A l’occasion du 250ème anniversaire de la naissance du peintre Caspar David Friedrich, la Nationalgalerie de Berlin lui consacre une exposition intitulée Caspar David Friedrich. Paysages infinis.
Les paysages immenses de Caspar David Friedrich sont restés comme l’emblème du romantisme, mouvement qui se prolonge en musique et en littérature tout au long du XIXème siècle. Après une période classique où la raison et la mesure rendent l’expression artistique intelligible et accessible à la bourgeoisie, le romantisme exprime le sentiment et les passions du cœur de l’homme et met en valeur la nature et l’individu, dans sa solitude et sa quête d’infini, très bien mise en scène par Caspar David Friedrich dans ces personnages perdus devant l’infini de la mer, devant la majesté silencieuse des montagnes ou devant une mer de nuages.
Friedrich naît en 1774 à Greifswald, petite ville dans le nord de l’Allemagne. Le jeune garçon est confronté très jeune à la mort, d’abord de sa mère, puis de plusieurs de ses frères et sœurs. Les guerres napoléoniennes viennent apporter le culte de la raison et le nouveau droit européen. Elles laissent derrières elles désolation et ruines que Caspar David Friedrich se plaît à peindre. Le rêve d’un ordre fondé sur la raison a montré sa fausseté et sa cruauté. Le romantisme de Caspar David Friedrich se fonde sur un cœur blessé et épris d’infini, il exalte la palette des sentiments humains, le mystère et le fantastique, en cherchant l’évasion et le ravissement dans le rêve et la contemplation solitaire de la nature.
Après ses études à Copenhague, Friedrich ne connaît pas de succès immédiat et tombe dans une grave crise dépressive. Mais la roue tourne et il obtient un prix au concours de Weimar grâce à ses dessins. À cette occasion, il entre en contact avec Goethe, son aîné de 20 ans, dont les théories sur la couleur l’influencent. Avec le poète allemand, il approfondit la spiritualité et la mystique de la nature. Celle-ci n’est pas un objet mais une partenaire, tout y symbolise le divin : les montagnes sont des allégories de la foi, les rayons du soleil couchant symbolisent la fin des civilisations non-chrétiennes, les sapins représentent l’espérance du salut. Les contrastes violents entre des tonalités froides et les clairs-obscurs, l’exposition claire et les contours contrastés des tableaux de Friedrich mettent en relief l’aspect mélancolique, les sentiments de solitude et d’impuissance de l’homme face aux forces de la nature, que le peintre a voulu exprimer tout au long de son œuvre. Comme le dit Guardini, la mélancolie est « la douleur causée par l’enfantement de l’éternel dans l’homme ». « Le sens de l’homme est d’être une frontière vivante, d’assumer une telle vie située aux confins et de la supporter jusqu’au bout. C’est ainsi qu’il est dans la réalité, dégagé des prestiges d’une prétendue unité avec Dieu sans intermédiaire, aussi bien que de l’identité sans intermédiaire avec la nature. Il y a là, des deux côtés, un abîme, une coupure. Le chemin vers la nature est coupé parce que l’homme est responsable devant Dieu. Par là, tout son rapport avec la nature est soumis au regard de l’Esprit, au devoir de dignité qui renferme une responsabilité. Son chemin vers Dieu est coupé parce qu’il n’est qu’une créature et, pour cette raison, doit aller vers Dieu selon son essence, en cet acte qui est à la fois une séparation et une union : l’adoration et l’obéissance. Toute assertion sur Dieu qui ne peut aboutir à un acte d’adoration est fausse, et fausse également toute attitude envers Dieu qui ne peut prendre la forme de l’obéissance ». [1]Romano Guardini, De la mélancolie
Caspar David Friedrich voyage et séjourne notamment sur la côte baltique, ainsi que dans diverses régions montagneuses de l’Allemagne. Le romantisme marque aussi la naissance du nationalisme en réaction aux invasions et à l’universalisme de la raison. Friedrich refuse ainsi de quitter sa patrie pour honorer une invitation en Italie. La peinture, comme la littérature et la musique deviennent nationales, s’inspirant des thèmes, langues, poèmes et airs du pays.
Moine au bord de la mer (Mönch am Meer)
C’est la peinture la plus connue de Caspar David Friedrich. Elle forme un diptyque avec le tableau Abbaye dans la forêt de chênes . C’est avec ces deux œuvres que le peintre s’est fait connaître en 1810. Il y a toute une dimension auto-biographique dans ces tableaux qui expriment la solitude et la souffrance et l’esprit tourmenté de Friedrich et sa recherche d’une parole de consolation dans l’évangile de la nature. Présentés à l’exposition de l’Académie, ils furent acquis par le roi de Prusse Friedrich Wilhelm III. Moine au bord de la mer représente une figure humaine de dos, face à la mer et au ciel infinis, figure qui semble tout-à-fait perdue dans ce paysage sans limite, ineffable. Pour Caspar David Friedrich, originaire de la côte de la mer Baltique, les paysages marins sont primordiaux… On perçoit à la fois une immense solitude et le vide. L’auteur avait tout d’abord prévu de représenter de grands bateaux sur la mer, mais il a finalement décidé de laisser tomber le projet initial pour laisser la place au vide, pour un tableau plus épuré. Mais dans ce drame, il permet au ciel bleu de percer. Jusque dans ses tableaux les plus mélancoliques, il ne sombre jamais au désespoir, il y a toujours une lueur, une clarté… tout comme dans Abbaye dans la forêt de chênes, avec la représentation d’un cortège funèbre au milieu de chênes effeuillés et lugubres. Là aussi, une lumière ténue vient éclairer l’horizon.
La croix dans les montagnes (Das Kreuz am Gebirge)
Le dessin au sépia est réputé pour être le modèle de la peinture du même nom, aussi appelée Le Retable de Tetschen . A Noël 1808, Friedrich exposa le Retable dans son atelier. Cet événement déclencha un conflit devenu célèbre : la dispute de Ramdohr. La représentation du divin de Friedrich fut qualifiée d’inhabituelle. Il avait fait d’un paysage un retable, sur lequel le Christ était à peine visible, et fut vivement critiqué pour cela. Des amis artistes et des intellectuels le défendirent. Après la dispute, Caspar David Friedrich fut qualifié de « romantique ». Le Retable de Tetschen devint un exemple retentissant de nouvelles voies artistiques.
References
↑1 | Romano Guardini, De la mélancolie |
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