Home > Centenaire de la canonisation de Jeanne d'Arc > Et tous étaient frappés par son autorité

Des marches de Lorraine jusqu’au bûcher de Rouen, Jeanne d’Arc fait preuve d’une autorité exceptionnelle qui renverse en un an toutes les hiérarchies médiévales. Tout juste âgée de 17 ans, celle qui eût préféré « filer auprès de sa mère », met en branle une armée composée de princes de sang royal et de routiers écorcheurs, fait tomber les plus redoutables ennemis d’un royaume émietté et confond dans leurs jeux politiques les clercs les plus experts.

 

 

Comment des milliers d’hommes ont-ils pu se ranger aussi soudainement derrière la bannière de Jeanne ? Celle qui est instruite par la cour céleste pendant 3 ans dans le village de son père, vit en lien direct avec l’Eglise triomphante, réalité permanente où les anges et les saints sont invités à contribuer, sous les ordres du Christ, à la réalisation du plan divin. Forte de cette certitude et confiante dans l’origine des ordres, Jeanne est naturellement pourvue d’une autorité puissante.

Cette autorité, loin d’être despotique, est ancrée dans le souci des âmes : sous les ordres de Jeanne chacun apprend qu’il se bat pour la victoire finale contre l’anglais tout autant que pour le salut de son âme. Finalement, rencontrer Jeanne équivaut à faire le point sur son âme et sur les comptes à rendre à son Créateur, perspective extrêmement concrète en temps de guerre. Les hommes amenés à servir sous les ordres de Jeanne perçoivent cette double responsabilité de Jeanne, temporelle, la libération du Royaume de France, et spirituelle, au sens où celle qui avait fait coudre JHESU – MARIA sur son étendard – la seule arme qu’elle a jamais brandi sur un champ de bataille – voudrait dire à la suite du divin Stratège : « Quand j’étais avec eux, je les gardais unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu » [1]Jn 17, 12

Suivons Jeanne dans quelques-unes de ses rencontres, où dans les pas du Maître sont « dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre » [2]Lc 2, 35 . Amis ou ennemis, Jeanne montre clairement qu’elle a reçu pour sa double mission la libération de la France et le Salut de ceux qui lui ont été confiés.

Le sacristain insouciant

Le témoignage du sacristain de Domrémy au procès de réhabilitation de la Pucelle d’Orléans, près de 20 ans après son supplice, nous donne l’aperçu d’une Jeanne qui, malgré son jeune âge, est déjà exigeante envers ses contemporains quand il s’agit du bien des âmes : « Quand je ne sonnais pas complies, Jeanne m’interpellait et me grondait, disant que je n’avais pas bien fait, et même elle avait promis de me donner de la laine afin que je sois exact à sonner complies. » [3]Citations tirées du procès de réhabilitation http://www.stejeannedarc.net/rehabilitation/plan.php . Toutes les citations de l’article proviennent de la même source 

Le courage de dire la vérité, quand est en jeu le bien éternel (dont la prière de l’Eglise en temps de crise fait partie !), sera une constante dans la vie de Jeanne et prendra même de plus en plus d’ampleur. Jeanne ne craint pas de réprimander ce sacristain négligent, et va jusqu’à lui donner les moyens de changer en lui promettant une récompense bien humaine ! Exemple d’une autorité authentiquement chrétienne, où celui qui donne l’ordre ne le fait pas de loin et sans conséquence mais implique concrètement sa personne.

 

 

Durant Laxart : il vit et il crut 

Dans la mission que Jeanne reçoit d’en haut, il est le premier homme de confiance, convaincu par la sincérité de Jeanne grâce à cette prophétie qu’elle ne manque pas de lui rappeler : « N’a-t-il pas autrefois été dit que la France par une femme serait désolée, et ensuite par une pucelle devait être restaurée ? ». A Vaucouleurs c’est lui qui présente la requête de la jeune paysanne à Baudricourt. On peut imaginer la scène : le laboureur qui tente de convaincre le capitaine d’arme d’une citadelle isolée en terre ennemie… Le dur officier lui enjoint plutôt de renvoyer la jeune fille chez son père « après l’avoir bien giflée ». Plus tard, de guerre lasse et devant l’insistance de Jeanne et son oncle dans l’entreprise de cette folie, Baudricourt envoie cette curieuse équipée auprès du Duc de Lorraine qui est gravement malade et qui attend Jeanne comme un « guérisseur » car sa réputation d’illuminée traverse déjà les murs de Vaucouleurs. De cette manière Baudricourt espère peut-être s’en débarrasser. Là encore c’est Durant Laxart qui l’accompagne jusqu’aux environs de Nancy. De cette rencontre avec le Duc de Lorraine, Marguerite la Touroulde raconte que Jeanne reproche sévèrement au Duc sa conduite envers son épouse qu’il trompe, et lui ordonne de « s’amender s’il espère guérir ». Ensuite, Jeanne revient à la charge à Vaucouleurs, son oncle toujours à son service ; Baudricourt finit par se laisser convaincre par son obstination : il lui remet son épée et une équipe de chevaliers, chargée de l’escorter dans la périlleuse excursion en territoire bourguignon jusqu’à Chinon. Durant Laxart et un ami laboureur se cotisent pour lui offrir un cheval. On ne peut que s’émerveiller de l’extraordinaire « mise à disposition » de sa personne et de ses biens, dans cette première étape cruciale de l’épopée de Jeanne. Aucun doute sur le fait qu’il a aperçu chez sa nièce la poursuite d’une authentique mission venue du ciel, mission qui lui confère un indéfectible courage et une autorité surnaturelle.  

