Le 5 Mars dernier, les sœurs trappistines lancent ce cri depuis la Ghouta syrienne à travers leur poignant témoignage envoyé au journal italien AsiaNews. La Ghouta qui a subi ces dernières semaines, non seulement des attaques violentes des djihadistes, mais aussi des attaques médiatiques. En effet les médias n’ont pas transmis la vérité des évènements mais ont plutôt cherché, en pointant du doigt Assad comme unique responsable des attaques, à servir les intérêts de gouvernements et pouvoirs étrangers.
Voici le témoignage des sœurs traduit de l’italien, du journal Asia News :
« Quand les armes se tairont-elles ? Et quand se taira ce journalisme partisan ? Nous qui habitons en Syrie, nous sommes vraiment fatigués, nauséeux de cette indignation générale qui se lève à l’unisson pour condamner quiconque défend sa propre vie et sa propre terre.
Plusieurs fois ces mois-ci nous sommes allées à Damas ; nous sommes allées après que les bombes des rebelles aient fait des massacres dans une école, nous étions là bas il y a juste quelques jours, un jour après que soient tombés 90 missiles sur la partie gouvernementale de la ville, lancés depuis la Ghouta.
Nous avons écouté les récits des enfants, leur peur de sortir de la maison pour aller à l’école, la terreur de voir leurs compagnons de classe mourir sous les bombes… ces enfants n’arrivent plus à dormir la nuit, de peur qu’un missile ne tombe sur leur toit. Peur, larmes, sang, mort. Ces enfants ne seraient-ils pas dignes eux-aussi de notre attention ?
Pourquoi l’opinion publique n’a pas bronché, pourquoi personne ne s’est indigné, pourquoi n’ont pas été lancés des appels humanitaires pour ces innocents ? Et pourquoi seulement et uniquement quand le gouvernement syrien intervient, suscitant la gratitude chez les citoyens syriens qui se sentent défendus de tant d’horreurs (comme nous l’avons constaté, et comme ils nous le racontent), s’indigne-t-elle de la férocité de la guerre ?
Certes quand l’armée syrienne bombarde, il y a aussi des femmes, des enfants, des civils, blessés ou morts. Et pour eux aussi nous prions. Mais pas seulement pour eux : nous prions aussi pour les djihadistes, parce que chaque homme qui choisit le mal, est un fils prodigue, est un mystère caché dans le cœur de Dieu. Et c’est à Dieu qu’il faut laisser le jugement, Lui qui ne désire pas la mort du pécheur mais qu’il se convertisse et qu’il vive.
Mais cela ne signifie pas que les choses ne doivent pas être appelées par leur nom. Il ne faut pas confondre ceux qui attaquent avec ceux qui se défendent.
A Damas, c’est depuis la zone de la Ghouta qu’ont commencées les attaques sur les personnes civiles qui habitent dans la partie contrôlée par le gouvernement, et pas vice-versa. Cette même Ghoutha où – faut-il le rappeler ? – les civils qui n’appuyaient pas les djihadistes ont été mis dans des cages en fer : hommes, femmes, exposés en plein air et utilisés comme boucliers humains. Ghouta : le quartier où aujourd’hui les civils qui, profitant de la trêve accordée veulent fuir et se refugier dans la partie contrôlée par le gouvernement, sont cibles des snipers des rebelles …
Pourquoi cette cécité de l’Occident ? Comment est-il possible que celui qui informe, même dans le milieu ecclésial, soit si unilatéral ?
La guerre est terrible, oh si, elle est terrible ! Ne venez pas le dire aux syriens, qui depuis sept ans l’ont vu s’installer chez eux… Mais nous ne pouvons pas être scandalisés par la brutalité de la guerre et garder le silence sur qui voulait et veut encore la guerre aujourd’hui, sur les gouvernements qui durant ces années ont répandu en Syrie leurs armes les plus puissantes, leur intelligence… pour ne pas parler des mercenaires qu’on a laissé délibérément rentrer en Syrie, par les pays voisins. Des mercenaires en si grand nombre qu’ils sont devenus ensuite l’ISIS – ainsi est en passant rappelé à l’Occident, ce que cette abréviation signifie.
Garder le silence sur les gouvernements qui ont tiré profit de cette guerre et continuent à en profiter. Il suffit juste de voir ce qu’ils ont fait des plus importants puits de pétrole syriens. Mais ceci est encore un détail, il y a quelque chose de plus important en jeu.
La guerre est terrible. Mais nous ne sommes pas encore arrivés au terme, là où le loup et l’agneau habiteront ensemble. Et pour celui qui a la foi, il est important de rappeler que l’Eglise ne condamne pas la légitime défense ; et même si elle ne souhaite pas non plus recourir aux armes et à la guerre, la foi ne condamne pas qui défend sa propre patrie, sa propre famille, ou sa propre vie. C’est toujours possible de choisir la non-violence, jusqu’à en mourir. Mais c’est un choix personnel qui ne peut mettre en jeu que la vie de celui qui a fait ce choix. Il est impossible de demander cela à une nation entière, à un peuple entier.
