Joseph Ratzinger est né le 16 avril 1927 à Marktl am Inn en Bavière, un Samedi Saint. Son père Joseph, déjà âgé de 50 ans (il s’est marié tard et Joseph est son dernier enfant), emmène son dernier né à l’église quelques heures après afin de bénéficier du privilège d’être baptisé dans les nouvelles eaux baptismales consacrées durant la nuit de Pâques. Comme il le dira à plusieurs reprises, la date de sa naissance a eu une influence décisive sur toute son existence : « Mes parents avaient ressenti ces grâces comme providentielles et me l’avaient dit dès le début. » [1]Peter Seewald, Benoit XVI une vie, Tome 1, Editions Chora, p.22
Joseph Ratzinger (Source)
Le mystère du Samedi Saint restera pour toujours proche de son cœur et de ses préoccupations théologiques : « Il y a quelque chose de l’histoire humaine en général, de la situation de notre siècle, mais aussi de ma vie. D’un côté, il y a l’obscurité, l’incertitude, le questionnement, les dangers, la menace, mais de l’autre la certitude qu’il y a de la lumière, que cela vaut la peine de vivre et de continuer. » [2]Peter Seewald, Benoit XVI une vie, Tome 1, Editions Chora, p.22
Troisième et dernier de la fratrie, il gardera toujours un attachement très fort à sa famille, ce qui ressort d’une si belle manière dans son Testament spirituel, rédigé en 2006 et publié après sa mort. A sa famille est attachée bien sûr le lieu dans lequel il a grandi : son père étant gendarme, l’enfance de Joseph a été marquée par de nombreux déménagements liés aux affectations, cependant toujours à l’intérieur de la Bavière si chère à son cœur.
Benoît XVI a cité un jour un mot de Goethe : « Quiconque veut comprendre un poète, doit aller dans sa patrie. » [3]Peter Seewald, Benoit XVI une vie, Tome 1, Editions Chora, p.87 Il parlait certainement de lui-même, quand on pense de nouveau à son Testament spirituel où il est fait une référence explicite et appuyée à sa terre natale. La Bavière dans laquelle le jeune Joseph grandit est une terre où le sillon de la foi a été creusé en profondeur. Il y règne grâce à cela un art de vivre fait d’harmonie, de foi, de jovialité, d’ouverture et de culture sur lequel il reviendra à plusieurs reprises. La vie est marquée et rythmée par la foi et les différentes traditions inhérentes à celle-ci, la foi est réellement devenue culture et humanise les rapports humains. Avec les Alpes à l’horizon, des petites églises baroques richement décorées et sanctifiant les heures de leur carillon, les échos de Salzbourg qui familiarise les gens les plus simples à la grande musique, cette Bavière de son enfance si chère à son cœur fait l’effet d’un véritable jardin d’Eden.
La famille Ratzinger est très unie : Maria sa sœur ainée qui n’a pas fondé de famille, accompagnera son jeune frère dans ses différentes affectations de professeur, d’évêque et même de préfet à Rome pour lui servir d’assistante, de maîtresse de maison et de confidente. Georg de trois ans son aîné, le précède sur le chemin du petit séminaire mais sera finalement du fait de la guerre ordonné en même temps que lui en 1951. Ils resteront très unis et saisirons toutes les occasions de passer du temps ensemble jusqu’au soir de leur vie. Mais ceux qui marquent particulièrement l’enfance de Joseph, ce sont ses parents. Lorsque Georg et Maria quittent la maison, il passe quelques années seul avec ses parents et développe une relation privilégiée avec son père qui l’emmène dans de grandes promenades à vélo ou à pied, lui racontent d’innombrables histoires inventées au fur et à mesure, l’édifie par une piété simple et profonde et lui enseigne très tôt à exercer son jugement en toute situation, qu’il en aille des sujets politiques (le nazisme est en train de prendre le pouvoir) ou ecclésiastiques. De sa mère, il dit dans son Testament : « La profonde dévotion et la grande bonté de ma mère sont un héritage pour lequel je ne saurais la remercier suffisamment ». On notera aussi les visites régulières d’une tante Théogone religieuse et d’un oncle Alois prêtre, personnalité originale avec un caractère bien trempé.
