Le travail de Bill Viola nous convie à une expérience qui révèle « les pensées intimes du cœur ». La qualité du silence des spectateurs dans ses expositions est éloquente. D’où vient ce sentiment étrange d’être conduits « chez nous » par les œuvres du maître ?
A contre-courant de notre époque friande d’introspection, de retour sur soi et d’analyse en tous genres – supposés nous permettre de mieux nous connaître et mieux nous développer – l’œuvre de Bill Viola est une sortie de soi, une offrande. Cette offrande est inscrite dans la genèse même de ses œuvres. En effet, les œuvres de Bill Viola ne sont pas créées dans la solitude mais au sein d’une relation. Bien qu’elles soient signées du seul nom de Bill Viola, ce dernier ne fait aucun mystère du fait qu’elles sont en réalité des œuvres à quatre mains, produit d’une collaboration avec sa partenaire Kira Perov.
Bill Viola et Kira Perov
Cette collaboration, née de la rencontre de l’artiste avec la photographe en 1977, grandit au fil des années. « Au début, c’était juste moi, avec Kira faisant ce que je disais », disait Bill Viola dans une interview en 2014. « Mais au fil du temps, elle est devenue comme une sage-femme au travail, veillant à la santé du bébé en même temps qu’à tous les aspects de la naissance. »
S’il n’y a pas de compétition entre les deux artistes, leur collaboration n’est pas non plus une simple mise en commun de leurs efforts et de leurs talents. Kira voit en effet sa mission, proprement féminine, comme étant au service du don de Bill Viola. Elle voit son rôle comme celui d’un ange gardien. Elle dit : « Je suis toujours là et parfois je peux voir plus clairement, parce que je contemple de l’extérieur. Ma principale préoccupation est de m’assurer que l’idée de Bill va être créée comme elle devrait l’être. »
Kira Perov incarne ces paroles de Edith Stein sur la vocation féminine : « La femme qui, selon les paroles de la Genèse, est placée aux côtés de son mari afin qu’il ne soit pas seul, mais qu’il ait une aide qui lui soit assortie, remplira sa vocation en tant qu’épouse en commençant par faire sienne sa cause. » [1]Edith Stein, Vie chrétienne de la femme .
Cette dimension mariale de la collaboration de Kira Perov se retrouve en particulier dans une œuvre récente, inaugurée en 2016 à la cathédrale Saint Paul, à Londres. Fruit de sept années de travail, cette œuvre fut, selon l’aveu de l’artiste, une des plus difficiles qu’il n’ait jamais eu à réaliser. L’idée de cette œuvre est née devant la Vierge Noire de Montserrat, en Catalogne.
Cette œuvre est une méditation sur quatre moments de la vie de Marie, contemplée à la fois comme une femme ordinaire et comme la Mère de Dieu, co-rédemptrice : la visitation, la nativité, la fuite au désert et la croix.
Le second tableau montre la Femme qui donne le sein à l’Enfant, pleine de tendresse et de douceur. Elle regarde le spectateur droit dans les yeux. La paix et la responsabilité de la Mère de Dieu sont palpables. Derrière elle se trouve Los Angeles, image du monde anonyme et désincarné, sauvé par l’amour de la Mère et de l’Enfant.
Le dernier tableau contemple Marie dans l’attitude de la « Pietà » : Marie reçoit le corps de son Fils, déjà décoloré par la mort. Son visage maternel est à la fois souffrant et digne. Ses mouvements semblent transmettre la vie.
Comme toutes ses œuvres, elles sont signées Bill Viola mais sont le fruit d’un travail commun. Bill Viola affirme que cette œuvre n’aurait pu aboutir sans la présence et le travail de Kira. Cette œuvre contemple en Marie, à leur plus haut degré, les « qualités de l’âme féminine » telles que décrites par Edith Stein : « L’âme de la femme doit être ample et ouverte à tout ce qui a trait à l’humain ; elle doit être silencieuse, de sorte que des tempêtes mugissantes n’éteignent pas de douces et petites flammes; elle doit être chaleureuse, afin que de tendres germes ne se figent pas ; elle doit être limpide, afin que des parasites ne viennent point se nicher dans ses sombres coins et recoins ; elle doit être repliée sur elle-même, de sorte que des assauts extérieurs ne mettent pas en péril la vie en son tréfonds ; elle doit être vide d’elle-même, afin que la vie d’autrui puisse avoir sa demeure en elle ; et enfin, elle doit être maîtresse d’elle-même et de son corps également, afin que toute sa personne, prête à servir, se tienne à la disposition de tout appel. » [2]Edith Stein, l’âme féminine
Ces qualités sont également celles que Kira apporte, par sa présence discrète et forte aux côtés de son partenaire, à l’œuvre de Bill Viola. Cette relation est l’espace qui permet le silence et la dimension verticale de ses films. N’est-ce pas en cela précisément, dans la mesure où elle l’aide à vivre son rapport avec Dieu, que Eve est une « aide adéquate » pour Adam ?
Trailer du film The Road to St Paul qui retrace la genèse de Mary.
Article rédigé par Marianne Philibert et Paul Anel