La Sainte Face de Manopello, petite ville des Abruzzes, est pour beaucoup le véritable voile avec lequel Sainte Véronique a essuyé le visage du Christ. D'où vient-il réellement ? Si le voile est bien la relique tant vénérée au Moyen-âge, celle-ci est-elle authentique ? Quel sens a-t-il pour la foi de l'homme contemporain ? Voici quelques extraits d'une conférence de Raffaela Zardoni donnée en novembre dernier en Italie à Cologno Monzense.
Sainte Face de Manopollo, photo: EWTN/Paul Badde
Benoît XVI contribue à renouveler l'intérêt pour la relique
La Sainte Face de Manopello (il Volto Santo de Manopello) est un visage mystérieux appliqué sur une toile délicate que les capucins conservent précieusement depuis plus de quatre siècles. En 1999 le Père Pfeiffer, professeur d’histoire de l’art à l’Université Grégorienne (Rome), affirmait qu’il pourrait s’agir de la « Véronique romaine », une des reliques les plus populaires du Moyen-Âge. Sa déclaration ainsi que la visite du pape Benoît XVI en 2006 attirèrent de nouveau l’attention sur ces portraits dits acheiropoïètes (du grec : « non fait de mains d’hommes »), représentations qui auraient été réalisé du vivant du Christ.
Le pape Benoît XVI à Manopello :
Un témoignage de l'Incarnation ?
Est-ce l'effort de l’homme pour remonter le temps afin que son regard devienne contemporain de celui du Christ ? Ou bien est-ce, comme l’affirment les Pères de l’Eglise, le Christ lui même qui aurait véritablement transmis son image à l’Eglise ?
De tous ces visages du Christ, deux sont encore représentés dans toutes les églises chrétiennes : le Mandylion dans les églises orientales, il s'agit du tissu sur lequel le Christ aurait laissé son image à la demande du roi Abgar, et le voile de Véronique, dans nos églises occidentales, réalisé au cours des stations du chemin de Croix.
Durant la controverse iconoclaste qui divisa l’église orientale au huitième siècle, tout le conflit était centré sur le mystère du Christ.
Pour ceux qui défendaient les images, nier la possibilité de représenter le Christ revenait à nier la réalité de l’Incarnation. Il demandaient à ceux qui refusaient cette possibilité : « comment pourra-t-on reconnaître le Christ lorsqu’il reviendra si nous perdons la mémoire de ses traits personnels ? »
Une hypothèse identifie le Mandylion oriental avec le Saint Suaire de Turin. De fait, en 1204, avec le sac de Constantinople, cette relique disparaît et son histoire semble se déplacer en occident.
L’occident et la Sainte Face du Christ
Dans l’Europe médiévale on trouve une représentation de la Sainte Face du Christ conservée dans la basilique Saint Pierre au Vatican. La relation entre le peuple et cette Face apparaît en plusieurs occurrences chez Dante qui appelle le voile romain : « Notre Véronique », le pronom possessif indiquant ici une relation affective et personnelle.
Au Moyen-âge l’idée selon laquelle le Visage du Christ est la vérité de notre propre visage était très répandue. C’est pourquoi il était recommandé de venir souvent en présence de la Sainte Face. On se rendait en pèlerinage pour contempler le Christ en sa « véritable icône », comme le relate Dante dans la Vita Nuova : « A notre époque, beaucoup de gens vont voir cette image bénie que Jésus nous laissa comme exemplaire de sa belle figure ».
On retrouve à tous les carrefours de l’Europe la reproduction de ces « Véroniques » qui sont comme les panneaux indicateurs du chemin vers Rome.
Un aliment pour les yeux
Pour beaucoup d’historiens, ces pèlerinages commencent en 1216, peu après l’instauration d’une procession avec la relique effectuée au cours du dimanche suivant l’Epiphanie. La liturgie de ce jour était dédiée aux Noces de Cana et faisait le lien entre l’image du visage du Christ et l’Eucharistie. La contemplation de la « Véronique » se définissait en effet comme « un aliment pour les yeux ».
Mais que signifie « un aliment pour les yeux » ? Saint Ambroise soulignait que le regard du Christ avait la puissance de provoquer les larmes de saint Pierre après son reniement. De même saint Jérôme écrivait : « Si le Christ n’avait pas eu en son visage et en ses yeux un resplendissement stellaire, les apôtres ne l’auraient pas suivi avec une telle détermination ».