En tant que gendarme, le père de Joseph est aux premières loges pour percevoir la chape progressive qui s’installe sur l’Allemagne avec la montée du parti national socialiste. Sa position est d’autant plus inconfortable qu’il est dès le début persuadé que le nazisme est une véritable plaie pour son pays et contredit ouvertement sa foi. C’est donc avec un immense soulagement que le 21 mars 1937, il écoute avec tous les catholiques allemands la lecture en chair des éléments principaux de l’encyclique Mit brennender Sorge (avec une vive inquiétude) du pape Pie XI. Arrivée en secret en Allemagne une semaine auparavant, elle est imprimée dans la clandestinité et lue simultanément dans toutes les chairs des églises pour préserver l’effet de surprise et éviter la censure. Joseph Ratzinger père sait cependant que l’Encyclique signe le début de la persécution des catholiques, considérés désormais comme ennemis de la nation. Il cherchera dès lors à quitter le service (son âge lui permet de partir en retraite anticipée) et à éloigner sa famille de l’agitation en s’installant dans un endroit reculé. C’est dans ce cadre rustique mais chaleureux que Joseph passera ses dernières années en famille, avant d’entrer en 1939 au petit séminaire à Traunstein. Cette institution moderne, équipée, réputée pour son humanisme, laissera des souvenirs partagés dans le cœur de Joseph. D’un côté il y a le rythme de vie très structuré et rigide dans laquelle le jeune homme a du mal à entrer ; de l’autre il y le directeur Johannes Evangelist Mair, dit « Rex », figure charismatique, mélomane, qui aura à cœur de préserver ses élèves de l’idéologie toujours plus oppressante et de les souder les uns aux autres autour du Christ. La vie de séminaire ne durera cependant pas longtemps puisque les locaux sont rapidement réquisitionnés pour l’effort de guerre. Après quelques mois chez des sœurs à proximité, les élèves du petit séminaire doivent finalement se résoudre à retourner chez eux et ne venir à l’école que pour suivre les cours.
Cette période de guerre voit la contrainte sur les jeunes s’intensifier, de sorte que Joseph n’a pas d’autre choix que de rejoindre les jeunesses hitlériennes, sans pour autant devoir porter l’uniforme. Son peloton, composé d’élèves du petit séminaire comme lui hostiles à Hitler, fait l’objet des quolibets méprisants des autres membres des HJ, engagés eux volontairement, qui considèrent ces jeunes « papistes » comme des traîtres.
Joseph Ratzinger (Source)
Alors que la guerre s’intensifie, Joseph doit dés 15 ans participer à l’effort et se retrouve enrôlé dans une unité de défense anti-aérienne où il participe aux calculs de visée. Cette tâche le mettra devant ses premiers cas de conscience, sachant qu’un bon calcul pouvait provoquer la destruction d’un avion anglais, tandis qu’un mauvais l’exposait à de graves sanctions. Durant cette période, Joseph saisit chaque moment de solitude pour se réfugier dans la lecture et l’écriture. Les nazis qui le commandent sont parfois rudes et humiliants, mais plus le temps passe, plus l’usure de la guerre a raison de la dureté. Transféré aux confins de l’Autriche et de la Hongrie à la surveillance de prisonniers au travail, il est muni d’une arme mais ne reçoit pas de munition. De nouveau, il est affecté dans une caserne à proximité de Traunstein, mais une blessure à la main lui vaut quelques mois de permission.
A quelques jours de l’armistice, apprenant la mort d’Hitler, il décide sur un coup de tête de déserter et de rentrer chez lui à pied. Il commenta humblement cet évènement après coup : « Pourquoi suis-je malgré tout rentré à la maison avec une telle dose de naïveté, je ne saurais me l’expliquer. » [4]Peter Seewald, Benoit XVI une vie, Tome 1, Editions Chora, p.157 A côté de l’insouciance d’un jeune de juste 18 ans, on peut y voir la liberté intérieure de quelqu’un qui n’a jamais consenti à l’absurde de l’hitlérisme et a toujours ressenti sa terre comme « occupée » par les nazis.
L’arrivée des Américains que la famille Raztinger voit comme des libérateurs, est tout de même synonyme d’arrestation du jeune homme, considéré comme soldat. Une captivité rude (pas d’abri, peu de nourriture) de 40 jours aura pour Joseph la saveur d’une sorte de « retraite » selon ses propres mots. Muni en tout et pour tout d’un cahier (il n’a malheureusement pas été retrouvé), il s’adonne à la méditation et à la prière après une période si agitée, et témoigne lui-même que ce fut une expérience spirituelle très profonde. Quelques temps après sa libération, c’est au tour de Georg de rentrer d’une captivité en Italie. Celui-ci, après avoir franchi le seuil de la maison familiale, se dirige vers le piano et se met à jouer le Te Deum auquel toute la famille se joint par un chant d’action de grâce pour la fin de la guerre et la joie d’être à nouveau réunis.