Jean de Metz : il se leva et suivit

La discussion suivante rapportée par Jean de Metz – écuyer de Beaudricourt, celui même qui fournira à Jeanne les vêtements d’homme qui la condamneront – est fascinante. En quatre phrases ce chevalier pieux et clairvoyant se soumet à l’autorité de Jeanne, une paysanne de la Creuse d’à peine 16 ans : 

« – Ma mie que faites-vous ici ? Ne faut-il pas que le roi soit jeté hors du royaume et que nous soyons anglais ? 

Et la pucelle me répondit :

– Je suis venu ici à chambre de roi (place forte de Vaucouleurs), pour parler à Robert Baudricourt, pour qu’il veuille me conduire ou me faire conduire au roi ; mais il ne fait pas attention à moi, ni à mes paroles ; et pourtant, avant que ce soit la mi-carême, il faut que je sois auprès du roi, dussé-je m’y user les pieds jusqu’aux genoux. Il n’y a en effet personne au monde, ni rois, ni ducs, ni fille du roi d’Ecosse ou autres, qui puisse recouvrer le royaume de France, et il n’aura secours si ce n’est de moi ; bien que j’eusse bien préféré filer auprès de ma pauvre mère, car ce n’est pas mon état, mais il faut que j’aille et que je fasse cela, car mon Seigneur veut que j’agisse ainsi. 

Je lui ai demandé qui était son seigneur. Et elle me dit que c’était Dieu. Et alors moi Jean, qui témoigne ici, j’ai promis à la pucelle, mettant ma main dans la sienne en geste de foi, que, Dieu aidant, je la conduirais vers le roi. »

 

 

Sans détours et sans fioriture, Jeanne explique au chevalier qu’elle reçoit sa mission d’en haut. Ce dernier est saisi par un tel aplomb, une telle confiance en Dieu. Il promet de la suivre et se met en route.

Chevalier de la Hire : il y a plus de joie au ciel … 

Réputé pour ses terribles colères (son surnom vient justement de sa ire légendaire !) pendant le combat, autant que pour ses cavalcades pillardes avec ses routiers en terre Bourgogne, la Hire est un redoutable capitaine autant respecté que craint. Jeanne le reprend sans cesse ni hésitation pour ses innombrables jurons. Il ne l’écoute pas, elle se fâche : « La Hire ! La Pucelle te défend de jurer, sous peine d’enfer ! ».² Cette audacieuse injonction impressionne l’auditeur que nous sommes : elle montre que Jeanne, nullement intimidée par la réputation du routier, s’attache d’abord au bien de son âme. La Hire finira d’ailleurs par transformer ses blasphèmes contre Dieu en des jurons contre son bâton ! Petit à petit il prend soin de son âme ; avant une bataille il ira même se confesser sommairement à un chapelain s’exclamant en guise d’aveux « Je n’ai pas le loisir de me confesser mais j’ai fait ce que les gens de guerre ont accoutumé de faire ! ». L’histoire retient de lui cette touchante prière avant chaque bataille : « Sire Dieu, je te prie de faire pour La Hire ce que La Hire ferait pour toi s’il était Dieu et que tu fusses La Hire. » [4]http://www.lesportesdutemps.com/archives/2018/01/28/36088713.html La Hire comme beaucoup des hommes de guerre qui composèrent l’armée de Jeanne, apprit non seulement à lui obéir, mais à entrer dans ses intentions, à comprendre que la bataille véritable n’est jamais simplement terrestre.

 

Chevalier de La Hire

 

Dunois, bâtard d’Orléans, c’est moi, n’ayez pas peur 

Lorsque Dunois, prince de sang royal, rencontre Jeanne pour la toute première fois aux abords d’Orléans, il se voit vertement réprimandé. En effet, Jeanne, qui arrive avec des renforts et un convoi de vivres, reproche ouvertement au gouverneur d’Orléans d’avoir évité, par peur, la confrontation avec les anglais : « En nom Dieu, le conseil du Seigneur Notre Dieu est plus sage que le vôtre. Vous avez crû me tromper mais c’est vous surtout qui vous trompez, car je vous apporte meilleur secours qu’il ne vous en est venu d’aucun soldat ou d’aucune cité : c’est le secours du roi des cieux. » La position de Jeanne tranche dans les stratégies classiques et les discours politiques : elle apporte le soutien de Dieu ; s’ils veulent vaincre les anglais, les capitaines doivent d’abord faire allégeance au Roi du Ciel dont Jeanne est le porte-parole. Plus tard, comme les renforts ont pris place aux abords d’Orléans, Dunois invite Jeanne à rencontrer le peuple d’Orléans qui l’attend désespérément. Mais Dunois témoignera : « Sur cela, elle fit difficulté, disant qu’elle ne voulait pas renvoyer ses gens d’armes, qui s’étaient bien confessés et étaient repentants et de bonne volonté et pour cela elle ne voulait pas venir. » Ici encore, la principale préoccupation de Jeanne concerne non le réconfort ou la gloire mais les âmes de ses hommes, qui risqueraient bien de succomber aux habituels charmes des villes à la veille d’affronter les perfides anglais.

