Comme bien des écrivains de son temps, Camus n’adhère pas à la foi. Mais est-ce à dire pour autant qu’il n’a rien à transmettre aux chrétiens ? Aucunement, car tout en étant incroyant, son attitude face à l’idée de Dieu fut empreinte d’inquiétude ou de perplexité. [1]In article : N° 41, avril 2009Albert Camus et la question de Dieu, Un regard sur la crise du sens dans l’oeuvre camusienne – Rouhollah Hosseini
Ce bref dialogue de « La Peste », entre le Dr Rieux et Tarrou l’exprime clairement
– Croyez-vous en Dieu, docteur ?
La question était encore posée naturellement. Mais cette fois, Rieux hésita.
– Non, mais qu’est-ce que cela veut dire ? Je suis dans la nuit, et j’essaie d’y voir clair.
Tourmenté par la question du divin (Croire en Dieu … Mais qu’est-ce que cela veut dire ?) et par celle du mal (Je suis dans la nuit, et j’essaie d’y voir clair) Albert Camus parle aux chrétiens par ses attitudes, ses questionnements, ses écrits, sa vie et ses engagements.
Croire en Dieu … Mais qu’est-ce que cela veut dire ?
Cette question il se la posera régulièrement au long de sa vie et toujours avec sérieux, conscient comme il l’écrira dans « L’homme révolté » que « « (…) rien ne peut décourager l’appétit de la divinité au cœur de l’homme » [2]Albert Camus, L’homme révolté, Paris, Ed. Gallimard, 1951, p. 185 .
Dès le début de sa carrière d’écrivain, au moment où il n’a encore que 20 ans, Camus fait dire à un de ses personnages : « Tout à l’heure n’étais-je pas riche et de quelle richesse puisque je pouvais croire encore à un autre monde et combien meilleur. Mais voici que j’ai compris et que plus rien ne me reste que le présent (…)
Hélas, hélas, mon royaume est de ce monde « . Cette nostalgie pour la foi est caractéristique de l’esprit qui a subi les affres de la modernité ; c’est la nostalgie d’une divinité transcendantale inaccessible, avec laquelle aucune relation n’est plus possible. [3]Rouhollah Hosseini, ibid
Son questionnement, demeurera et s’intensifiera devant le problème du mal qui traverse toute son œuvre. Dieu garde silence : son absence devant la souffrance suscite beaucoup plus de questions qu’elle n’en résout.
Dans une conférence à des croyants il partagera « Nous sommes devant le mal. Et pour moi, il est vrai que je me sens un peu comme cet Augustin [Saint Augustin] d’avant le christianisme qui disait « Je cherchais d’où vient le mal et je n’en sortais pas ». [4]L’incroyant et les chrétiens, fragments exposé 1948, p.473 […] Je partage avec vous la même horreur du mal. Mais je ne partage pas votre espoir, et je continue à lutter contre cet univers où des enfants souffrent et meurent. [5]Ibid . p 471
Ce questionnement l’habitera toute sa vie. Face au mal, la réponse ne pouvant venir de l’indifférence, ni des idéologies qui conduisent à un surcroit d’aliénation, ni de Dieu qui n’existe pas, Albert Camus ne cessera de chercher un chemin.
Peut-on, loin du sacré, et de ses valeurs absolues, trouver la règle d’une conduite ? sera le sujet central de son essai « L’homme révolté ». C’est ce même questionnement traduit en d’autres termes que l’on retrouve dans la peste :
– En somme, dit Tarrou avec simplicité, ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment on devient un saint.
– Mais vous ne croyez pas en Dieu.
– Justement. Peut-on être un saint sans Dieu., c’est le seul problème concret que je connaisse aujourd’hui.
Je suis dans la nuit, et j’essaie d’y voir clair.
Camus est « dans la nuit » mais il cherche, il ne baisse pas les bras, il demeure toujours dans le drame, et il essaiera toujours « d’y voir clair ».
