Home > Dossier Soins de Fin de Vie > Les soins palliatifs menacés par le projet de loi !

Les soins palliatifs menacés par le projet de loi !

Profondément choquée par le projet de loi présenté lundi dernier à l’Assemblée Nationale, Dr. Anne de la Tour, chef de service des soins palliatifs à la Maison Médicale Jeanne Garnier, exprime combien celui-ci trahit sa vocation de médecin, va à l’encontre de tous les efforts faits depuis 40 ans dans le domaine des soins palliatifs et met en danger beaucoup d’aspects de la société.

 

Dr. Anne de la Tour

Docteur, vous travaillez depuis 45 ans dans la relation avec les malades, et depuis 35 ans comme médecin en soins palliatifs. Que pensez-vous de ce projet de loi ?

Ce projet de loi est une trahison de l’État envers les soignants. J’ai travaillé 10 ans comme infirmière, puis 35 ans comme médecin en soins palliatifs. Et pour moi, ce projet de loi est une trahison d’abord parce qu’il mêle – dans le même texte de loi – les soins palliatifs et « l’aide à mourir », totalement contraire à la philosophie du soin que défendent les soins palliatifs. C’est pervers car ils utilisent le souhait unanime des français de voir se développer les soins palliatifs pour faire passer la possibilité – et même le devoir – pour les soignants de donner la mort. Or, pour développer les soins palliatifs, il n’y a pas besoin de loi ! Pour développer des « maisons d’accompagnement », il faut voter un budget dans un plan quinquennal ou autre, mais une loi n’est pas nécessaire ! D’ailleurs, les soins palliatifs se sont développés en France depuis 40 ans, en dépit de lois non suffisamment appliquées.

Ce projet de loi est également une trahison envers les malades, parce que le gouvernement est censé protéger la vie de ses citoyens et appuyer le travail des soignants pour qu’ils « soignent les malades ». Or, si cette loi passe, cela changera. Le gouvernement demande à ses soignants de donner la mort. Induire que provoquer la mort est possible dans le cadre du soin pervertit cette relation entre médecin et patients et les malades auront toujours la crainte que le médecin en face d’eux puisse provoquer leur mort…. Et ce, avec leur accord, certes, mais aussi sans leur accord, si jamais ils l’avaient demandé en étant conscients et qu’ils ne le sont plus. Or, qui sait ce qu’il se passe à ce moment-là ?

Que pensez-vous des mots choisis par le texte de loi : « aide à mourir » ?

Un enfant de primaire vous dirait lui-même que ces mots sont aberrants ! L’aide à mourir est ce que nous faisons depuis des années en soins palliatifs : nous accompagnons des patients jusqu’au bout de leur vie, en soulageant leurs souffrances. Or, ce dont parle ce texte est « une mort provoquée ». Ce qui serait demandé aux soignants est de proposer à un malade de se donner la mort ou d’être aidé par un tiers qui pourrait être un proche ou un médecin ou une infirmière. C’est une grande confusion qui est ainsi mise dans l’esprit des français !

Selon vous, pourquoi autant de français se sont prononcés en faveur de ce projet de loi ?

Il me semble tout à fait compréhensible que les sondages aient été favorables à cette loi, car lorsque l’on est bien portant, il est évident que l’on a peur de souffrir. De même, une personne qui vient d’apprendre qu’elle a une maladie incurable, quand elle reçoit ce couperet, peut facilement exprimer son souhait de mourir tout de suite. C’est une réaction naturelle. Mais en réalité, le patient s’adapte à sa maladie. La plupart des patients qui souffrent de cancer, notamment, et parce que le cancer devient de plus en plus une maladie chronique, s’habituent à vivre avec leur maladie, comme les diabétiques s’habituent à vivre avec leur maladie.

Et de fait, cette loi est une loi des lobbyistes et de la peur. Car nous avons tous en commun ces 3 peurs : peur d’être une charge pour sa famille, peur de souffrir, peur de la solitude. Ce sont ces peurs qui suscitent les demandes d’euthanasie. Mais une loi ne peut être la réponse à ces peurs ! Et une loi qui propose la mort encore moins ! Il y a d’autres réponses à ces peurs ! C’est ce que nous vivons tous les jours en soins palliatifs : l’accompagnement des malades !

Avez-vous déjà vu des patients souhaiter leur propre mort et changer d’avis en entrant en soins palliatifs ?

Bien sûr ! Beaucoup de patients changent d’avis. Moi, je les soigne et je le vois… Y compris des membres de l’Association du droit de mourir dans la dignité. Le dernier malade qui venait en demandant l’euthanasie, a finalement demandé une transfusion !

Un autre haut fonctionnaire d’État est également venu récemment chez nous, et avait d’abord voulu se rendre en Belgique pour se faire euthanasier. Mais il n’avait pas compris la possibilité que la loi de 2016 (sur la sédation profonde continue et maintenue jusqu’au décès) lui donnait. En effet, cette loi permet de mettre sous sédation un patient lorsque ses souffrances sont trop grandes, sans toutefois provoquer la mort. Le malade meurt de sa maladie. Et c’est très différent ! Comprenant que lorsqu’il dépendrait de sa ventilation et que cela deviendrait insupportable, il pourrait retirer sa ventilation et être endormi, cet homme a été très content d’être accueilli en soins palliatifs et est finalement décédé chez lui suite à une complication respiratoire, entouré de l’équipe de soins palliatifs d’urgence qui l’a sédaté.

Dans le texte de loi, Il est mentionné un « délit d’entrave ». Pouvez-vous nous en parler ?

