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Cet été nous suivrons particulièrement le Point-Cœur Saint Nicolas situé à Deva, en Roumanie, à travers les yeux d’Hermine, volontaire actuellement en mission. Les volontaires écrivent des lettres aux parrains qui soutiennent leur mission. Cette troisième lettre est datée du 12 juillet 2019. 

 

Mes chers parrains,

 

Je voudrais vous remercier pour vos prières : le soleil est revenu à Deva… et c’est sûrement grâce à vous ! Le printemps est arrivé sans prévenir, du jour au lendemain, avec une chaleur digne d’un mois d’août, une explosion de fleurs, de couleurs et, vous vous en doutez, de joie ! Je crois que je ne l’ai jamais attendu avec autant d’impatience : c’est une véritable renaissance après un dur hiver. C’est comme si la ville s’était tout d’un coup métamorphosée, parée d’une robe éclatante, prête à entonner un chant léger et joyeux, plein d’espérance.

Après la cueillette des cerises chez Tanti Ilu

Une joyeuse mélodie roumaine

J’aime ce rythme des saisons qui, telle une partition harmonieuse, guide encore la vie des habitants d’ici. J’aimerais vous parler davantage dans mes prochaines lettres de la Roumanie et de tous les trésors dont regorge ce pays méconnu. Ici, il y a comme un petit quelque chose, traditionnel et moderne à la fois, une sorte d’âme authentique, simple et riche, une pureté et une force qui se mélangent. C’est difficile à expliquer mais savoureux à vivre. Lorsque j’aurai trouvé les mots, je vous raconterai !Cette renaissance tant attendue ne laisse personne indifférent et c’est là un des trésors de l’âme roumaine. Les habitants s’exclament avec allégresse : « A venit primavara », « le printemps est arrivé ». Et cette joyeuse affirmation se mêle aux salutations ordinaires, résonne entre les fenêtres ouvertes, traverse les draps qui sèchent au soleil, se répercute entre les murs fraîchement repeints et embrase rapidement toute la ville comme un signal : le printemps est arrivé, il s’agit d’accorder nos intérieurs et nos cœurs à son diapason ! Partout c’est le grand ménage : on repeint les cuisines, on bat les tapis, on lave les rideaux, on récure les sols à grandes eaux, on retourne la terre, on sort les plantes, on arrose les fleurs, on nettoie les vitres. Rien n’échappe à cette grande frénésie ! On enterre les querelles de voisinage, on s’entraide, on se salue, on discute, on rit… Mais pourquoi donc ? Pour préparer Pâques, pardi ! Ici, la Résurrection n’est pas prise à la légère. Chacun s’affaire pour être beau et propre pour le grand jour !

Maintenant Pâques est derrière nous, l’été s’est installé avec son cortège de fêtes religieuses, de floraisons et de récoltes. Assise à l’ombre de la vigne du jardin de Marie et Jean, un couple d’amis hongrois, plongée dans les odeurs de lavande et de confiture d’abricot qui mijote sur le feu, je vous écris enfin après un long silence.

Apprendre à lâcher prise !

Mollie, Francesca, Philippine et moi

Il y a ce que je pensais vivre, et cette mission si imprévisible. Il y a tout ce à quoi je m’attendais, et ces mille petites surprises du quotidien. Il y a tout ce que je pensais savoir, et l’ampleur du mystère que je découvre. Il y a les talents que je me connaissais et toutes ces faiblesses que je n’avais pas imaginées ! Bousculée dans mes certitudes, il a fallu que j’apprenne à lâcher prise. Accepter que je ne connais pas tout, que je ne suis pas capable de tout, que je ne pourrai jamais tout faire, tout apprendre, tout voir, tout comprendre et surtout, qu’aimer… ce n’est pas du gâteau ! Normalement, quand je traverse un « gouffre » comme celui-là, ma maman est là pour me dire de lâcher du lest et de vivre tranquillement cette journée sans me faire un million de nœuds au cerveau (merci maman) ! Ici, il y a ma communauté : Francesca, Philippine et Mollie, qui m’apprennent à lâcher prise, à me laisser faire et à tout abandonner puisque, finalement… tout ne dépend pas de moi ! Alors, au milieu des pauvres, je découvre ma propre pauvreté et, quand je comprends enfin que je n’ai rien à leur donner, je reçois d’eux des trésors que je ne suis pas prête d’oublier !

Lâcher prise c’est accepter qu’il y ait des journées difficiles, où les fardeaux de chacun s’amoncellent et où la souffrance devient étouffante. Mais lâcher prise c’est aussi se laisser surprendre par Armando, Strugurel et leurs copains, surgis d’on ne sait où mais à point nommé pour illuminer cette journée. Ces enfants livrés à eux-mêmes, la plupart du temps dans la rue, capable de traverser à toutes jambes une avenue, sous les coups de klaxon, pour venir nous rejoindre sur le trottoir d’en face et nous serrer dans leurs bras. Ils ont cet incroyable talent d’apparaître au cœur des journées les plus éprouvantes pour repeindre, à coups de sourires et de jeux au beau milieu de la rue, le ciel en bleu.

Lâcher prise c’est accepter qu’il y ait des journées où tout commence de travers et où je m’épuise à force d’essayer de sourire. Mais lâcher prise, c’est aussi accepter de se laisser attendrir, alors que se termine cette journée ratée, par le câlin de Tanti Irina qui vous serre dans ses bras à vous en casser les épaules.

Lâcher prise c’est accepter de passer son après-midi à courir après un voleur de vélo, qui s’avère être précisément un des enfants à qui nous avions décidé de faire confiance. C’est accepter de se faire proprement jeter dehors par ses parents, aussi honnêtes que lui. Mais c’est aussi accepter que, malgré tout, ce petit voleur, Fernando, et ses frères, ils ont beau nous en faire voir de toutes les couleurs, je ne peux pas m’empêcher de les aimer comme ils sont. Et, lorsque nous les croisons, au détour d’un bloc, avec l’air de ceux qui ont fait des bêtises, un paquet de cigarettes dépassant de leurs poches, c’est une joie pour moi de rester discuter cinq minutes avec eux et d’apprendre à les connaître mieux.

Le plus grand bouquet de fleurs du monde

Lâcher prise c’est accepter de recevoir parfois des insultes de la part d’enfants que la pauvreté ou la violence ont abîmés. C’est accepter d’avoir le cœur qui saigne devant les blessures injustes qu’ils ont reçues. Mais c’est aussi recevoir comme un magnifique cadeau la petite fleur que me tend celui qui a senti que je venais d’être blessée par les paroles d’un de ses amis. C’est voir, tout d’un coup, une pluie d’enfants l’imiter et courir vers moi, une brassée de fleurs, quelques racines, des touffes d’herbe et surtout beaucoup d’amour à la main. C’est renter à la maison avec le meilleur des pansements : le plus gigantesque bouquet de fleurs du monde !

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