Ce qui le caractérise c’est cette recherche avec humilité, persévérance et honnêteté, dans une vraie liberté : « Est-ce qu’on peut faire le parti de ceux qui ne sont pas sûr d’avoir raison ? Ce serait le mien. Dans tous les cas, je n’insulte pas ceux qui ne sont pas avec moi. C’est ma seule originalité » [6]Trois interview p. 479 .
Il s’efforcera ainsi de maintenir un dialogue avec le christianisme qu’il connaissait bien pour l’avoir étudié avec beaucoup d’attention : son mémoire de maitrise en philosophie s’intitulait « Néoplatonisme et métaphysique chrétienne ».
Lors d’une conférence organisée à Paris par des religieuses, il débuta ainsi son exposé :
«Je veux déclarer encore que, ne me sentant en possession d’aucune vérité absolue et d’aucun message, je ne partirai jamais du principe que la vérité chrétienne est illusoire, mais seulement de ce fait que je n’ai pu y entrer. [7]Ibid p 470
« Que je n’ai pu y entrer… » par cette expression Albert Camus exprime bien sa posture : à la fois son incroyance et son présentiment du mystère de « la vérité chrétienne ».
Au moment de l’épuration en 1945, il prendra position contre François Mauriac qui en appelait à la miséricorde évangélique vis-à-vis des traitres. Camus, qui avait été résistant, et dont de nombreux amis furent torturés et tués sous l’occupation en appelait « non à la haine, mais à la justice » critiquant avec force la « faiblesse ». Cette polémique par articles interposés sera intense. Toutefois, trois ans après, durant cette même conférence auprès des chrétiens, il affirmera :
« Je puis témoigner cependant que malgré quelques excès de langage venus de François Mauriac, je n’ai jamais cessé de méditer ce qu’il disait. Au bout de cette réflexion, et je vous donne ainsi mon opinion sur l’utilité du dialogue Croyant-Incroyant, j’en suis venu à reconnaître en moi-même, et publiquement ici, que, pour le fond, et sur le point précis de notre controverse, M François Mauriac avait raison contre moi » [8]L’incroyant… p . 471 .
Ce que Camus dit aux chrétiens
Ce que Albert Camus rappelle aux baptisés, c’est qu’ils sont toujours appelés à chercher Dieu, sans jamais l’enfermer dans leurs cadres rassurants : « leurs » vérités ou « leurs » règles de vie. En ce sens le prix Nobel bouscule, provoque, questionne toutes tiédeurs, tout activisme aliénant et tout intellectualisme désincarné.
Cela nous rappelle que croire en Dieu, n’est pas adhérer à un système mais à une présence. C’est reconnaitre que la vie du baptisé est une participation à la vie de Dieu toujours nouvelle, que son existence est une vocation qui participe de la mission du Christ.
Et ce n’est pas là, le moindre des points sur lequel Albert Camus parle aux chrétiens. Au-delà des erreurs commises et de ses limites humaines, nous aimons regarder ce journaliste, cet artiste et écrivain comme un homme fidèle à sa mission auprès des hommes, reconnaissant que chacun porte en lui une vocation personnelle et universelle.
« Quand on a vu une seule fois le resplendissement du bonheur sur le visage d’un être que l’on aime, on sait qu’il ne peut pas y avoir d’autre vocation pour un homme que de susciter cette lumière sur les visages qui l’entourent…»
References
↑1 | In article : N° 41, avril 2009Albert Camus et la question de Dieu, Un regard sur la crise du sens dans l’oeuvre camusienne – Rouhollah Hosseini |
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↑2 | Albert Camus, L’homme révolté, Paris, Ed. Gallimard, 1951, p. 185 |
↑3 | Rouhollah Hosseini, ibid |
↑4 | L’incroyant et les chrétiens, fragments exposé 1948, p.473 |
↑5 | Ibid . p 471 |
↑6 | Trois interview p. 479 |
↑7 | Ibid p 470 |
↑8 | L’incroyant… p . 471 |