24 avril 2022: 28% des personnes en droit de voter ont boudé les urnes à l’occasion de l’élection présidentielle française.
12 juin 2022 : ce sont, cette fois, 52,4% des personnes inscrites sur les listes électorales qui ne se sont pas déplacées pour les législatives.
Ce constat sans équivoque n’est que le révélateur d’une apparente tendance progressive de la désaffection des français pour le champ politique. Pourtant, la République Française se fonde sur ce principe de représentation élective pour asseoir sa souveraineté. Les articles 1 et 2 de la constitution de 1958 posent le principe du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple via l’élection de ses représentants et par la voie du référendum. Alors, est-ce que réellement le champ politique français est déserté ? Peut-on encore qualifier de citoyens ces millions de français qui n’usent plus de ce droit fondamental ?
© Terre de Compassion
Mais, c’est quoi un citoyen?
Dans l’Antiquité, où la notion de citoyenneté est née, le citoyen était, avant même de jouir de droits et de privilèges importants, le membre d’une communauté juridique constituée. Pour Aristote, le premier devoir du citoyen était de participer aux affaires publiques. La notion de citoyenneté a traversé les âges et a oscillé au gré de l’évolution des sociétés et donc de la diversité du lien qui unit l’individu à la communauté politique à laquelle il appartient.
Prenons aujourd’hui la définition du Larousse : est citoyen toute « personne jouissant, dans l’État dont il relève, des droits civils et politiques, et notamment du droit de vote » . Etre citoyen français c’est donc relever d’un statut défini par les cadres juridiques régissant la nationalité, les élections, la sécurité nationale ou encore le droit pénal. Mais, si aujourd’hui le droit de vote n’est plus le média pertinent pour un grand nombre de français (et notamment les jeunes) pour agir dans le champ politique, on ne peut parler de crise de la citoyenneté.
En effet, la citoyenneté ne se définit pas uniquement d’un point de vue juridique par la possession de la nationalité française et des droits civiques et politiques. Elle se définit aussi comme une participation à la vie de la cité. Le citoyen y participe de manière contraignante (respect des lois, paiement de l’impôt, défense de la nation) ou libre (vote, respect des autres, aide aux autres, défense de l’environnement…).
Le statut juridique de citoyen est un statut de liberté ainsi il peut choisir de participer à la vie publique (citoyen actif) ou non (citoyen passif). L’usage du droit de vote n’est donc qu’un pan de la citoyenneté. Cette dernière est aujourd’hui plus communément utilisée pour désigner un signe de vertu au service de l’intérêt général et, vu de cette fenêtre, la citoyenneté est bien vivante en France.
Voici un schéma présentant la diversité des moyens dont peut user une personne pour exercer sa citoyenneté aujourd’hui.
Depuis 2014, l’association « Empreintes citoyennes » promeut la participation citoyenne notamment à travers son label « villages et villes citoyennes » en accompagnant les communes désireuses de susciter et de mettre en valeur l’engagement citoyen de ses habitants. Pour Julien Goupil, fondateur de l’association, « c’est en citoyennant qu’on devient citoyen ». C’est à travers l’agir de la personne que pourra être déterminé sa qualité de citoyen. Sa conviction qu’une démocratie représentative ne peut fonctionner sans la participation et le dialogue avec les citoyens, fait sens pour beaucoup. C’est ainsi qu’il a été auditionné par la mission d’information du Sénat sur la culture citoyenne en décembre 2021 (mission qui a abouti à un rapport listant 23 recommandations pour réparer le lien entre les citoyens, en particulier les jeunes, et les institutions). La question de la citoyenneté est au cœur des préoccupations des acteurs et des instituions de la République; le nombre d’auditions, de colloques, de rapports que l’on peut trouver sur le sujet montre son importance pour le bon fonctionnement de notre démocratie.
Le citoyen est donc celui qui participe à la vie de la cité et cette participation peut évoluer aussi bien dans un cadre institutionnel (les citoyens sont invités à s’exprimer via des concertations, des conseils de quartiers ou autres proposés par les collectivités ou l’Etat…) que dans la sphère privée (engagement associatif, syndicat…). Ainsi, le champ politique n’est pas déserté, ce sont les moyens dont les citoyens usent pour l’investir qui ont changé, le but étant toujours de garantir un meilleur vivre ensemble (intérêt général) en dépassant ses intérêts particuliers.
Je veux maintenant vous citer deux phrases du « rapport collectif sur l’intérêt général: nouveaux enjeux, nouvelles alliances, nouvelle gouvernance », publié en 2015 par le centre de ressources sur la co-construction territoriale, que je trouve lumineuses.
« L’engagement de chacun, pour qui qu’il soit, y compris pour lui-même lorsqu’il fait face à ses fragilités, est un signe de l’intérêt général. S’il ne commence pas par l’attention à l’autre, alors il ne commence jamais. »
Une porte s’ouvre alors et me redonne espoir. Chaque fois que je me dépasse, que je sors de moi, de ma zone de confort pour un bien supérieur, l’intérêt général, c’est alors que je retrouve ma citoyenneté; moi qui, à force de déceptions, ai aussi déserté les urnes quand bien même je clamais haut et fort les valeurs républicaines et défendais le droit de vote en parfait disciple de l’enseignement universitaire des sciences politiques.
Ainsi, quand je m’engage dans l’organisation de la fête de mon village, je participe au maintien et au développement du lien social dans ma commune, quand je covoiture, je participe à l’effort collectif pour la diminution des gaz à effets de serre, quand je fais le choix de consommer localement, je fais front, toutes proportions gardées, à la mondialisation décadente dont on subit aujourd’hui les conséquences, lorsque je souris à mon mari, mes enfants, mes collègues alors même que je suis au plus bas, je participe aussi au mieux vivre ensemble.
Ainsi, sourire à l’autre c’est sortir de soi et c’est la première étape pour la co-construction car « plus que dans l’action de chacun, c’est dans l’articulation entre tous que se joue notre capacité à agir collectivement. La co-construction est la seule méthode raisonnable pour inventer des solutions à l’ampleur des défis du XXIème siècle. Elle doit associer l’ensemble des acteurs – Pouvoirs publics, entreprises sous toutes ses formes, structures d’intérêt général, mondes académique et médiatique et citoyen » (Rapport collectif sur l’intérêt général: nouveaux enjeux, nouvelles alliances, nouvelle gouvernance).
Malgré les sacrifices et souffrances que nos ancêtres ont endurés pour obtenir le droit de vote, son usage est aujourd’hui dépassé. D’où cette nécessaire redéfinition de ce qu’est être citoyen pour réaffirmer la place qu’a chacun dans le champ politique pour œuvrer pour le bien commun.