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Rembrandt, disciple de Saint Jérôme?

Comme toujours, découvrir les oeuvres originales d’un peintre permet de vivre une véritable rencontre avec l’artiste lui-même, ce que la technologie visuelle la plus performante ne permet pas. À la découverte de l’exposition sur Rembrandt dont le Musée International de la Réforme à Genève fut à l’initiative, je ne m’attendais aucunement à vivre une véritale rencontre avec le Maître Hollandais, pourtant si fameux. Avant d’arrêter notre attention sur quelques unes de ces gravures, il nous a semblé opportun de redonner, ne serait-ce que brièvement, Rembrandt, sa vie et son oeuvre dans le contexte historique et religieux de son époque.

 

 

La vie de Rembrandt Harmenszoon van Rijn

Amsterdam, ville natale de Rembrandt, se convertit à la Réforme en 1578. En 1606/1607, Neeltgen (Cornelia) Willems. van Zuydtbroeck, fille de boulanger, catholique, ayant épousé le meunier Harmon Gerritsz Van Rijn, calviniste, donnent naissance à leur neuvième enfant, Rembrandt. En 1618, est lancée la première traduction de la Bible de l’Eglise réformée en néerlandais.

 

Buste d’homme en bonnet fourré: le père de Rembrandt. Rijksmuseum Amsterdam

 

La mère de Rembrandt assise près d’une table – Rijksmuseum Amsterdam

 

Dans ce contexte religieux mouvementé, on ne comprend pas encore pourquoi Rembrandt consacrera quatre vingt neufs estampes à des sujets religieux alors que les calvinistes rejettent toute représentation pieuse. Toutefois, les catholiques, bien qu’interdit d’exercer publiquement leur culte, représentent 20% de la société amstellodamoise. Les premiers maîtres de Rembrandt, Jacob Isaacsz van Swanenburgh et Pieter Lastman, sont tous deux catholiques. Veuf, il nouera deux relations successives avec les nourrices en charge de l’éducation de ses enfants. Cette situation intime lui vaudra d’être convoqué devant les tribunaux de la ville pour donner raison d’un tel désordre moral.

 

Rembrandt “aux trois moustaches”

 

Saint Jérôme au Musée International de la Réforme

Après avoir fait le tour des huitante gravures exposées dans le Musée International de la Réforme, un détail m’interroge: Rembrandt dédiera sept gravures à Saint Jérôme, pourquoi?

 

 

 

 

 

Qui est Saint Jérôme? Le premier traducteur de la Bible en latin, la Vulgate. En quoi être saint et traducteur est ce compatible? Traduire signifie communiquer au-delà du simple agencement des mots l’intention de l’auteur dans une langue la rendant accessible à un plus grand nombre. La traduction peut être formelle, voire esthétique, au point que le traducteur prenne la place de l’auteur. Par exemple en insistant sur un synonyme plus évocateur sur le côté moral ou esthétique ou théologique. La sainteté de Jérôme réside essentiellement dans le fait d’avoir réalisé l’œuvre d’un autre, dans le cas précis: Dieu lui-même, c’est à dire, le Père, le Christ, le Saint Esprit, et ceux dont l’autorité fut reconnue par l’Eglise, les Prophètes et les Saints. Luigi Giussani, dans une formule étonnante, dit que le sacrifice le plus grand qu’une personne peut être amenée à faire c’est celui de faire l’œuvre d’un autre. Considérant ainsi que Jérôme n’a pas été appelé par le Pape Damase Ier pour réaliser son oeuvre mais celle de Dieu et de l’Eglise. Dans ce sens, bien que la légende dorée semble indiquer autre chose sur la présence d’un lion aux pieds de Saint Jérôme, on pourrait penser qu’il s’agit soit d’une représentation à l’image des évangélistes (signe de la fidélité de Saint Jérôme aux auteurs des textes sacrés) soit de l’illustration d’un combat dans lequel le traducteur se trouve plongé. La sainteté de Jérôme réside dans une obéissance filiale à la tradition. Les estampes de Rembrandt ne représentent pas tant Jérôme, à moitié nu, comme un ermite du désert (Caravaggio), qu’en prière ou dans une profonde obscurité. Pour le maître hollandais, nous percevons une certaine insistance entre la mission de traduire la Bible et la vie de prière du saint, entre faire l’œuvre d’un autre et le combat spirituel qui en découle.