 

Dunois

 

Malheureux êtes-vous, cavalier de Chinon, hypocrite…

Si l’autorité de Jeanne paraît de prime abord inefficace sur ses ennemis, les admonestations qu’elle leur adresse n’en sont pas moins vigoureuses. Elles s’apparentent parfois à des condamnations. On y voit l’ultime alerte de Jeanne pour ces âmes en péril, prévenance souvent teintée d’une juste colère. Le Frère Pasquerel, confesseur de Jeanne et fidèle compagnon, nous raconte cette surprenante histoire : « Lorsque Jeanne entra chez le roi pour lui parler, un homme qui était à cheval dit ces paroles : ‘Est-ce pas là la Pucelle ?’ ; en jurant Dieu que s’il la tenait une nuit, elle ne repartirait pas pucelle. Jeanne répondit alors à cet homme : ‘Ah ! en nom Dieu, tu le renies, et tu es si près de ta mort !’. Cet homme ensuite, dans l’heure, tomba à l’eau et se noya. » 

Toujours très directe dans son style Jeanne rétabli une juste mesure des choses : elle n’évoque pas la blessure qu’elle eût pu éprouver légitiment en entendant l’insulte. Sa réponse cinglante ramène le cavalier à une réalité supérieure, en l’occurrence sa mort, et du risque qu’il prend par rapport à son Créateur dans cette offense. 

Voyant Glasdale l’obstiné, elle fut saisi de compassion… 

A Orléans, il ne reste plus qu’une seule bastille à faire tomber pour lever le siège d’Orléans. Jeanne vient sommer les anglais de partir devant leur palissade avant qu’elle ne leur livre bataille. Pour toute réponse Classidas (ou Glasdale) le capitaine de la bastille traite Jeanne de « putain d’Armagnac ». Jeanne s’en émeut et enrage en prévenant Glasdale que sa mort est proche et qu’il s’en remette à Dieu. Plus tard dans la journée alors que la bataille approche de son dénouement en faveur de la France, Jeanne lui cria : « Classidas, Classidas, rends-toi, rends-toi au roi des cieux, tu m’as appelé putain, moi j’ai grand pitié de ton âme et de celle des tiens ». Il périt noyé peu après quand le pont levis qu’il tentait de franchir s’effondra sous le poids de ses troupes. Jeanne témoin de cette scène s’émeut de pitié. Ce terrible passage de la bataille d’Orléans met en lumière l’ultime compassion de Jeanne y compris pour ses ennemis qu’elle ne cesse de mettre en garde pour leur propre salut. 

 

Glasdale

 

Pour qu’ils aient la vie en abondance…

Le procès de réhabilitation met en lumière des passages plus méconnus de l’émouvante épopée de Jeanne. Grâce à lui, il nous est donné de comprendre un peu mieux quelle était la source de l’autorité de cette jeune fille, qui changea à jamais le destin de toute la France. Chez Jeanne, l’autorité, qui découle du mandat céleste, est aussi la manifestation d’une charité sublime qui s’exprime par le souci des âmes. Familiers, compagnons, hommes de guerre et ennemis c’est toujours le même élan qui pousse Jeanne à se préoccuper de la vie éternelle bien plus que l’issu de la bataille pour chacun. L’autorité véritable, qui naît toujours d’une obéissance, ne peut être ultimement que service de la vie éternelle. 

Jeanne tutoie les rois car elle a conscience d’une hiérarchie suprême qui est fondée dans les Cieux, dont elle se fait le porte-voix. C’est sur cette certitude que ses juges de Rouen s’acharneront. Jeanne est l’alouette qui monte en piquée, pour rappeler aux hommes sûrs de leur pouvoir et pris dans une désespérante horizontalité (des théologiens qui ne croient pas au miracle !) le sens du Ciel. Un des juges de Rouen s’exclama en larmes devant le bûcher de Jeanne : « Je voudrais que mon âme fût où je crois qu’est l’âme de cette femme ». 

Source Photos : Internet

References

References
1 Jn 17, 12
2 Lc 2, 35
3 Citations tirées du procès de réhabilitation http://www.stejeannedarc.net/rehabilitation/plan.php . Toutes les citations de l’article proviennent de la même source
4 http://www.lesportesdutemps.com/archives/2018/01/28/36088713.html
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