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L’œuvre théâtrale de Karol Wojtyla au programme d’un lycée (II)

Elodie Plot est professeur de littérature depuis une dizaine d’années au lycée Jean-Paul II de Compiègne. Elle répond à nos questions dans cet article dont la première partie est accessible ici

Pourquoi ses pièces nous sont parfois difficiles d’accès ? Quel conseil nous donneriez-vous pour nous y introduire ?

Les pièces du théâtre rhapsodique sont souvent très difficiles à la première lecture. La parole rhapsodique est une parole qui prend tout son sens quand elle est dite et écoutée. Martine Loriau et Paul Larminat expliquent qu’il faudrait toujours pour entrer dans sa pleine compréhension pouvoir l’écouter, ou la lire à haute voix. Les mots prennent alors forme, sens, fluidité et résonnent mystérieusement au cœur. On se rend compte ainsi de la puissance évocatrice de la parole elle-même. Il faut commencer selon moi par La Boutique de l’Orfèvre, qui est la pièce la plus accessible.

La mise en scène très fine de Marie Lussignol et Océane Pivoteau peut nous aider à nous introduire dans cette pièce. Nous espérons que leur troupe puisse venir prochainement dans notre lycée pour nous faire découvrir leur beau travail et témoigner de l’impact que ce texte a eu dans leur propre vie. L’idéal serait ensuite de construire un parcours de réflexion avec théologiens, philosophes, enseignants autour de cette trilogie théâtrale. On sait que Wojtyla nous propose quelque chose de fondamental sur notre vocation et je crois qu’il est du devoir de notre communauté éducative de le découvrir et de l’enseigner aux jeunes.

Le mieux, c’est de se jeter à l’eau, de passer à l’acte. C’est ce qu’a fait Madame Berneron professeur de théâtre, dans le cadre de l’enseignement d’exploration : « Théâtre, pratique de jeu ». Elle a fait jouer La boutique de l’orfèvre, mercredi dernier (le 23 janvier), à ses 27 élèves dans la salle de théâtre du lycée. Résultat magnifique ! Challenge réussi ! 27 adolescents ont appris par cœur qu’il ne fallait pas laisser l’intelligence seule à seule avec l’imagination mais avec la vérité, que l’amour humain se doit d’être réciproque et naître en réponse à un appel, que les époux sont des compagnons tournés ensemble vers l’existence, la surabondance de la vie, que cet amour naît d’une vocation ressentie via l’acceptation de leur situation et de leur histoire, qu’Anna se perd, erre à partir du moment où elle pense que la vérité est dans son seul désir et dans ses passions qui l’assaillent, que la pression du réel sera si forte que rien ne lui résiste, si ce n’est l’amour bien construit, etc. 27 adolescents ont dit d’une seule voix que « Refléter l’Existence absolue et l’Amour » est leur destin à chacun. Alors certes, ils ne comprennent sans doute pas tous ces mots et leurs implications. Nous-mêmes, enseignants, avons beaucoup de chemin à parcourir pour nous réveiller à cette invitation formulée par Jean-Paul II. Mais telle est la force de la parole. Elle est apprise, dite et redite, partagée entre enfants et parents, elle nous imprègne. On se rend compte que la pensée n’est pas statique et qu’elle possède son propre mouvement. C’est d’ailleurs la caractéristique de ce théâtre rhapsodique. Il me semble que nous sommes avec cette pièce au cœur de l’enseignement de Jean-Paul II : on comprend, on perçoit, on ressent, on se transforme en agissant, en sautant dans le présent. Nous sommes des êtres faits pour le choix (première phrase de la pièce : « André m’a choisie »). Aussi, notre statut ne peut être que celui d’un être de risque. Il faut poser de tels actes pour que la vérité de nos existences se révèle et que nos personnes soient. Être joyeux au-dessus d’un abîme de soixante-dix mille brasses d’eau, et à des milles et des milles de tout secours humain, voilà qui est grand, nous dit Emmanuel Mounier à la suite de Kierkegaard ! Nager au bord en compagnie de baigneurs, ce n’est pas religieux. Tel est le sens d’ailleurs, aussi peu comptable que possible, du pari de Pascal. Tel est le sens de notre liberté chrétienne. Et de nos appels. La lecture des pièces de théâtre de Karol Wojtyla ne fait pas exception. Bien au contraire. Et c’est dans cet esprit qu’il faut les lire, s’y plonger, les comprendre… Merci à Barbara Berneron de nous avoir introduits avec ses élèves à toute cette profondeur et d’avoir relancé la puissance du dire !

En quoi cette pièce a pu marquer ta propre vie, que tu l’ais choisie comme texte pour ton propre mariage ?

J’aurais aimé découvrir cette pièce bien plus tôt pour reconnaître la possibilité et l’existence de l’amour que vivent Thérèse et André, pour comprendre que l’amour ne naît pas d’une passion, que les appels ne peuvent pas toujours être entendus, qu’il faut être dans une certaine disposition. Pouvoir être accompagné dans la pleine compréhension de cet amour pourrait éviter bien des blessures. « L’amour ne s’apprend pas et pourtant, il n’existe rien au monde qu’un jeune ait autant besoin d’apprendre. » Cette phrase de Jean-Paul II me touche profondément car je sais et sens que cet enseignement est fondamental. Cette pièce constitue une véritable école de l’amour.

Nous l’avons choisie pour notre mariage car nous voulions partager avec nos invités notre désir profond de « Refléter l’existence Absolue et l’Amour », notre espérance pour nos enfants (blessés qu’une première union n’ait pas tenu) et pour chacun de nos amis et membres de nos familles de chercher à refléter cet Amour qui ne vient pas de nous mais auquel nous pouvons participer en tant que reflet particulier.

 

L’extrait d’un poème en conclusion ?

Résistance de la pensée aux mots

Il arrive dans la conversation de voir en face la vérité
et de manquer de mots, de ne trouver ni geste ni signe ;
Nous le sentons alors : nul mot, nul geste ni signe
ne pourraient l’appréhender toute en image.
Nous devons la pénétrer seuls, la combattre comme Jacob  

Cet extrait d’un poème [1]Poèmes théâtre : Karol Wojtyla, « la boutique de l’orfèvre », frère de notre Dieu. Ecrits sur le théâtre, ed. cerf, 1998 de Jean-Paul II me touche car nous sommes sans cesse confrontés à cette souffrance dû à l’incapacité de l’existence à se communiquer directement. C’est un thème qui m’intéresse particulièrement et que nous retrouvons dans la littérature à travers les problématiques d’un langage indicible, à travers la solitude ressentie par de nombreux personnages. Nos paroles et nos réponses sont toujours ambigües, à demi-comprises.

References

References
1 Poèmes théâtre : Karol Wojtyla, « la boutique de l’orfèvre », frère de notre Dieu. Ecrits sur le théâtre, ed. cerf, 1998
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