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« Déployer des soldats dans la rue ne sert à rien »

Elie Barnavi intervient sur la comparaison entre l’état d’urgence permanent en Israël et celui qui commence en Europe. Historien et ancien ambassadeur d’Israël en France, opposant à l’actuel premier ministre Benyamin Netanyahou, il répondait aux questions du journaliste de RTS (Suisse).

Sur la comparaison entre Israël et la France

« Pas grand-chose n’est comparable (entre la situation en Israël et celle de l’Europe, ndr). D’abord parce que le terrorisme n’est pas de même nature. Il est ici beaucoup plus ciblé, nous savons à qui nous avons à faire, c’est un combat tout compte fait d’essence nationale. En Europe, c’est beaucoup plus diffus, la menace est partout. Deuxièmement, il ne faut pas oublié que nous sommes une île, nous sommes entourés de pays plus ou moins hostiles, nos frontières sont scellées, on ne passe pas, ou on passe très difficilement, ça n’a rien à voir avec l’Europe qui est une passoire, c’est un espace ouvert. Troisièmement, enfin, nous sommes un état de droit, certes, mais un état de droit en situation d’urgence permanente, depuis la naissance de pays, ce qui fait que nous nous permettons des choses que l’Europe n’a pas encore appris à apprivoiser. Peut-être à juste titre, je n’en sais rien, je ne rentre pas pour l’instant dans ce genre de considérations. Mais toujours est-il que ce sont deux situations complètement différentes.

Il y a aussi des ressemblances évidement. Les menaces physiques sont les mêmes. Donc on prend le temps, l’argent, les nerfs, ce que vous avez mentionné, c’est important et surtout un certain nombre de techniques que l’Europe commence à mettre en pratique (…). »

Sur la possibilité d’un état d’urgence permanent en France

« Ce sont des cautères sur une jambe de bois. L’état d’urgence ne sert strictement à rien (…). Je dirais que c’est une espèce de mesure d’anesthésie publique. Je comprends que le gouvernement français cherche à calmer la population, c’est sympathique d’avoir des militaires dans la rue, mais ça ne sert à rien sur le plan du terrorisme. Les touristes ici (en Israël, ndr), vous disent qu’il n’y a pas de troupes dans la rue, on ne voit rien. Il n’y a pas non plus d’état d’urgence sauf une vague définition qui remonte au mandat britannique.

L’état d’urgence en France était en vigueur au moment où le tueur de Nice a perpétré son forfait, ça ne l’a pas empêché de le faire. Mettre des troupes ou même, comme je l’ai vu à Bruxelles, des véhicules blindés dans les rues de la capitale, c’est grotesque. Ça n’a jamais rien empêché. Ça peut empêcher des pickpockets, la sécurité des biens a augmenté, mais je suppose que ce n’est pas ça qu’on cherche (…). »

Sur les méthodes de lutte contre le terrorisme

« Tout se base sur la prévention, le renseignement, la rapidité de réaction, la capacité d'infiltrer les réseaux, tout se passe en amont. Mais il faut aussi des forces très ciblées, très professionnelles, très restreintes, qui ont une forte capacité de réaction et que l'on ne voit pas par définition. J’ai été militaire une bonne partie de ma vie, je me demande ce que j’aurais fait dans ce cas là, armé, casqué, dans les rues de Tel-Aviv our de Jérusalem, pour garder quoi ? Pour se garder contre qui ?

Cela prend du temps pour apprendre, mais les services de sécurité français sont très performants, il faut qu’ils s’organisent et ils finiront par en venir à bout, ou du moins à maîtriser l'essentiel du terrorisme (…). »

Sur la protection des frontières Européennes

« Je crois que l’Europe c’est quand même ce qu’on a fait de mieux comme saut de civilisation depuis longtemps. Il ne faudrait surtout pas verrouiller les frontières. Encore une fois, cela ne sert à rien dans un pays comme l’Europe. Ici nous avons la mer d’un côté et le désert de l’autre, on peut mettre des barrières électrifiées, je ne vois pas comment vous allez faire en Europe. Au contraire, faire l’Europe de manière conséquente en laissant ouvertes les frontières intérieures, mais évidemment en renforçant et en respectant les frontières extérieures, ce qui ne s’est jamais fait. C’est le défaut de fabrication de l’Europe, tant sur le plan de la monnaie que sur celui de Schengen : on a mis la charrue avant les bœufs, on a créé un espace commun avant de sécuriser les frontières extérieures. Ce que je vous dis là est banal, pardonnez moi, mais il faut le rappeler de temps en temps. De la même manière on a créé une monnaie commune et unique avant de mettre en place la souveraineté qui allait avec. C’est comme ça que vous avez créé deux entités qui n’existent pas dans l’histoire humaine : une monnaie et des frontières sans souveraineté. Et c’est ça qu’il faudrait faire, non pas faire moins d’Europe en dressant des barrières, mais d’avantage en créant enfin quelque chose de cohérent. »

