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Biographie de Joseph Ratzinger (2/3)

Ce n’est qu’en janvier 1946 que les frères Georg et Joseph effectuent leur entrée au séminaire de Munich-Freysing. La guerre ayant interrompu la formation des futurs prêtres, ils sont très nombreux (120) à se présenter pour cette rentrée historique. Au cœur d’une Allemagne exsangue, tant sur le plan matériel que spirituel, les jeunes hommes ont conscience de l’extrême nécessité de leur mission pour la reconstruction. L’Église catholique jouit d’une aura certaine en cette période d’après-guerre, apparaissant comme l’unique institution ayant résisté à l’idéologie nazie et ayant tenu bon malgré les nombreuses persécutions.

 

 

Les premiers mois au séminaire ont été d’une importance décisive pour Joseph Ratzinger, tant pour les rencontres qu’il y a fait que pour les premières lectures qui impriment une marque à sa pensée. Alfred Läpple, de quelques années sont ainé, perçoit bien vite les capacités exceptionnelles de ce jeune homme réservé qui vient lui demander des conseils de lecture. C’est d’ailleurs lui qui lui confiera son premier « travail » intellectuel en lui demandant de traduire un petit opuscule de St Thomas d’Aquin sur l’amour, ce qui lui donne l’occasion de découvrir la pensée de sainte Edith Stein (Thérèse Bénédicte a croce), intellectuelle juive convertie au catholicisme et devenue carmélite, morte à Auschwitz en 1943. Il lui met également entre les mains un livre qui le marque durablement « Bouleversement de la pensée » (Der Umbruch des Denkens 1936) de Theodor Steinbüchel. Ces premières années d’études sont aussi marquées par la découverte de ses grands maîtres à penser. « Catholicisme » d’Henri de Lubac fera l’effet d’un détonateur : « Avec de Lubac, qu’il décrit comme le théologien le plus important et le plus formateur pour lui (avec Hans Urs von Balthasar), il a connu la joie de voir le christianisme d’une manière nouvelle, plus large et même plus intégrée dans la vie moderne après les formulations quelque peu ressassées. » [1]Peter Seewald, Benoit XVI une vie, Tome 1, Editions Chora, p297 Ratzinger se passionne aussi pour la littérature (Herman Hesse, Bernanos), la philosophie (Martin Bubber), conscient que l’on comprend souvent mieux le monde à travers la littérature qu’en lisant les journaux. Il se passionne aussi pour l’œuvre de Romano Guardini, notamment son « Esprit de la liturgie » qui le marque tellement qu’il décidera 50 ans plus tard de rédiger un livre portant le même titre, en hommage à l’un de ses maîtres à penser. Mais la découverte certainement la plus importante de son temps de séminaire est Saint Augustin dont il se sentira extrêmement proche tout au long de sa vie et de son œuvre théologique : « Je l’ai reconnu presque immédiatement comme mon contemporain, comme une personnalité qui ne vient pas de loin et dont le contexte dans lequel il parlait n’était pas si différent ». [2]Peter Seewald, Benoit XVI une vie, Tome 1, Editions Chora, p.246

Le séminaire ne se déroule pas sans les difficultés et les questionnements inhérents à cette période de discernement sont parfois douloureux. Assez rapidement, Joseph Ratzinger reconnaît sa vocation à enseigner la théologie et à écrire, mais ayant à l’esprit le témoignage des Pères de l’Église, théologiens, hommes de prière et pasteurs à la fois, il comprend peu à peu que celle-ci doit avoir le sacerdoce pour fondement. C’est en juin 1951 que Joseph et Georg reçoivent l’ordination sacerdotale avec 41 autres candidats. Ils sont accueillis en triomphe par les fidèles chrétiens de leur village qui célèbrent les nouveaux clercs avec toute la pompe possible. Joseph se retrouve pendant quelques mois vicaire en campagne où il acquiert une précieuse expérience pastorale, notamment celle des funérailles qu’il célèbre en grand nombre. Puis, il est affecté dans une paroisse en banlieue de Munich auprès d’un curé pour lequel il aura une immense affection et admiration, voyant en lui l’image même du pasteur zélé pour ses brebis. A ses côtés il sillonne la paroisse et s’efforce de se donner à tous. Il lui est plus particulièrement confié l’accompagnement des jeunes et l’enseignement de la religion à l’école et connaît très rapidement un grand rayonnement.