Le délit d’entrave définit comme un délit toute influence d’un soignant sur un malade qui voudrait demander une mort provoquée et qui l’encourage à ne pas le faire. Pour moi, c’est d’une grande toxicité ! Car le dialogue avec un patient est toujours singulier et cette possibilité d’être condamné pour avoir peut-être encouragé le patient à choisir des soins palliatifs plutôt que la mort provoquée devient une épée de Damoclès sur la tête de tout médecin. Nous allons recevoir tous nos patients en ayant peur d’être ensuite condamné, peur qu’ils aillent parler à des journalistes et déformer nos propos ? Quelles preuves seront exigées ? Et à l’inverse, la notion de délit d’incitation n’a pas été retenue.

Quel est le constat dans des pays qui pratiquent déjà l’euthanasie depuis plusieurs années ? Est-ce que les soins palliatifs sont plus développés qu’ailleurs ?

C’est une idée complètement fausse que les soins palliatifs se développent plus dans les pays où l’euthanasie est pratiquée. Au contraire. Car les établissements de soins palliatifs dépendent aussi de leur pratique de l’euthanasie pour recevoir des subventions et ce sont vraiment deux pratiques de philosophies opposées.

Ce qui est sûr, c’est que le nombre d’euthanasies est en augmentation exponentielle. Au Canada, par exemple, où un médecin, qui était au départ pro-euthanasie, en est revenu en voyant les chiffres exploser : il pensait que le Canada arriverait à une soixantaine d’euthanasies par an. Or, on en est à 6000 euthanasies par an, seulement au Québec ! Car, à partir du moment où la mort provoquée est insidieusement amenée dans l’art du soin, tout est vérolé. Et l’idée contagieuse se diffuse que mourir est possible et provoquer la mort est possible. En devenant commune, cette idée se transforme en pression sur certains. Ceux que cela touche en premier, sont bien sûr, les personnes les plus vulnérables.

Dans le texte de loi, il est donné la possibilité à un « proche », sans qu’il soit précisé qui est considéré comme proche, de faire le geste de donner la mort. Quelle conséquence voyez-vous à cela ?

Cela va forcément entrainer des traumatismes familiaux, des secrets de famille qui vont être trop lourds à porter. La personne qui aura fait ce geste ne pourra pas s’en vanter longtemps et elle aura toute sa vie ce poids à porter. C’est bien trop lourd !

D’ailleurs, l’Etat demande aux médecins de faire ce geste de « mort provoquée », mais je ne vois pas pourquoi. Alors que notre vocation est de soigner, pourquoi nous est-il demander de tuer ? Pourquoi ne demanderait-on pas aux notaires, aux juges ou à d’autres professions ?

En quoi considérez-vous ce projet de loi comme un danger pour les futures générations ?

Pour moi, il est très grave de transmettre aux générations suivantes cette idée que provoquer la mort est possible et que demander la mort est possible. En faisant cela, nous offrons aux générations futures une société où tuer n’est plus un délit. Les jeunes auront dans leur entourage des personnes qui auront fait le geste d’injecter un produit létal chez un de leur proche ! C’est la valeur de la vie qui est en jeu : c’est comme si nous retirions la colonne vertébrale de la société ! Et sans colonne vertébrale, ou avec une scoliose, on ne peut marcher droit !

Pour nous, soignants, il est important de transmettre aux futures générations de soignants le flambeau : celui du souci pour les patients, notre passion pour les soigner, les soulager, les accompagner ! Déjà, nous sommes confrontés à une génération plus individualiste, ce n’est pas facile ! Mais si cette loi passe, cela changera profondément notre rôle même auprès du patient, et notre relation avec eux. Que pourrons-nous leur transmettre ? J’espère que le serment d’Hippocrate restera le serment d’Hippocrate. Nous devrons alors continuer à en parler et à le transmettre. Mais nous avons aussi besoin de former les nouvelles générations de soignants à soulager la douleur. Si l’on a recours trop facilement à l’alternative de la mort provoquée, la formation pour soulager la douleur sera-t-elle autant prise en compte ?

Et puis, cette loi est dangereuse non pas seulement pour les générations futures, mais dès maintenant. Car très rapidement, cela va aussi provoquer la culpabilité de vivre. Et c’est bien évidemment ce qui se passe déjà dans d’autres pays. Une personne dépendante va se sentir coupable de vivre et se sentir égoïste de ne pas demander la mort. Notre rôle comme soignant est de ne pas souscrire à cette peur qu’a la personne âgée d’être encore en vie, mais au contraire, de lui dire « on est avec vous ». Et c’est terrible de penser que l’État peut, avec une loi, arrêter ce soutien envers les plus fragiles.

En conclusion…

En conclusion, mon souci, comme médecin, est de ne pas abandonner mon malade. Et aujourd’hui, ce projet de loi me demande d’abandonner mon malade ou plutôt – comme je le dis à mon équipe -si inquiète -, il permet à nos malades de nous abandonner. C’est quelque chose de très grave dans le sens de notre métier et cela blesse profondément le corps médical. Notre rôle est de soigner, et de donner une pulsion de vie à nos patients pour tenir dans la maladie. Et j’aimerais pouvoir dire à mes petits-enfants un jour : « je n’ai jamais tué personne ! ». Il faut dire et redire que ce n’est pas parce que l’on a une maladie grave que l’on ne fait plus rien. Voyez le nombre de personnes qui ont une leucémie ou autre maladie incurable et qui font de grandes choses ! On n’est pas condamné parce que l’on a une maladie grave ! On est là pour vivre !

Site de la maison de soins Jeanne Garnier