De même, le réalisateur Andrei Tarkovsky, dans Andrei Rublev, compare la relation qui s’instaure à travers le regard à l’Eucharistie, il s’agit pour lui de la rencontre avec la divinité cachée : « On se sent fatigué et découragé, et on comprend qu’on est prêt de tomber. Alors, de manière inespérée, on croise son regard mêlé à l’autre regard humain et c’est comme si on avait communié et qu’on se sentait réconforté, comme si on nous avait enlevé un poids des épaules ».
Sur le mot "Véronique"
On ne sait pas avec certitude quand elle arriva à Rome. Le nom de Véronique serait, selon la tradition, un anagramme de « vera e ikon », véritable icône. Les représentations les plus anciennes montrent le voile avec le visage du christ, ou le voile soutenu par les anges. C’est seulement à la fin de l’année 1200 qu’on commence à représenter aussi la femme, Véronique, qui soutient le voile et c’est depuis lors que le nom de Véronique indique aussi bien la relique elle-même que celle qui la présente.
Sainte Véronique
On la rencontre dans les évangiles apocryphes, où il est relaté que la femme fut guérie par Jésus de ses hémorragies désirait son portrait pour pouvoir se souvenir de son Visage. Comme pour le Mandylion, la première légende situe son impression dans les ours de la vie publique du Christ. Mais en occident, avec saint Bernard et saint François se diffuse une dévotion profonde pour la passion du Christ et il est probable que les auteurs médiévaux voulurent voir une relation entre la passion et l’impression du voile. C’est en France qu’on retrouve une première version de la rencontre de Véronique sur le chemin du Calvaire : le don du Christ n’est pas tant sa réponse à la femme guérie qu’une récompense offerte par le rédempteur au geste de compassion d’une femme qui l’aima jusqu’à mettre sa vie en danger pour le réconforter.
Après la réforme catholique, la relation à la « Véronique romaine » change. On ne sait rien aujourd’hui de la relique qui, depuis le début du seizième siècle, est conservée sur le pilier de la coupole projetée par Michel-Ange. Mais se silence ne concerne pas que la relique romaine. De fait, si on entrait dans l’église au Moyen-Âge pour contempler le Visage du Christ, dés lors, l’espace liturgique invite plutôt à élever les yeux vers un ciel habité par Dieu, mais le Dieu fait homme n’apparaît plus aussi facilement comme l’ami qu’on regarde dans les yeux.
La Véronique vu par les écrivains
Beaucoup d’auteurs déplorent cette perte. Parmi eux, on trouve le poète argentin José Luis Borges :
« Les hommes perdirent un visage, un visage irrécupérable et tous voulurent redevenir ce pèlerin qui, à Rome, regardait le Suaire de Véronique et murmurait : « Jésus-Christ, mon Dieu, ton visage était donc ainsi ? ». Nous avons perdu ces lignes comme se perd l’image en un caléidoscope. Nous pouvons le voir, mais plus le reconnaître. Il se peut qu’une trace de ce Visage crucifié se conserve en chaque miroir ; il se peut que le Visage soit mort, ait disparut, pour que Dieu soit tout en tous. » (traduction libre, ndt).
Dans une de ses dernières poésies, Borges décrit encore le Christ comme le Visage caché, dans l’obscurité, invisible pour lui et dit :
« Je ne le vois pas et je m’obstinerai à le cherche jusqu’à mon dernier pas sur cette terre ». (traduction libre, ndt).
Dans ce contexte, au seuil du vingtième siècle, Secondo Pia dévoile les premières photographies du Saint Suaire. L’impression que fit le négatif des photographies fut forte et leur diffusion immédiate. Depuis la France, la « véritable icône », redevint l’objet de la nostalgie de l’homme, et provoqua ce mouvement de piété qui dure encore aujourd’hui.
Sainte face ; BUFFET, Bernard ; 1953 intaille imprimée, Tate Collections (source)
La découverte de ce visage sur le Saint Suaire attira l’attention sur le « voile de Véronique ». Pour Charles Péguy, Véronique est le symbole de la manière avec laquelle l’homme d’aujourd’hui peut devenir chrétien : non tant à travers une tradition qui lui semble désormais incompréhensible, mais parce qu’on le rencontre par hasard, sur le même chemin que parcouru le Christ. De même l’écrivain américain Jack Kerouac, dont l’œuvre manifeste avec insistance le désir de voir Dieu, raconte la rencontre de cette femme avec le Christ :
« Douleur… une femme sort de la foule avec un linge propre, ou un voile, elle essuie le visage de Jésus, comme le facteur Brown se fait prêter un mouchoir par un inconnu au marché International de Chicago, et sur la toile reste imprimée la marque du visage, la sueur et le sang, et cette femme, lorsqu’elle retourne à sa place, incrédule, regarde le voile, le plie sous son bras comme un drapeau et se met à courir, et alors, au milieu de l’obscurité (la tempête et le tremblement de terre se préparant), elle l’ouvre pour voir si les couleurs, le sang et les traits ne se sont pas mélangés : mais non, le visage de Jésus est imprimé sur la toile et elle la regarde, terrible, lumineux dans la nuit, et elle crie qu’elle ne sait pas quoi faire… elle tombe. Elle est tpar terre, elle s’agenouille, elle voudrait que son mari soit là pour l’aider à porter le voile à la maison, pour le recueillir dans son lieu à elle, comme un morceau de chair morte, mais le mari n’est pas là et elle ne sait pas où il est, et Son visage si pacifique et soufrant la regarde depuis la terre sale… » (traduction libre, ndt).
