Guy de Buttet, bénévole à la Maison Médicale Jeanne Garnier, à Paris, répond à nos questions sur les soins palliatifs et l’accompagnement des personnes en fin de vie.
Comment avez-vous connu les soins palliatifs ?
J’ai commencé à connaître les soins palliatifs par une rencontre avec Marie-Sylvie Richard, médecin, Xavière, et alors médecin-chef à la Maison Médicale Jeanne Garnier, ainsi qu’enseignante au Centre Sèvres. C’était précisément lors d’un colloque organisé par le Département de Bioéthique de cette université jésuite. J’ai ensuite touché du doigt très concrètement la réalité des soins palliatifs en accompagnant un ami et collègue de travail, ainsi que sa famille, à Jeanne Garnier, jusqu’à son décès.
Quelle est la spécificité de ce genre de service ?
La « prise en soin » du malade dans toute sa singularité et dans toutes les dimensions de sa personne (physique bien sûr, mais aussi psychologique, sociale, spirituelle…) avec une attention et une délicatesse qui confinent à la tendresse.
À défaut d’ajouter beaucoup de jours à la vie, l’équipe très pluridisciplinaire s’ingénie à ajouter de la vie au temps qui reste à vivre, court et d’autant plus précieux.
Qu’est-ce qui vous a marqué à l’hôpital Jeanne Garnier ?
La bienveillance, la disponibilité, la bonne humeur, le rire et le sourire, le sens de l’accueil inconditionnel et de l’accompagnement des équipes soignantes et des bénévoles. Tout est fait pour prendre soin, respecter, apaiser, consoler, rejoindre la personne là où elle en est.
Pourquoi avez-vous eu envie de vous y investir ?
Moi-même survivant d’un grave cancer, j’ai éprouvé le besoin de « re-donner », comme une forme de reconnaissance, et l’idée m’a traversé – pour plus tard – de me proposer justement à cet endroit qui m’avait tant impressionné et apporté lors de la fin de vie de cet ami que je mentionnais plus haut. Je ne pouvais pas imaginer alors de seulement refermer ce chapitre d’expérience intense et n’y pas revenir. J’avais pu apercevoir le rôle des bénévoles, et j’avais intégré la conviction que cet accompagnement était consubstantiel au soin, et plus encore aux soins palliatifs.
Pouvez-vous nous partager quelques rencontres qui vont ont particulièrement marqué ?
Après Marie-Sylvie, déjà mentionnée, je mentionnerai l’accueil chaleureux, mais aussi professionnel et exigeant, de la Responsable des Bénévoles (c’est toujours une Xavière), puis les bénévoles formatrices qui ont assuré ma formation initiale (la seule bonne volonté ne suffit pas !), puis encore le bénévole très chevronné qui m’a servi de mentor pendant les mois où je l’ai accompagné « en double » et qui est resté un ami proche.
Ensuite, je soulignerai la place tellement importante de l’équipe, amicale, aidante, partageante, dont les profils différents sont unis par le même objectif et le même souci d’excellence (ce qui n’est plus le souci de performance ou d’utilité). Je mentionne volontiers encore la forte dimension d’équipe qui se forme avec les médecins et toute l’équipe soignante. Des trésors !
Enfin, je mentionnerai seulement quelques malades, tant il y a de rencontres fortes et assez inoubliables :
– Cette jeune femme qui se « dépréciait », ayant perdu l’estime de soi et se considérant comme une affreuse et inutile épave. C’est l’intérêt et le regard porté sur elle qui la rendait à son humanité, et même à quelques sourires. Quelle joie !
– Cette supérieure d’une congrégation qui confessait douloureusement l’audace qu’elle avait eu tout d’abord de s’affirmer forte, alors qu’elle devait éprouver progressivement et désormais humblement la vulnérabilité qui la gagnait.
– Cette avocate bouleversée, incapable d’entrer dans la chambre de sa maman pour un dernier adieu, mais qui a pu le faire accrochée à mon bras jusqu’au bout.
– Cette dame arrivée très vite auprès de sa maman proche de son dernier souffle, et qui me trouve au chevet de sa maman, dans la pénombre de la chambre. Surprise, troublée, elle crie « Ah, que faites-vous là ? » et je réponds doucement « Rien, je veille ». Et, toute émue, elle me tombe dans les bras.
– Et encore cet évêque admirable de sérénité, qui avec une pointe d’humour, dit « Soyez rassuré, ma foi est intacte, car je sais. Mais toutefois je ne connais pas, alors j’ai le droit d’être un petit peu inquiet ».
Quel est l’enjeu du développement de ce type de service ?
Il me semble voir là rien moins qu’un enjeu de civilisation. Tout un chacun aspire en réalité à une mort « digne » et apaisée, de sorte que les gouvernements et les députés n’ont cessé de mettre en avant le développement des soins palliatifs et les moyens nécessaires, mais depuis tant d’années presque rien de cela n’a été réalisé. Et voilà que des économies de moyens, des jeux de vocabulaire, de nouveaux pseudo-engagements en faveur de soins « d’accompagnement » se proposent de bouleverser non seulement les lois précédentes mal connues et mal appliquées (lois Léonetti et Clayes-Léonetti), mais toute la philosophie du soin et du respect de la vie. Les soins palliatifs dont je suis témoin direct font disparaître la quasi-totalité des demandes initiales d’euthanasie. Le vrai problème des souffrances « réfractaires » qui est mis en avant montre et confirme – hélas – que plus de la moitié des malades éligibles aux soins palliatifs en sont privés. Il est facile et bien malhonnête d’instrumentaliser cela au profit de solutions soi-disant « dignes ».
(Pardonnez un sentiment de colère, de sainte colère, sur ce sujet !)
Les photos illustrant cet article sont tirées du site internet de la Maison Médicale Jeanne Garnier