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Lettre de Roumanie (2/4) : « Heureux les inutiles ! »

Suite de la 3ème lettre d’Hermine Pillet, datée du 12 juillet 2019, en mission au Point-Coeur Saint Nicolas de Deva, Ràumanie. 

Heureux les inutiles !

Ce n’est jamais très facile pour moi de ne rien faire. Etre là, tout simplement, pour les amis que nous visitons, leur donner mon attention, les écouter ou simplement laisser s’installer un beau silence, voilà ce que j’apprends à vivre ici. Je me rends compte que ce que les personnes que je rencontre ici attendent de moi, ce n’est pas que je leur rende un service mais, bien au contraire, que je m’arrête un instant, rien que pour elles, laissant de côté ces mille choses qu’il y a toujours à faire. A travers leur amitié, je vis à mon tour ce passage de l’Evangile où Marthe s’agite alors que Marie s’assied près de Jésus pour l’écouter. Je me sens comme Marthe, qui ne comprend pas que rien n’a plus d’importance que de tout laisser pour écouter le Christ. Lui, qui attend toujours de moi ce grand oui, par lequel j’accepte de tout abandonner pour m’asseoir à côté de lui et l’écouter. Alors, c’est vrai, quand il y a une Marie près de moi, je me dis toujours : « Elle est gonflée celle-là, elle pourrait m’aider ! » Mais, au fond, je sais bien que c’est elle qui a raison. Me reconnaître inutile et accepter, en fin de compte, que tout ce que je fais n’est pas indispensable, est sans doute une des plus grandes joies de cette vie de mission.

Domnul Petru et ses petits poulets

Un jour, en toquant à la porte de Domnul Petru, je l’ai trouvé assis sur un sac de maïs, au milieu de la cour, occupé à regarder grandir ses quatorze petits poulets. Sans un mot, il m’a installé un petit tabouret près de lui, puis nous avons passé presque deux heures à regarder ensemble ces petits poulets gambader dans la cour en quête de quelques grains à picorer. Il faisait beau et le silence de cette fin de journée ne fut interrompu que par quelques anecdotes d’une enfance heureuse à la campagne ou par une remarque sur ses petits protégés : « Celui-là, c’est celui que je préfère. Il vient toujours près de moi, je crois qu’il m’aime bien. »

Quelques mois plus tôt, Tanti Aurelia, une vieille dame que j’avais beaucoup de mal à aimer, est entrée à l’hôpital. Ses enfants et ses petits-enfants partis vivre à l’étranger, il ne lui restait personne pour prendre soin d’elle. Nous sommes donc allées la visiter, un peu en traînant les pieds pour ma part. Et dans cette grande chambre aux murs fatigués et au carrelage froid, entourée d’une dizaine d’autres lits, cette vieille dame grognon m’a soudain semblée belle. De la beauté de ceux dont la solitude est criante et qui réclament un peu d’attention. Une beauté difficile à voir. Ces quelques heures où je suis restée près d’elle, assise par terre à la regarder dormir, à écouter ses gémissements de douleur, ou à la masser avec de la crème hydratante (ce qui ne doit pas aider beaucoup pour une maladie du cœur, mais elle y tenait), ont été pour moi une grande leçon. Quelle joie de pouvoir passer un peu de baume sur sa solitude, de pouvoir l’accompagner dans ses derniers jours, d’être absolument inutile mais d’être là. Quelle joie surtout d’apprendre à l’aimer au crépuscule de sa vie. De l’apprendre justement de celle que j’avais le plus de mal à regarder d’un regard aimant.

 En rang d’oignons

Depuis quelques mois nous allons chaque semaine dans le quartier voisin, un dédale de blocs de béton où, guidées par le Saint-Esprit, nous avons fait de belles rencontres. Avec le retour du printemps, les voisins discutent, assis sur les bancs au pied des immeubles, dans une atmosphère chaleureuse. On se rencontre, on se salue, on prend des nouvelles et on laisse volontiers une place aux nouveaux venus comme nous. C’est ainsi que parfois, nous nous retrouvons, assises en rang d’oignon sur un banc, entourées par Tanti Popescu qui ne dit pas grand-chose parce qu’elle a du mal à se souvenir, mais qui est contente d’être là ou par son voisin, un monsieur aveugle qui sait si bien voir la beauté des personnes qu’il rencontre. Egalement par Ariana, une petite fille pleine de vie, heureuse d’avoir trouvé des amies qui ne la jugent pas ou par Alina, une jeune maman dont le sourire calme et doux est toujours là pour nous accueillir. On s’assied, on discute, on se tait, on écoute, on est heureux parce que la vie suit son cours tranquillement et que l’on a la chance de pouvoir s’arrêter pour la contempler, assises sur un banc.

 

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