Il y a à peine quelques jours, deux étranges oiseaux traversaient le ciel chinois et s’offraient à 370km/h la fameuse « porte du ciel », une arche naturelle dans une falaise de la montagne Tianmen. Une première en Jetman, ces ailes rigides motorisées inventées par un ex pilote de l’armée suisse. « Si le ciel est votre limite, il est notre univers », les soul flyers n’en sont pas à leur premier exploit : voler à côté d’un A380 ou au milieu de la Patrouille de France, voilà des défis que les « âmes volantes », duo de passionnés du sport aérien, relèvent depuis 2010 dans différentes disciplines : Freefly (saut et réalisation de figures), Wingsuit (combinaison pour planer), Jetman (l’homme-avion). Mais qui sont ces deux Icares des temps modernes ?
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Un rêve en héritage
En 2003, Frédéric Fugen et Vincent Reffet, deux passionnés de sports aériens commencent à faire équipe sur de nombreuses compétitions et deviennent même ensemble champions du monde. Après quelques années, leur amitié grandissante et l’envie de quitter la compétition pour vivre plus librement leur passion les mène à rêver un peu plus loin, à aller un peu plus haut.
Ils avaient connu une équipe de sportifs qui, en 2003, ont formé les Soul Flyers, les âmes volantes. Inspirés par cette rencontre, ils décident de poursuivre le rêve de cette première équipe : « Nous les connaissions bien, ils nous ont fait rêver à une époque. Puis pour différentes raisons, l’équipe originale s’est arrêtée. Avec Vince, après les compétitions, lorsqu’on s’est lancé dans la réalisation d’images et de projets, on a naturellement décidé de relancer les Soul Flyers ensemble. On a vraiment voulu rester dans l’esprit de ce qu’ils faisaient, mixer les disciplines, réaliser de belles choses dans de beaux endroits, sans esprit de compétition, juste pour la beauté du sport et du spot. » raconte Frédéric. Et Vincent d’ajouter : « nous avons décidé d’honorer ce formidable héritage et de poursuivre le rêve de toute notre vie. Notre passion pour le vol, notre amour pour les paysages à couper le souffle, et des amis ayant les mêmes objectifs, nous avions tout pour relancer l’équipe des Soul Flyers. »
Antoine de Saint-Exupéry lui-même disait : « Ainsi, avant tout, dans notre métier, aimons-nous certains aspects du monde, qui parfois nous sont révélés. L’aviation est bien autre chose qu’un sport. » Celui qui a connu les cieux de plusieurs continents décrit cette joie grandiose de voir la terre depuis le ciel qui devint sa patrie : « On renonce difficilement à ce sentiment de plénitude quand on l’a une fois goûté. Le pilote de ligne renonce mal à ses courriers. Le militariste renonce mal à son désert. »
Pour débuter leur aventure, ils réalisent un saut en Norvège qui fait le buzz dans le monde entier : « On venait d’arrêter la compétition et on voulait se lancer dans la réalisation d’images. Le but était de reproduire nos figures habituelles de freefly, mais cette fois en sautant d’une montagne. […] l’idée était de trouver les plus grosses falaises d’Europe pour nous donner assez de temps en chute libre afin de réaliser ces figures. On n’avait jamais fait ça avant. La tête en bas, en partant d’une falaise. » Ce premier saut fait le tour du monde et rapidement ils signent un contrat avec Redbull qui leur ouvre le champ des possibles.
Ils enchaînent les années suivantes les projets les plus fous : du wingsuit dans le Vercors et au Brento en Italie (2013), un saut depuis la tour de Dubai (2014), un saut à 10 000 mètres au-dessus du Mont Blanc avec masques à oxygène (2014), un vol jetman aux côtés de l’A380 ou David et Goliath (2015), un vol jetman avec la Patrouille de France (2016), rentrer en wingsuit dans un avion à 140 km/h (2017), un vol jetman en Norvège (2018).
Les vols jetman sont nés de leur rencontre avec Yves Rossy, un ancien pilote de chasse de l’armée suisse amoureux du ciel qui voulait « sortir de la boite » de son avion pour « être complètement dans l’air ». Et il a réussi ! Celui-ci a développé une aile à réaction qui permet de voler jusqu’à 400km/h. Lorsqu’il a cherché des pilotes, il a immédiatement demandé les Soul Flyers.
