Ne faisant pourtant pas figure de favoris au début de cette coupe du monde, le XV de l’Afrique du Sud a pourtant emporté le mythique trophée en dominant le XV d’Angleterre (32-12) au terme d’une compétition de plus d’un mois au Japon. Soulignée comme historique, cette victoire invite aussi à regarder de plus près ceux qui en sont les artisans, le parcours épique de ces outsiders.
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Une remontada ?
En mars 2018, peu après une défaite 57-0 face aux All Blacks, les Springboks semblent au fond du gouffre, l’entraîneur d’alors est limogé. Qui pour le remplacer ? A une époque où il est de mode de prendre des entraîneurs néo-zélandais à prix d’or – Jones en Angleterre, Gatland au Pays de Galles, Schmidt en Irlande -, l’Afrique du Sud choisit un local, un sud-africain, il fallait Rassie Erasmus. Un an et demi plus tard, Erasmus gagne le Rugby championship (tournoi de l’hémisphère sud) puis la coupe du monde récemment et ne déçoit pas le choix des dirigeants sud-africains.
Qui est cet homme ? Pure produit « Springboks » (cette gazelle sauvage symbole du XV de l’Afrique du sud) Erasmus a joué professionnellement puis entraîné sur sa terre. En arrivant à la tête de l’équipe nationale, il connaissait les joueurs qu’il a sélectionné, il connaît leur jeu, parle leur langue. Et il a construit avec eux : « Nous avons décidé bien avant le Rugby Championship, peut-être ne l’appellerons-nous pas sacrifice, que nous avions besoin d’être 20 semaines ensemble pour avoir une chance, nous étions bien loin du niveau des autres équipes ». Il fait le pari de faire revenir en équipe nationale des joueurs écartés par son prédécesseur pour divers motifs : il donne sa totale confiance à Handré Pollard, Cheslin Kolbe ou Faf de Klerk qui ne le décevront pas et joueront tout trois une étincelante coupe du monde !
Il ne s’agit pas de twitter sur l’espoir…
Mais peut-être plus important encore, Erasmus est un sud-africain qui sait à ce titre parfaitement ce que représente une coupe du monde de rugby pour son pays. En Afrique du Sud, le rugby est un sport très pratiqué et soutenu à l’instar de la Nouvelle-Zélande. Mais c’est aussi un sport qui a longtemps porté les tensions de l’apartheid avec une équipe nationale réservée aux blancs. Au milieu des tensions, un miracle pointât : en 1995, les Springboks remportèrent leur seconde coupe du monde avec un noir dans leur rang. Par un geste qui est resté dans les mémoires, Nelson Mandela descendit sur le terrain vêtu du maillot des Springboks et remit la coupe Webb Ellis au capitaine : « François, merci de ce que vous avez fait pour votre pays ». Celui-ci lui répond : « Non, monsieur le Président, merci pour ce que vous avez fait ». Le pays est en fête.
Nelson Mandela remet la coupe à François Pienaar en 1995. Photo: Source
Siya Kolisi reçoit la coupe des mains de Shinzo Abe, 2019. Photo : Source (Peter cziborra, reuters)
24 ans plus tard, l’apartheid appartient au passé mais les fractures sociales, les discriminations sont toujours aussi présentes. Avec une certaine audace, Erasmus nomme Siya Kolisi capitaine, le premier joueur noir à recevoir cet honneur : « Quand vous y pensez, il était un temps où Siya n’avait rien à manger. Oui, ça c’est le capitaine et il a mené l’Afrique du Sud à soulever cette coupe. Cela devrait résumer qui est Siya ».
Ce qui frappe en écoutant les différentes conférences de presse d’Erasmus, c’est l’humilité dont il fait preuve et la conscience qu’il a de ce que représente le rugby pour son pays ; bien loin d’un langage politique, Erasmus comprend que pour des raisons historiques et sociologiques, le rugby est un emblème et peut apporter une certaine consolation à son pays. Cette conscience il l’a notamment manifestée au début de la compétition, alors que les Springboks perdaient leur premier match face à une excellente équipe All Blacks (23-13), de quoi leur faire perdre leur confiance. Erasmus, sentant son équipe trop prise par le stress sportif de produire un résultat provoque ses joueurs et leur rappelle le véritable enjeu, plus que celui d’un simple match. Il le raconte dans la dernière conférence de presse :
« Nous avons commencé à parler de ce qu’est la véritable pression : « En Afrique du Sud, la pression c’est de ne pas avoir d’emploi, c’est d’avoir un de vos proches assassiné […] le rugby n’est pas quelque chose qui devrait vous mettre une pression, le rugby devrait créer de l’espoir ». Nous avons commencé à parler du privilège que nous avons de donner de l’espoir et non du fardeau que cela peut être. L’espoir ce n’est pas « parler de l’espoir », dire « avoir de l’espoir », ou twitter sur l’espoir. L’espoir c’est quand vous jouez bien et que les gens regardent le match un dimanche autour d’un barbecue. Peu importe vos différences politiques ou religieuses ou autres, pendant ces 80 minutes vous êtes d’accord là où d’habitude vous n’êtes pas d’accord, et vous commencez à croire en cela. Cela ne doit pas nous mettre la pression car c’est plutôt notre privilège d’essayer de donner cela. » [1]Retrouvez la conférence de presse après la finale, voir notamment 10’16 : https://www.youtube.com/watch?v=uHbIljNf_UA
References
↑1 | Retrouvez la conférence de presse après la finale, voir notamment 10’16 : https://www.youtube.com/watch?v=uHbIljNf_UA |
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