La même année, saint Jean Paul II dans la poésie « Rédemption », dialogue avec la Véronique :
« Le linge dans tes mains si obscures attire à lui toutes les inquiétudes du monde. Chaque créature interrogera la source féconde qui jailli de toi. Véronique, notre sœur ». (traduction libre, ndt).
Mais Wojtyla continue, non seulement l’homme demande à Véronique le voile, mais également, le Christ a besoin de Véronqiue pour se rendre jusqu’à nous :
« La rédemption cherchait ta forme pour entrer dans l’inquiétude de chaque homme ». (traduction libre, ndt).
Comme il a été dit, en 2006, Benoît XVI attira l’attention du monde sur ce visage depuis lequel : « le regard mystérieux ne cesse pas de se poser sur les hommes et sur les peuples ».
Carractéristiques du portrait
Mystérieux et unique en ses caractéristiques : c’est le seul portrait sur un voile qui parvient à notre époque, si on le regarde de face, l’image semble disparaître entre les fibres, mais on peut le contempler de biais. Il possède les mêmes blessures que le visage du Saint Suaire : le nez est cassé, la joue déformée, sur la paumette, l’hématome est évident, la bouche est ensanglantée et enflée. Mais malgré cela, le visage sur le voile paraît unir la souffrance de la passion et la beauté du visage transfiguré. Selon la lumière, la sainte Face apparaît livide et peureuse ou lumineuse et sereine…
Une présence humaine
La présence du Christ parmi nous est une présence humaine : ses œuvres ressemblent aux nôtres, pour cette raison, je crois que la question demeure ouverte pour toujours de savoir si ces visages sont des œuvres humaines ou des dons.
Déjà, dans la vie de sainte Brigitte, on lit qu’à l’époque où la sainte était à Rome pour le jubilée de l’année 1350 :
« durant l’ostention de la « Véronique » un gentilhomme danois n’eut pas de honte à confesser qu’il ne tenait pas pour vrai ce qu’il voyait et que le vénérer était une folie ; à entendre ces paroles, sainte Brigite très troublée se mit en prière, durant laquelle l’Epoux céleste lui apparut et lui dit : « qu’à dit ce fanfaron arrogant ? Qu’il ne s’agit pas de mon Suaire ? Je te garantie que cette sueur est bien sortie de mon front pour la consolation des hommes ».
Je voudrai conclure par une phrase de l’écrivain japonais Shusaku Endo. A l’instar de beaucoup d’artistes contemporains, son chemin artistique le conduit au Calvaire, mais il devait rendre raison à ce qui apparaissait comme un blasphème pour la culture japonaise : la mort horrible de Dieu sur la croix, il parvient ainsi à une compréhension grandiose et humaniste du Christ. C’est la fin du romain Le Samouraï :
« Je crois comprendre pourquoi en chaque maison de ces pays lointain se trouve l’image d’un homme en croix. AU fond du cœur de l’homme se trouve le désir d’avoir quelqu’un de proche pour toute la vie, quelqu’un qui le trahisse pas, qui ne l’abandonne pas, fusse un chien galeux. Cet homme se transforma en chien galeux par amour pour les homme (…). « Oui, c’est homme se transforma en un chien pour demeurer à nos côtés ». (traduction libre, ndt).
« Le Christ mendie le cœur de l’homme et le cœur de l’homme mendie Christ » : la phrase avec laquelle Don Luigi Giussani concluait sa méditation devant Jean Paul II en 1998 évoque cette réciprocité du regard qui traverse toute l’histoire de la « Sainte Face ».
Traduit de l'italien par Mauricio Mugno et DC.
Mille mercis pour ce magnifique article profond et lumineux qui permet de faire grandir ma dévotion à la Sainte Face du Christ.
Raffaela Zardoni nella sua conferenza permete entrare nel mistero del Volto Santo. La capacitá di presentazione storica e spirituale é veramente impresionante.