Les conséquences du terrorisme en Israël

« L’effet du terrorisme a été dévastateur d’abord parce qu’il a anesthésié sinon tué le camp de la paix. Ce qu’on appelle la deuxième intifada, celle qui a commencé à la fin de l’année 2000, a littéralement rendu muet le camp de la paix. Une violence insensée, aveugle… Allez expliquer après cela qu’il faut faire la paix avec les voisins… L’opinion publique était déboussolée, d’autant plus que le gouvernement en place n’avait pas vraiment envi de la paix (Ariel Sharon) (…).

Ce qui est certain c’est que le gouvernement de droite en Israël se sert du terrorisme pour empêcher toute avancée. De ce point de vue là, le terrorisme a été l’arme de lutte pour l’indépendance nationale la pire que les palestinien aient pu imaginer. On ne bat pas une entité comme Israël par le terrorisme. Ils sont incapables de faire la guerre, comme le FLN en Algérie ou le Viet-Kong au Vietnam. Faire du terrorisme contre des civils c’est non seulement moralement inexcusable, mais c’est surtout politiquement absurde, et ça nous tous mis dans le mur.

C’est ce que j’essaie d’expliquer à mes amis palestiniens depuis des années : Nous ne sommes pas dans une situation coloniale en Israël. Nous le sommes dans les territoires occupés, mais pas en Israël. C’est inutile de plier Israël par la violence vous n’y arriverez pas. Dans ce domaine comme dans d’autres, nous sommes meilleurs que vous. Il faut donc choisir d’autres moyens de lutte. Et il y en avait. Si les palestiniens avaient conduit leur combat national de manière plus intelligente, ils auraient un état palestinien aujourd’hui, ça je l’affirme, j’en suis persuadé. Ils ont choisi le terrorisme. Or le terrorisme, non seulement cela se combat, mais cela soude les gens. (…). On peut le voir en France, on peut dire ce qu’on veut du gouvernement, ils ont eu tort ici où là, mais le comportement des français dans l’ensemble a été admirable. Je ne sais pas ce qui va se passer demain, mais ils ont fait preuve de calme, de cohésion nationale, de civisme. Donc, ça ne sert strictement à rien, sauf à se faire plaisir en terrorisant les gens. De ce point de vue là aussi, le terrorisme a été une catastrophe, une catastrophe morale, politique, nationale, etc. (…). »

Les liens encore existants entre Israéliens et palestiniens

« On le sait très peu en Europe, mais il y a des liens. On ne se parle pas autant qu’on se parlait avant l’intifada, disons, dans la foulée des accords de Camp David (…). Moi-même, j’ai enseigné pendant trois années consécutives à l’université Al-Quds. Je suis juif, israélien, sionistes, et je donnais des cours à l’université palestinienne des plus militantes qui soit et ça s’est fort bien passé (…).

Ce que l’on perçoit mal de l’extérieur c’est l’immense écart entre les discours officiels et militants et la manière avec laquelle les gens se parlent sur le terrain. Mes étudiants, aussi radicaux fussent-ils, ils avaient un rêve immédiat, c’est d’aller à Tel-Aviv, d’aller à la plage se baigner et voir des filles à Tel-Aviv. Ce sont des rêves humains, les gens veulent vivre. Et au lieu de bâtir sur ce rêve là, qui est le rêve le plus partager, vivre tout simplement, on excite des passions collectives mauvaises et c’est ainsi que le nationalisme nait. Et nous sommes dans une période de nationalisme exacerbé. Or je tiens que le nationalisme est une pathologie de l’âme humaine collective (…). »

Entretien publié le 3 août 2016.

(Ecouter l'entretien sur RTS)

 

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