Rapidement néanmoins, l’évêque lui demande de retourner au séminaire pour assurer les cours auprès des séminaristes, dont certains sont plus âgés que lui. A peine deux ans après son ordination, il achève son doctorat sur « Peuple et maison de Dieu dans la doctrine augustinienne de l’Église ». Ses études sur Augustin lui donnent l’occasion d’effectuer son premier voyage mémorable à Paris pour un colloque sur l’évêque d’Hippone. Il enchaîne assez rapidement avec un autre travail de taille, à savoir sa thèse d’habilitation à recevoir une chair d’enseignement à l’université, sur le thème : « Théologie de l’histoire chez Saint Bonaventure ». Et en 1957, il quitte le séminaire pour prendre la chair de théologie fondamentale à l’université de Munich. Très rapidement, les étudiants prennent conscience que ce professeur n’est pas comme les autres. Il déteint par son style, son intelligence exceptionnelle, son audace dans la façon d’aborder les sujets, tout en gardant une grande discrétion et une certaine timidité. Joseph Ratzinger acquiert peu à peu la conscience que ses dispositions intellectuelles et sa position désormais reconnue sur le plan académique, le destinent à quelque chose de plus. En 1958, il publie un article qui fera date dans la revue Hochland : « Les nouveaux païens et l’Église.» Il y décrit la situation des chrétiens de son temps qui, tout en appartenant encore formellement à l’Église catholique, vivent en réalité comme si Dieu n’existe pas. « Selon les statistiques religieuses, la vieille Europe est encore un continent presque entièrement chrétien. Or, dans ce domaine plus qu’ailleurs, chacun sait combien les statistiques sont trompeuses. Telle qu’elle apparaît, l’Église des temps modernes est essentiellement marquée par le fait même qu’elle est devenue, d’une manière toute nouvelle, une Église des païens et qu’elle le devient de plus en plus ; non pas, comme ce fut le cas jadis, une Église composée des païens devenus chrétiens, mais une Église de païens qui, s’ils se nomment encore chrétiens, sont en vérité devenus des païens (…) Le paganisme est aujourd’hui installé dans l’Église même, et c’est ce trait qui caractérise aussi bien l’Église de notre temps que le nouveau paganisme : il s’agit d’un paganisme à l’intérieur de l’Église et d’une Église au cœur de laquelle vit le paganisme. Aussi l’homme d’aujourd’hui peut-il présupposer, comme une évidence, l’incroyance de son voisin. » [3]Peter Seewald, Benoit XVI une vie, Tome 1, Editions Chora, p372-373 . Sa carrière universitaire l’emmènera de Munich à Bonn, puis à Münster, Tübingen enfin Ratisbonne, où il enseignera d’abord la théologie fondamentale puis la théologie dogmatique.

 

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A Bonn, un évènement contribuera grandement à faire connaître plus amplement Joseph Ratzinger. Après l’avoir écouté en conférence, son archevêque le cardinal Frings demande au théologien talentueux de préparer un discours que celui-ci doit tenir lors d’une réunion préparatoire au concile Vatican II à Gênes en 1961. L’enthousiasme suscité par ce discours prononcé par Frings mais signé de la main de Ratzinger, remonte jusqu’au pape Jean XXIII qui le remercie d’avoir si bien exprimé ce qu’il avait sur le cœur en convoquant le concile. Cet évènement finit de convaincre Frings d’inviter Ratzinger à l’accompagner à Rome. Il deviendra officiellement son expert théologique (peritus) lors de la deuxième session du concile, où il exercera par le truchement de son archevêque, dont l’autorité est reconnue par beaucoup dans l’Église, une influence décisive. Le concile est pour lui l’occasion de faire une expérience merveilleuse de la catholicité, de faire des rencontres mémorables avec de nombreux hommes d’Église, notamment avec Henri de Lubac, et d’offrir à l’assemblée universelle le fruit de ses nombreuses réflexions théologiques et pastorales (on retrouve sa marque en particulier dans le schéma sur la Révélation qui deviendra Dei Verbum). Joseph Ratzinger est désormais vu comme une figure de proue d’un mouvement réformateur. Mais les agitations sociales de l’époque et la couverture médiatique du concile distillent des idées erronées sur ce qui s’est véritablement passé et dit durant Vatican II, ce qui pousse le jeune théologien à prendre des positions de plus en plus réservées face à ce que beaucoup appellent « l’esprit du concile » qui est en réalité bien éloigné de ce sur quoi ont véritablement travaillé les pères conciliaires. « Il y a une différence importante entre ce que les Pères voulaient et ce qui a été transmis au public et qui a ensuite marqué la conscience générale. Les Pères voulaient un aggiornamento de la foi, mais pour pouvoir l’offrir à nouveau dans toute sa force. Au lieu de cela, on a eu l’impression que la réforme consistait simplement à lâcher du lest, à se simplifier la vie, de sorte qu’en réalité la réforme ne semblait pas consister en une radicalisation de la foi, mais en une sorte de dilution de celle-ci. » [4]Peter Seewald, Benoit XVI une vie, Tome 2, Editions Chora, p20

Certains de ses confrères théologiens n’hésitent pas à caricaturer les propos de Joseph Ratzinger et à lui fabriquer une image de rétrograde, ayant subitement reviré après avoir été chahuté par les étudiants à l’université. En réalité, Joseph Ratzinger n’a absolument pas déserté l’université et profite de cette tribune pour poursuivre son enseignement, affronter les questions du temps et déjouer les idéologies à la mode, à commencer par le marxisme qui s’est immiscé dans l’Église. C’est dans l’optique de défendre le véritable héritage du concile et de lutter contre l’affadissement de la théologie catholique qu’il fonde en 1970 la revue indépendante et auto-financée Communio avec Hans Urs von Balthasar et Henri de Lubac.

Lire aussi

Biographie de Joseph Ratzinger (1/3)

References

References
1 Peter Seewald, Benoit XVI une vie, Tome 1, Editions Chora, p297
2 Peter Seewald, Benoit XVI une vie, Tome 1, Editions Chora, p.246
3 Peter Seewald, Benoit XVI une vie, Tome 1, Editions Chora, p372-373
4 Peter Seewald, Benoit XVI une vie, Tome 2, Editions Chora, p20
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