Le thème du Samedi Saint est au cœur de l’expérience mystique de la théologie d’Adrienne Von Speyr. Le Samedi Saint étant le jour du silence, il n’y avait jamais eu auparavant de théologie systématique sur la « descente aux enfers ». Adrienne von Speyr dépasse les images orthodoxes du Fils qui rencontre Abraham et les patriarches au Shéol, et les intuitions terrifiantes de Luther sur le Fils réprouvé, sur qui se déchaine la colère du Père.
© Natalia Satsyk – Jesus Christ, 2008
A partir de ses expériences de la Passion, Adrienne nous fait découvrir la mission du Christ durant ce jour « vide ». La descente du Christ dans la finitude et le péché ne s’arrête pas avec le coup de lance. Le silence du Samedi Saint est la source et l’aboutissement de toute parole divine. Le Christ entre dans un « état » d’intemporalité de non-foi, de désespoir et de haine. Toute ouverture sur l’infini de Dieu est fermée. (…) l’obéissance est l’expression de l’amour infini du Fils pour son Père et le cœur de sa mission de salut :
« L’obéissance du Seigneur mort est l’objet d’une sur-exigence ultime, inattendue et imprévisible. (…) c’est, d’un côté, une obéissance sans vision possible, puisque le Fils doit chercher le Père là où il ne peut pas être, dans ce qui est rejeté par Dieu. De l’autre côté, ce n’est plus une obéissance active, « il ne lui reste plus de force productive, il est mené plutôt qu’il ne va lui-même », il est devenu « pure fonction », « une contrainte que l’on s’impose à soi-même, ou plutôt : que l’on vous a imposée ». il est pure objectivité, de même que ce qui est éprouvé dans l’enfer, le péché du monde, est pure objectivité ; « entre le Seigneur et le péché, il n’y a aucune loi qui règne, mais une simple confrontation sans loi » . Ainsi n’y a-t-il pas de phases, pas d’élaboration, mais en tout aspect de ce qui est éprouvé, il y a toujours le tout, de même que l’expérience met en jeu toute l’obéissance. Ce qui doit être assumé, c’est « le mystère incompréhensible du péché dans l’enfer. (…) Le cri sur la Croix était un abandon subjectif au milieu de l’obéissance accomplie, l’abandon dans l’enfer est purement objectif, c’est un au-delà de l’obéissance » [1]Cf Antoine Birot, La Dramatique trinitaire de l’amour : Pour une introduction à la théologie trinitaire de Hans Urs von Balthasar et Adrienne von Speyr, Parole et silence, Paris 2009, p.68
Adrienne définit aussi l’enfer comme un état d’indécision : on ne peut rien choisir car rien n’a de sens, on ne peut plus agir parce que tout est inutile, on ne peut chercher le Seigneur car tout est fermé. L’enfer est l’état du péché informe une fois séparé de la personne. C’est une sorte de masse brute et anonyme. C’est le contraire de la figure, de la mission, de la personne. Adrienne von Speyr parle des « effigies » qui sont comme le contraire de notre mission, l’empreinte laissée par le refus de sa propre mission et ses conséquences. » [2]cf Hans Urs von Balthasar, Adrienne von Speyr : le mystère du samedi saint, in Communio, VI/1981, pp. 63-71
© Natalia Satsyk – Christ non fait de main d’homme
Le Samedi Saint marque le sommet de la polarité entre le Père et le Fils, entre la lumière et les ténèbres, la communion et la solitude. Adrienne commente, dans la perspective du Samedi Saint, le verset du Prologue de Saint Jean « la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée ». Comme chaque évènement de la vie du Christ, le Samedi Saint révèle une nouvelle facette des relations intra-trinitaires :
« Les ténèbres de la déréliction du Fils ont leur origine dans les ténèbres du Père. Certes, les ténèbres sont le domaine réservé du Père, ce domaine qu’en sa qualité de Créateur il a séparé de la lumière et dont il s’est réservé la souveraineté : le domaine de la nuit et du péché. Cette souveraineté, c’est le juste jugement qu’il doit prononcer. Mais ces ténèbres, le Fils, qui est et veut être l’image parfaite du Père, les assume sur la Croix, et le Père reconnait ses propres ténèbres dans son Fils crucifié. Leur ultime communion a la forme de la suprême séparation. De toute éternité, la relation entre le Père et le Fils était relation de vie et d’amour, et même sur terre, le Fils vivait de cet échange avec le Père. À présent, ce contact sensible est interrompu. La communion entre eux est supprimée. Tous deux se font face comme des étrangers : leur lumière et leurs ténèbres ne correspondent plus. Les ténèbres du Père ne sont plus ce mystère protecteur de l’amour, où la lumière aimante du Fils peut pénétrer. Elles sont étrangères, froides, inconnues et hostiles, repoussantes. Mais justement de cette manière, les ténèbres du Père deviennent lumière. Car maintenant qu’il les voit dans le Fils et dans sa déréliction, il n’a plus à les considérer comme son domaine réservé ; il peut considérer le péché de sa créature dans la lumière de l’amour de son Fils, et non plus dans les ténèbres de sa justice. Ainsi, ces ténèbres du Père deviennent lumière dans le Fils, et donc aussi dans le Père. (…) Le temps de la déréliction réciproque du Père et du Fils, est celui où se consomme le mystère le plus intime de leur amour. Leur aliénation n’est qu’une forme de leur suprême intimité. Et si l’Esprit Saint est le vivant échange d’amour entre le Père et le Fils, il doit lui aussi être touché par ces ténèbres qui les enveloppent. Dans cette déréliction, il est comme effacé, invisible et transparent ; il laisse le Père et le Fils seuls dans le mystère de leur suprême intimité. Il s’efface Lui-même – devenant ainsi ténèbres – afin que rien d’autre n’existe plus entre le Père et le Fils que leur mystère de leur amour enténébré. Comme il est lui-même cet amour, il en est aussi l’obscurcissement. C’est sa façon de participer à la Croix et à la rédemption. Il est ténèbres par sa non-présence, par sa suspension » [3]Le Verbe s’est fait chair, I, pp.64-66
Adrienne von Speyr donne un enseignement nouveau sur la péricope de Saint Paul « le Christ s’est fait péché pour nous » [4]2Co 5,21. La théologie du Samedi Saint permet de comprendre le sens de la substitution du Christ qui n’a pas seulement assumé les conséquences de nos fautes, mais le poids de la culpabilité elle-même.
Jacques Bagnoud, Adrienne von Speyr, Médecin et mystique (extraits), Editions Chōra, pp.147-152
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References
↑1 | Cf Antoine Birot, La Dramatique trinitaire de l’amour : Pour une introduction à la théologie trinitaire de Hans Urs von Balthasar et Adrienne von Speyr, Parole et silence, Paris 2009, p.68 |
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↑2 | cf Hans Urs von Balthasar, Adrienne von Speyr : le mystère du samedi saint, in Communio, VI/1981, pp. 63-71 |
↑3 | Le Verbe s’est fait chair, I, pp.64-66 |
↑4 | 2Co 5,21 |