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« L'art de lui fermer la porte est considéré comme un apport des Lumières et d'une mentalité libérée des préjugés ». Le cardinal Joseph Ratzinger prêchait à la cathédrale de Munich dans la nuit de Noël 1978. Voici quelques extraits de son homélie.

Photo :  ©️ Sofiya Stanko.
 

Si nous considérons la liturgie du Noël de l'Eglise, voici qu'elle nous apparaît comme un précieux tissu composé de multiples fils : les fils de l'Ancien Testament, en particulier les Psaumes et les prophètes, ceux des lettres de Paul et enfin les différentes nuances de trois évangélistes, Matthieu, Luc et Jean. Deux d'entre eux, cependant, Luc et Jean, forment la véritable "bitonalité" de la Nativité, qui constitue la foi dans le Noël de l'Eglise. Ne pas tenir compte de cela, c'est détruire le vrai mystère de Noël. 

Dans son récit Luc, qui fait remonter sa tradition aux choses sur lesquelles Marie a réfléchi et qu'elle a gardées pour elle dans la contemplation du mystère de Dieu, nous fait connaître la participation humaine et la ferveur maternelle avec laquelle la mère du Seigneur a vécu les événements de la Nuit Sainte. 

Au contraire, Jean ne prend pas en compte les détails humains de l'histoire, mais nous fait tourner le regard jusqu'aux abysses de l'éternité, pour nous faire reconnaître le véritable ordre de grandeur de l'événement : la Parole s'est fait chair et de sa plénitude nous avons reçu grâce sur grâce. Voilà pourquoi les Conciles de l'Église primitive se sont efforcés d'exprimer avec des mots cette chose grande, inattendue est toujours inconcevable et inexprimable : le temps où le Fils éternel de Dieu est devenu le fils de Marie. Celui qui est engendré par le Père dans l'éternité est devenu homme dans l'histoire grâce à Marie. Le vrai fils de Dieu est le vrai fils de l'homme. 
Aujourd'hui, dans le monde chrétien, ces dogmes ne comptent plus beaucoup. Ils nous semblent trop grands et trop éloignés pour affecter nos vies. Et les ignorer ou ne pas trop les prendre en en considération, faisant du fils de Dieu, plus ou moins son représentant, semble presque être une sorte de "transgression pardonnable" pour les chrétiens. 
On argue du prétexte que tous ces concepts sont si loin de nous que ne nous ne réussirons jamais à les traduire en paroles convaincantes et, au fond, même pas à les comprendre. En outre, nous nous sommes fait une telle idée de la tolérance et le pluralisme, que croire que la vérité s'est effectivement manifestée semble être rien de moins qu'une violation de la tolérance. Pourtant, si nous pensons ainsi, nous effaçons la vérité, nous faisons de l'homme un être auquel la vérité est définitivement fermée et nous nous contraignons, nous-mêmes et le monde, à adhérer à un relativisme vide. 
Nous ne reconnaissons pas ce qu'il y a de salvifique dans Noël, c'est-à-dire qu'il nous donne la lumière, et que s'est manifesté et révélé à nous le chemin, qui est vraiment le chemin parce qu'il est la Vérité. Si nous ne reconnaissons pas que Dieu s'est fait homme, nous ne pouvons pas vraiment célébrer et conserver dans nos cœurs Noël, avec sa grande joie qui rayonne bien au-delà de nous-mêmes. Si ce fait est ignoré, beaucoup de choses peuvent fonctionner encore longtemps, mais en réalité, l'Église commence à s'éteindre, à partir de son cœur. Et elle finira par être méprisée et foulée aux pieds par les hommes, juste au moment où elle croira être devenue acceptable pour tous. 

Ainsi, dans le fait d'être un enfant, il y a déjà le thème de la recherche d'un asile, un thème fondamental de Noël. C'est un thème qui a connu tellement de variantes dans l'histoire ! Aujourd'hui, nous en expérimentons une forme très angoissante : l'enfant frappe aux portes de notre monde. A raison, nous déplorons sans cesse le fait que l'environnement dans lequel nous vivons est devenu hostile aux enfants, qu'il refuse à l'enfant l'espace intérieur et extérieur où il pourrait réaliser son existence dans la liberté et la joie.
L'enfant frappe à la porte. Cette demande d'asile va encore plus en profondeur. Il n'y a pas seulement l'environnement hostile aux enfants, avant cela, il y a aussi le fait qu'on ferme à l'enfant la porte par laquelle il pourrait entrer dans ce monde, qu'on dise qu'il n'y a plus de place pour lui. L'enfant est considéré comme une sorte de danger ou un accident à éviter. 
L'art de lui fermer la porte est considéré comme un apport des Lumières et d'une mentalité libérée des préjugés. Souvent, piétiner la vie qui, plus que toute autre, est sans défense, la vie qui n'est pas encore née, ne semble même plus être une transgression vénielle, mais un simple paramètre de l'émancipation. Dans la façon de penser de notre époque – mais si nous sommes sincères, secrètement dans notre façon de penser à nous aussi – l'enfant apparaît comme celui qui fait concurrence à notre liberté, comme celui qui fait concurrence à notre futur, qui nous prend notre place. 

Nous remplissons l'espace de nos vies d'objets et de produits, et n'avons jamais assez de choses que nous programmons et que nous pouvons ensuite jeter. Nous avons tout au plus de la place pour un animal qui conviendra à nos caprices. Mais nous n'avons pas de place pour une nouvelle liberté, une nouvelle volonté qui entre dans nos vies et que nous ne pouvons pas programmer, ou gouverner : ce serait trop lourd pour nous. Nous voulons seulement ce qu'on peut programmer, le produit, les choses que nous pouvons faire et que nous pouvons aussi jeter. 
L'enfant frappe à la porte. Si nous le recevions, nous devrions réviser radicalement notre rapport avec la vie, nous devrions être disposés à ne pas seulement profiter d'elle à notre avantage, nous devrions cesser de la considérer seulement comme une opportunité utile pour tirer parti de ce que les circonstances nous offrent. Nous devrions au contraire la vivre et la considérer comme un don pour les autres. Nous devrions apprendre à voir dans l'enfant, dans la nouvelle liberté d'un autre être humain qui vient à la vie, non pas la destruction de notre liberté, mais une occasion qui lui est offerte, pas le concurrent qui nous prend notre futur et notre espace vital, mais la force créative qui donne son empreinte au futur et le porte en elle. Nous pouvons dire que nous avons à faire à quelque chose de très profond en fonction de la façon dont en fin de compte, nous concevons la condition d'homme : si c'est du point de vue d'un égoïsme terrible qui se sent perpétuellement menacé, ou bien de celui d'une liberté confiante qui accueille et sait accueillir une autre liberté, parce qu'elle sait qu'au fond, l'homme est soutenu par Dieu et est donc appelé à la communion de l'amour et de la liberté du vivre ensemble.

(…) En cette heure, demandons à Dieu d'ouvrir nos cœurs, soyons capables de l'entendre frapper à notre porte, et ouvrons-lui sans crainte, accueillons-le, devenant ainsi ses fils, les fils de l'enfant dans lequel, en cette nuit, a surgi pour le monde la vraie lumière. 

Cardinal Joseph Ratzinger homélie de la nuit de Noël 1978,  dans la cathédrale de Munich.

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