Aucun homme, ayant un minimum d’humanité vraie, ne peut souhaiter la guerre. Mais dire aujourd’hui à la Syrie, au gouvernement syrien, de ne pas défendre sa nation est contraire à toute justice : c’est très souvent une méthode pour faciliter la tâche de ceux qui veulent piller le pays et massacrer son peuple ; comme c’est arrivé durant ces longues années où les trêves ont surtout servi au réarmement des rebelles, et les ‘couloirs humanitaires' à faire entrer de nouvelles armes et des nouveaux mercenaires… Et comment ne pas se rappeler quelles atrocités ont été commises ces dernières années dans les zones contrôlées par les djihadistes ? Violences, exécutions sommaires, viols… apprenons-nous des témoignages de ceux qui ont finalement réussi à s’enfuir ?
Cette semaine nous avons lu un article vraiment incroyable : des grandes paroles pour faire passer au fond une seule thèse selon laquelle toutes les églises d’Orient sont uniquement asservies pouvoir… pour plus de commodité… quelques formules bien senties, comme par exemple la révérence des évêques et des chrétiens au Satrape syrien… voilà une façon commode de délégitimer tout appel de l’Eglise syrienne qui essaie de faire entrevoir l’autre revers de la médaille, celui dont personne ne parle.
Au-delà des polémiques inutiles, faisons un raisonnement simple : Le Christ qui connait bien le cœur de l’Homme – c'est-à-dire qu’Il sait que le Bien et le Mal cohabitent en chacun de nous – veut que les siens soient comme du levain dans la pâte, à savoir cette présence qui, peu à peu, de l’intérieur, fait améliorer une situation et l’oriente vers la Vérité et vers le Bien. Ils la soutiennent là où elle a besoin d’être soutenue, la changent là où elle nécessite d’être changée. Avec courage, sans duplicités, mais de l’intérieur. Jésus n’a pas soutenu les « fils du tonnerre » qui invoquaient un feu de punition.
Certes la corruption existe dans la politique syrienne – comme dans tous les pays du monde – le péché existe dans l’Eglise – ainsi que dans toutes les églises, comme l’a tant de fois déploré le pape. Mais appelons-en au bon sens de tous, même des non-croyants : quelle est la véritable alternative que l’Occident invoque pour la Syrie ? L’état islamique, la Charia ? et ceci au nom de la liberté et de la démocratie du peuple syrien ? Mais ne nous faites pas rire, ou plutôt, ne nous faites pas pleurer.
Si toutefois vous pensez qu’il n’est de toute manière jamais licite de faire des compromis, alors par cohérence nous vous rappelons – seulement en guise d’exemple – que vous n’auriez pas dû consommer l’essence que la plupart des compagnies ont acheté en pétrole à bas prix de l’Etat islamique à travers le pont de la Turquie : ainsi en parcourant quelques kilomètres en voiture, vous le faites aussi au prix de la vie de quelqu’un à qui le pétrole a été volé, consommant l’essence qui devait réchauffer la maison de n’importe quel enfant en Syrie…
Si vous tenez vraiment à porter la démocratie dans le monde, assurez-vous de votre liberté des Satrapes de l’Occident, et préoccupez-vous de votre cohérence, avant d’intervenir sur celle des autres.
Comment ne pas avoir des soupçons devant le fait que si un chrétien ou un musulman dénonce les atrocités des groupes djihadistes, il est passé sous silence, ne trouvant que très peu d’écho médiatique ou alors par des flux marginaux, tandis que celui qui critique le gouvernement syrien gagne la Une des grands médias. L’un d’entre vous se rappelle-t-il d’une interview, d’une intervention d’un évêque syrien sur n’importe quel journal important d’Occident ? C’est possible évidemment de ne pas être d’accord, mais une vraie information ne suppose-t-elle pas différents points de vue ?
Du reste, qui parle d’une révérence intéressée de l’Eglise syrienne envers le président Assad comme d’une défense des intérêts des chrétiens à court terme, prouve qu’il ne connaît pas la Syrie, parce que sur cette terre, chrétiens et musulmans vivent ensemble. C’était seulement cette guerre qui dans de nombreuses régions a blessé la convivialité. Mais dans les zones sécurisées par l’armée – contrairement à celles contrôlées par les « autres » – nous vivons toujours ensemble. Avec de profondes blessures à panser, aujourd’hui malheureusement aussi avec beaucoup d’offenses à pardonner, mais quand même ensemble. Et le bien est le même bien pour tous : en témoignent les nombreuses œuvres de charité, de secours, de développement gérées par des chrétiens et des musulmans ensemble.
Ne sait tout cela que celui qui vit ici, même au milieu de tants de contradictions, et non celui qui écrit derrière un bureau avec de nombreux stéréotypes d’opposition entre chrétiens et musulmans.
« Libère-nous Seigneur de la guerre… et libère-nous de la mauvaise presse… »
Avec tout le respect dû aux journalistes qui cherchent vraiment à comprendre les situations, et à informer en toute vérité. Mais ce n’est certainement pas eux qui seront offensés de ce que nous avons écrit. »
Traduction de l'italien: Josette Khoury