le primat de la conscience : l’autorité du pape ne s’oppose pas à la conscience mais est fondée sur celle-ci tout en étant son garant. […]
La conscience ne signifie pas pour Newman la norme du sujet vis-à-vis des exigences de l’autorité dans un monde dépourvu de vérité et vivant de compromis entre les prérogatives du sujet et celle de l’ordre social. Bien au contraire, c’est la présence intelligible et impérative de la voix de la vérité dans le sujet lui-même. La conscience, c’est l’abolition de la subjectivité pure par le contact de l’homme intérieur avec la vérité divine. […]
Deux normes authentifient un jugement de conscience : ce n’est pas une affaire de goût ou de désirs personnels ; il ne coïncide pas avec un opportunisme social, avec un consensus de groupe, des revendications d’ordre politique ou le pouvoir social. Une personne ne doit pas acheter sa réussite ou son bien-être en trahissant la vérité qu’elle a appréhendée. L’humanité non plus. […]
L’homme, en tant qu’homme, est caractérisé non par [sa capacité de puissance] mais en ce qu’il s’ouvre à la voix de la vérité et à ses exigences, et qu’il s’enquiert du devoir [à accomplir]. Il me semble que ceci constitue le dernier mot du combat de Socrate et l’expression la plus profonde du témoignage de tous les martyrs. Ils se portent forts de l’aptitude de l’homme à la vérité en tant que limite de tout pouvoir et garantie de sa ressemblance divine. En ce sens, les martyrs sont les grands témoins de la conscience, de la capacité octroyée à l’homme de saisir le « devoir » par-delà le « pouvoir » et ainsi d’ouvrir de réelles perspectives vers une montée effective. […]
Il existe une tendance intérieure apte au divin chez l’être humain créé à la ressemblance de Dieu. Par son origine, l’homme se trouve en harmonie avec certaines choses et en contradiction avec d’autres. […] Elle est comme un sens intérieur, une aptitude à la reconnaissance qui permet à l’homme intérieur, mais non dissimulé, ainsi interpellé, d’en reconnaître l’écho en lui. Il constate : c’est cela vers quoi mon être est ordonné et tend. […]
L’amour de Dieu, concrétisé dans les commandements, ne nous est pas imposé de l’extérieur, mais nous est infusé par avance. Saint Augustin formule ceci en disant que le sens du bon est imprimé en nous. C’est seulement à partir de là que l’on peut saisir correctement la phrase célèbre de Newman : le pape ne peut imposer des commandements aux catholiques, parce qu’il le veut ou le juge utile. Cette conception moderne et volontariste de l’autorité ne peut que contrefaire le véritable sens théologique de la papauté. L’essence profonde du ministère de Pierre est aujourd’hui devenu totalement incompréhensible parce que justement, nous ne pouvons plus penser l’autorité qu’en terme d’absence de pont entre sujet et objet, et par conséquent, tout ce qui ne vient pas du sujet ne peut être qu’une détermination étrangère, imposée de l’extérieur. […] L’anamnèse de notre être a besoin comme d’une aide extérieure afin de pouvoir prendre conscience d’elle-même – un facteur extérieur qui cependant ne lui est pas opposé, mais ordonné. Il possède une fonction maïeutique ne lui imposant rien d’étranger, mais au contraire, lui procurant ce qui lui appartient en propre, c’est-à-dire une ouverture personnelle en vue de l’accomplissement de la vérité. Là où il est question de foi et de l’Église, dont la portée s’étend du logos salvifique au don de la création, nous devons toutefois considérer un plan supérieur, particulièrement développé dans les écrits johanniques. Saint Jean connaît l’anamnèse du nouveau nous qui, dans l’incorporation au Christ nous est échue en partage (un corps, c’est-à-dire un moi avec lui). « C’est en se rappelant qu’ils comprirent » : ces mots se retrouvent à maintes reprises dans l’Évangile. […]
Le sens véritable de l’autorité de l’enseignement papal vient de ce qu’il est l’avocat de la conscience chrétienne. Le pape n’impose pas de l’extérieur mais développe la mémoire chrétienne et la défend. C’est pourquoi, il est juste que le toast à la conscience précède celui destiné au pape, car sans conscience, il n’y aurait pas de pape. Tout son pouvoir est celui de la conscience – service du double souvenir sur lequel repose la foi qui sans cesse doit être unifiée, élargie et défendue contre la destruction de la mémoire, un danger rendu présent aussi bien par une subjectivité oublieuse de ses propres fondements, que par la contrainte du conformisme social et culturel.
Ah ! La jeunesse ! Relire cet enseignement de Ratzinger me fait plonger en arrière, au temps où j'étais encore jeune et … pas très beau (subjectivement, j'entends !) Car j'étais abonné à cette formidable revue "30Jours", dans sa version française, et elle proposait chaque mois plusieurs enseignements de premier brin, des analyses de géopolitique, des disputatio de haut niveau, des textes des Pères de l'Eglise, des nouvelles du catholicisme en dehors de notre pré carré franchouillard qui subissait à plein les imbécilités de toutes sortes d'un clergé et d'une majorité de gogos qui trouvaient "à gauche", si l'on peut réduire tout cela à un lavage de cerveau de type marxiste, de la nourriture type mac-do qui les a progressivement éloignés de plus en plus de la Confession catholique.
Et j'ai fait lire à tous ceux de mes enfants en âge de comprendre ce document d'une pénétration, d'une clarté, d'une rigueur logique, qui permettaient de classer Ratzinger parmi les plus grands penseurs du XXè, parmi les plus grands théologiens catholiques, parmi les plus emballants pour une comprenote moyenne comme la mienne qui ne demande qu'à être enseignée dans la Vérité.
Et la référence à Newman est d'autant plus remarquable quand on sait l'intelligence du personnage, son érudition chrétienne, son rejet absolu de tout ce qui était catholique, comme il le dit en 1844, au seuil de sa conversion "Personne ne peut avoir une opinion plus défavorable que la mienne sur l'état actuel des catholiques romains" !!!!
Mais Newman qui avait demandé quelques années auparavant à Dieu "de le guider, lui qui aimait, jusque là, choisir et comprendre ses chemins", cet homme qui jouissait d'une aura formidable auprès des siens, cet homme a préféré la vérité à la bonté, a mis en évidence la primauté de la vérité sur le consensus, sur la capacité d'accommodement du groupe.
Et c'est ce point, notamment, qui va faire dire à Ratzinger qu'un "homme de conscience est quelqu'un qui n'achète jamais, au prix de la renonciation à la vérité, le consensus, le bien-être, le succès, la considération sociale et l'approbation de la part de l'opinion dominante"
Aïe ! Aïe ! Aïe ! Newman, reviens, s'il te plaît ! Vite !
Car dans le traitement de cette petite, si petite, toute petite, Communauté que représente Point Coeur, tant de hargne se manifeste, tant de coups bas, tant de mensonges, même les plus hardis, qu'on en est stupéfait et qu'on comprend que ceux qui s'acharnent ainsi ont, au moins sur cette question, vendu leur sens de la vérité et de la justice aux intérêts mondains.
Cet enseignement est donc à lire, relire, méditer et transmettre, tant l'abdication par nos contemporains de toute idée de conscience, de sa signification exacte et de ses applications immédiates, porte des fruits de plus en plus amers que seule une adhésion au Christ permettrait de transformer en sève féconde pour eux et pour le monde