 

Saint Jérôme de Caravaggio

 

Autoportrait de Rembrandt

 

Un disciple de Saint Jérôme

Plus d’un millénaire après, dans un contexte religieux mouvementé, nous sommes émus, qu’un simple artiste, endetté, aux mœurs douteuses (il sera condamné pour concubinage), de culture protestante, dessine saint Jérôme si peu à la mode (l’actuelle étant l’interprétation subjective et affective, chaque lecteur étant sa propre autorité) , tandis que la Réforme lance la traduction en néerlandais, la Bible des États.  D’un côté vous avez un visage de l’autre les États (c’est à dire personne). Traduire signifie donc reprendre les premiers commentateurs des écritures afin de mieux saisir l’intention de la Parole de Dieu. C’est à dire se mettre à l’école de maîtres spirituels, du Magistère. Rembrandt affirme ainsi dans ces sept estampes, que son travail sur les thèmes religieux repose  sur un lien mystérieux entre Saint Jérôme et lui, sur un lien de maître à disciple.

La Vierge au Chat

Du cadre parfois extrêmement étroit des gravures de Rembrandt, les personnages représentées semblent être de chaire et d’os, vivants.  De la même manière que nous disons la parole de Dieu est vivante, les toutes petites et obscures gravures de Rembrandt le sont également. La matière des gravures ressemblent mystérieusement à celle de la Bible: noire et blanc. Un jeu d’ombre et de lumière, celle-ci se manifestant par une absence de traits, comme si l’intervention humaine devait s’effacer devant le Mystère.

Dans la Vierge au Chat, la tendresse de Marie avec son fils est à la fois tellement courante, commune et en même temps incarnant avec simplicité le Don de Dieu fait aux hommes: c’est dans la réalité de la vie des Hommes que Dieu a choisi de se révéler au monde et de commencer sa mission du salut en communiquant la force du simple amour.

 

 

Dans cette scène ordinaire, la Vierge Marie se penche sur son fils, exprimant à l’égard de son enfant une tendresse naturelle. Tandis que le chat à gauche joue avec le manteau de la Vierge, Saint Joseph derrière la fenêtre assiste depuis l’extérieur à cette communion comme s’il y fut invité et à la fois pas complètement. Les rayonnements entourant la tête de la mère et de l’enfant semble pourtant percer le vitrage comme pour communiquer au père chaste et bon le fruit d’un tel don. Saint Joseph à l’extérieur, le protecteur, est invité à s’arrêter dans sa mission de vigilance pour bénéficier des bienfaits de l’amour. Joseph se trouve placé dans le cadre de la fenêtre, la lumière vient à la fois de l’extérieur et de l’intérieur. De ce va et vient, le Père participe à la vie quotidienne de la Sainte Famille. Au coeur de la vie ordinaire d’une famille se manifeste l’extraordinaire: la Mère de Dieu se penche sur la deuxième Personne de la Sainte Trinité. Manifestation de l’amour divin dans les limites de l’espace et du temps et les dépassant à fois.

Nous percevons que la traduction de Saint Jérôme ou les gravures de Rembrandt sont habitées par une joyeuse liberté. La liberté des fils, des disciples authentiques du Christ. Plusieurs gravures représentent des scènes qui ne sont pas retransmises dans les Écritures. Comme si la fécondité de la mission de Saint Jérôme se prolongeait dans les gravures du maître hollandais. le Repos de Joseph et Marie lors de la fuite en Égypte, la Vierge au Chat, Jésus ramené du temple par ses parents, Jacob chérissant Benjamin ou la mort de la Vierge Marie, la circoncision dans l’étable… Des oeuvres qui semblent sortir du cadre de la traduction littérale, tout en lui faisant écho. Une plénitude dans la lettre qu’est l’Esprit ce que les commentateurs comme Saint Ambroise, Saint Augustin, Sain Thomas ou Adrienne von Speyr ont retransmis. Une porte ouverte sur la profondeur des Écritures.

 

 

 

 

Rembrandt est un commentateur picturale où chaque détail semble ne rien faire d’autre qu’exprimer l’Esprit qui habite la lettre, le même Esprit qui anima Saint Jérôme à traduire avec obéissance et amour (les deux étant inséparables) les Saintes Écritures.

 

 

Afin d’en savoir davantage sur l’exposition en cours au Musée International de la Réforme à Genève.  Les eaux-fortes de Rembrandt sur le thème de la Bible sont exposées jusqu’au 7 avril 2024.

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