Interrogé sur l’expérience Jetman, Vincent explique : « quand tu bouges c’est un peu comme quand tu étais gamin et que tu t’entrainais à faire l’avion. Tu baisses la tête tu descends, tu tires la tête vers le haut tu montes, tu twistes les épaules à droite ou à gauche tu tournes. On a un accélérateur dans la main droite, il active des mini-réacteurs qui créent une poussée de 200 kg pour toute l’aile. Quand on sort de l’hélicoptère, on a un poids de 170 kg, donc le rapport poids/puissance est complètement dingue ! C’est une sensation dure à décrire. »
Suite à leur exploit de rentrer dans un avion en plein vol en wingsuit : « On ressent beaucoup de joie, car on a pu partager cela aussi avec tous les gens qui étaient autour de nous : les deux pilotes dans l’avion, les gars de la prod’ qui nous avaient suivis tout au long des entraînements, les gars de Red Bull qui étaient avec nous… Encore une fois, c’était vraiment un travail d’équipe, tout le monde était content, c’était vraiment énorme ! Nous avons ressenti un gros soulagement car on a travaillé sur ce projet pendant plusieurs mois, la pression est montée car le saut était technique et engagé. Il fallait gérer cette pression et se concentrer sur les points importants, pour réaliser un mouvement que finalement, tu sais faire, on s’y était entraînés. Au moment où l’on est rentrés, cette pression est redescendue d’un seul coup, il y avait beaucoup d’émotion ! »
L’expérience de vivre pleinement
Il suffit de voir leurs vidéos pour se rendre compte que leur expérience requiert toute leur personne : les risques sont évidents, et les accidents nombreux dans ce sport. « On n’a pas envie de mettre nos vies en jeu. On ne fait pas du 50/50, ce n’est pas non plus la roulette russe. On se prépare. Grâce à nos nombreuses années de compétition en parachutisme nous avons appris des méthodes de préparation et d’entraînements élaborées et utiles. » Cela n’empêche pas pour autant les imprévus, Vincent raconte ainsi un de leurs sauts en wingsuit dans le Vercors au milieu de la nuit : « Au moment où on saute dans le vide, le flash éblouit la visière de mon casque. Je ne voyais plus rien, sauf Fred. Je lui dis, on était en liaison radio, et il m’a guidé sur toute la trace. Comme un chien d’aveugle. Maintenant, on en rigole, mais ça peut paraître complètement dingue. »
Face aux préjugés de têtes de brûlées, les Soul Flyers répliquent : « Avant tout, l’objectif est de se faire plaisir, la performance vient après. On a commencé le parachutisme par passion, on est des passionnés et le nom Soul Flyers est ce qui nous correspond le mieux. On vit pour ces sensations. » Quant à la peur : « au final, avoir peur est une bonne chose. Le jour où tu n’as plus peur, ta vie est en danger ». Nous pourrions nous risquer à faire un parallèle avec Saint-Exupéry qui écrivait : « L’essentiel ? Ce ne sont peut-être ni les fortes joies du métier, ni ses misères, ni le danger, mais le point de vue auquel ils élèvent.Quand maintenant, gaz réduits, moteur assoupi, le pilote glisse vers l’escale, et qu’il considère la ville où sont les misères des hommes, leurs soucis d’argent, leurs bassesses, leurs envies, leurs rancœurs, il se sent pur et hors d’atteinte. Il goûte simplement, si la nuit fut mauvaise, la joie de vivre. Il n’est pas le forçat qui, après le travail, – 80 – va s’enfermer dans sa banlieue, mais le prince qui regagne à pas lents ses jardins. Forêts vertes, rivières bleues, toits roses, ce sont des trésors qui lui sont rendus. »… Des âmes volantes !
Une respiration pour ceux qui les regardent
Frédéric et Vincent sont régulièrement sollicités pour partager leurs aventures, que ce soit en publiant des photos et des vidéos ou en donnant des conférences. Ils découvrent ainsi un intérêt de la part du monde des entreprises pour leur duo : « On y parle de gestion du stress, de réalisation des rêves, du travail en équipe… Certains de nos projets sont uniques et ajoutent un côté inédit à ce que les gens ont déjà pu voir. C’est intéressant de trouver des parallèles entre notre activité et le monde de l’entreprise. » raconte Frédéric.
Mais à y regarder de plus près, ce n’est pas tant une technique qui nous touche chez les Soul flyers, c’est ce sentiment de respirer, de rêver à nouveau, de toucher l’incroyable dans le sillage de leurs sauts, et peut-être nous réveillent-ils à la vie par leur recherche ? Ils nous rappellent que la vie ne peut se résumer à des calculs, des hypothèses rationnelles, que l’homme est fait pour le rêve, l’intuition et la poésie, ce dont le monde a tant besoin. Antoine de Saint-Exupéry écrivait ainsi : « Jean-Marie Conty vous parlera ici des pilotes d’essai. Conty est polytechnicien et croit aux équations. Il a raison. Les équations mettent l’expérience en bouteille. Mais il est rare, en fin de compte, dans le domaine de la pratique, que l’engin naisse de l’analyse mathématique, comme le poussin sort de l’œuf. […] Le théoricien croit en la logique. Il croit mépriser le rêve, l’intuition et la poésie. Il ne voit pas qu’elles se sont déguisées, ces trois fées, pour le séduire comme un amoureux de quinze ans. Il ne sait pas qu’il leur doit ses plus belles trouvailles. Elles s’étaient présentées sous le nom « d’hypothèses de travail », de « conditions arbitraires », d’« analogies », comment eût-il soupçonné, le théoricien, qu’il trompait la logique austère, et qu’en les écoutant il écoutait chanter les Muses… »
« Être un Soul Flyers, ce n’est pas seulement être membre d’une équipe.
C’est un état d’esprit. »
Voir le site des Soul Flyers
Vidéo présentant les Soul Flyers en retraçant leurs défis