Né en Iran, Pierre Cyril Pahlavi a fui le pays avec sa famille en 1979. Spécialiste de l’Iran, professeur titulaire au Collège des Forces canadiennes de Toronto, son père est le neveu du dernier Shah d’Iran. Voici quelques propos repris de cette interview menée par un journaliste de Radio Montréal qu’on peut écouter ici.
Quels sont vos souvenirs ?
J’ai les souvenirs d’un enfant de 6 ans qui quitte son pays natal avec la tristesse d’un départ définitif. Sans doute un jour avant le départ du Shah. Ça a été un déchirement, il a fallu changer de culture, je ne parlais pas un mot de français. Je me suis retrouvé en France avant de venir au Canada.
Comment les gens réagissent à votre nom, un nom à la fois célèbre et honni par les Iraniens?
C’est vrai, encore qu’à l’occasion des manifestations de janvier 2018 et plus récemment celles de novembre, ici et là, discrètement, on a entendu des slogans un peu nostalgiques à l’égard de l’ancien régime. On n’en est pas encore à un retour de la monarchie, loin s’en faut, mais la poussière est retombée et beaucoup de choses sont mises en perspective. Ça étonne toujours lorsque les gens entendent mon patronyme. Mais je suis moi-même issu d’un mélange et je n’ai pas la physionomie d’un Iranien. Les gens se demandent si c’est Italien ou Corse.
Est-ce un patronyme porté avec fierté – je vous pose la question car Pahlavi, le dernier Shah d’Iran était quand même un dictateur sanguinaire…
Je n’utiliserai pas ces mots là. Ce n’était certainement pas un démocrate, il l’a payé cher. Il a payé de beaucoup de résistance de la part des puissances occidentales. Etonnamment il a chuté alors que beaucoup d’autres alliés très autoritaires des occidentaux ont été maintenus en place à ce moment là, que se soit en Egypte, en Arabie Saoudite ou ailleurs.
Qu’est-ce qu’on comprend de la situation de l’Iran quand on regarde la situation confortablement assis en Amérique du Nord ?
Ce qu’on ne comprend pas c’est étonnamment le message d’un passé révolu, qui a été aussi celui des occidentaux. Ce que les Iraniens ont toujours cherché à faire, que ce soit à l’époque du Shah ou depuis la Révolution Iranienne, c’est d’atteindre des objectifs de souveraineté nationale que les occidentaux eux-mêmes poursuivaient au XIXème siècle. Mais, peut-être, parce qu’ils sont – prenons le cas du Canada – dans une situation de sécurité relative, ils ont oublié à quel point la recherche d’indépendance, d’autonomie, de souveraineté, d’influence régionale sont des enjeux importants. On les regarde un peu avec dédain et on ne les comprend pas alors que leurs objectifs sont assez clairs : préserver la forteresse iranienne et pour se faire projeter l’influence au niveau régional. On le voit avec le général Soleimani en Irak, il s’agit de jouer le jeu d’une puissance régionale pour préserver l’intégrité territoriale et l’indépendance politique. Finalement on devrait les comprendre mais il y a un malentendu, un fossé de civilisation même. Parlons de civilisation, car quand on parle de l’Iran, on parle de la civilisation Perse, or de loin, quand on voit les chaînes d’information continue on voit des barbus, des islamistes qui sont au pouvoir. Mais l’Iran est un pays très diversifié, très cultivé. Les cinéastes sont célébrés à travers le monde, il y a une grande tradition artistique. Qu’est-ce qu’on veut dire quand on parle d’un pays qui a hérité d’une grande civilisation ? C’est le cas de tous ces grands pays comme la Russie, l’Inde ou la Chine, qui ont une culture extrêmement ancienne. Dans le cas de l’Iran, c’est 2500 ans d’histoire, dont la grande partie est préislamique et qui a été enrichie avec les apports de l’islam, avec la conquête arabe au VIIème siècle. C’est un pays effectivement divers, les Perses ne forment que 51 % de la population. Avec aussi des populations turciques, 2% d’Arabes, des Kurdes, des religions diverses, nous même nous étions des chrétiens d’Iran. Même sous ce régime qui est très autoritaire, il y a une certaine forme de tolérance vis-à-vis des gens du livre. C’est un pays qui exporte des cinéastes, des philosophes et des écrivains, mais qui malheureusement évolue sous le joug d’un régime qui lui ressemble très peu.
En 1953 en Iran, le dirigeant élu a été démis par un coup d’état provoqué par les occidentaux, n’est-ce pas une situation qui a provoqué plus tard l’arrivée des Ayatollahs ?
Vous avez raison, c’est un des points tournant de l’histoire iranienne, c’est marqué au fer rouge dans la conscience collective des Iraniens. Ce n’est pas le seul. Ça a commencé au XIXème siècle avec les jeux d’influence dans la région. En 1908, les Britanniques sont intervenus pour imposer une constitution aux Iraniens. Ils sont intervenus à nouveau dans les années 20 pour changer le régime, et écarter l’ancienne dynastie des Kadjar et imposer celle des Pahlavi, en 41 ils sont intervenus à nouveau en occupant le sud de l’Iran tandis que les soviétiques occupaient le nord. Ils ont chassé le Reza Shah pour le remplacer par son fils et puis en 53, on a écarté le premier ministre Mossadegh, qui était un nationaliste qui voulait nationaliser le pétrole iranien, au détriment des compagnies britanniques et occidentales. La CIA et le MI6 britannique ont écarté, lors de l’opération Ajax. C’est alors qu’ils ont confié au Shah d’Iran une mission géopolitique importante, celle d’être l’une des pièces maîtresses d’endiguement de l’Union Soviétique. Le Shah a rempli cette mission pendant les années 50 et 60, puis au début des années 70, comme tous les dirigeants Iraniens avant et après lui, il s’est senti poussé des ailes, enivré par ses succès. Il a voulu rendre la souveraineté à son pays. Il a arraché aux compagnies occidentales le droit de fixer lui-même le prix du baril de pétrole, puis en 73, il a fait quadrupler le prix du baril du pétrole, occasionnant le premier grand choc pétrolier. C’est sans doute ça qu’il a payé. Et le prix a été sa chute en 79.
On sait que le président Barack Obama s’est excusé pour le rôle de la CIA dans ce coup d’Etat de 53 qui a renversé un homme démocratiquement élu. Mais s’il n’y avait pas eu ce coup d’Etat, pensez-vous que les Ayatollahs auraient pris le pouvoir avec les conséquences funestes qu’on sait ?
L’opération Ajax a effectivement pesé lourd dans la révolution iranienne, mais la prise de pouvoir de l’Ayatollah Khomeiny peut aussi très largement s’expliquer par le fait que les Britanniques, les Américains et les Français ont vu leur intérêt dans le retour de l’Ayatollah, qui, rappelons le, a séjourné 3 mois à Paris et est revenu à Téhéran dans un avion Air France. Dès le lendemain de la révolution, le président Jimmy Carter a dit « nous acceptons le nouveau régime et nous allons collaborer avec lui ». Finalement, ce que les Ayatollahs ont essayé de faire en 79 c’est reprendre le projet d’indépendance de l’Iran et s’affranchir de l’emprise américaine. C’est ce qu’ils ont exprimés en 79 par la prise de l’ambassade. C’est donc plus compliqué qu’une affaire de recherche de démocratie.