Ces derniers mois, lors de mes visites à l’hôpital, j’ai fait une très belle rencontre. Cette amitié a grandi peu à peu, de visite en visite, de prière en prière et de silence en silence. Elle a laissé en moi une grande gratitude, la conscience d’avoir vécu des moments inhabituels, portants la marque divine : des moments sacrés. C’est pourquoi, j’aimerais vous la raconter.
Photo: © Presença e Amizade
Ce jour-là, comme à mon habitude, en sortant de l’ascenseur, je frappai au bureau du docteur, qui me conseilla d’aller visiter tel et tel patient. Parmi eux, une femme d’origine italienne, assez abattue par la maladie. Je me rendis dans sa chambre, elle était allongée dans le lit, près de la fenêtre. Anna. Je me présentai, et nous parlâmes un peu. Elle était assez fatiguée. Une femme simple, et pleine de bonté. Un cœur généreux. À la fin de la visite, je lui demandai si elle avait l’habitude de prier, et si elle voulait que nous priions un peu ensemble. Elle se mit à pleurer en me disant qu’elle n’avait plus prié depuis longtemps, qu’elle s’était beaucoup éloignée de Dieu par les épreuves de la vie, et de suite, m’interrogea avec une grande inquiétude : « Cette maladie, c’est une punition de Dieu ? ». Je la rassurai avec force. Elle me dit qu’elle voulait bien prier, et je l’aidai à s’assoir sur le bord du lit, où, côte à côte, nous priâmes ensemble le « Je vous salue Marie », confiant sa vie à la Madone.
Je revins la semaine suivante, avec une image de la Vierge, pour qu’elle ait à ses côtés le rappel de sa présence bienveillante et qu’elle puisse se tourner vers elle. Elle me dit qu’elle ne la voyait pas bien – la tumeur qu’elle avait au cerveau atteignait sa vision – et m’en demanda une plus grande. Je revins la fois d’après avec une image plus grande, que je trouvai encadrée sur sa table de nuit par les soins de son mari lors de ma visite suivante. Les personnes humbles ne méprisent pas les petits signes qui rapprochent de Dieu, que c’est beau.
À chaque visite, son mari, qui travaillait habituellement tout près d’elle, l’ordinateur posé sur la table près de la fenêtre, s’éclipsait avec pudeur, nous laissant parler et prier. Ce n’était jamais très long, car Anna se fatiguait vite. Petit à petit, je connus un peu mieux sa vie, sa famille, ses fils dont elle me parlait, et sa petite fille qu’elle chérissait tout particulièrement. Avec le temps, je voyais que l’important pour elle n’était pas tant que nous parlions, mais que nous puissions prier ensemble. Une fois que cela était fait, je pouvais partir.
Un jour, je la trouvai bien fatiguée, et elle me dit qu’elle ne se sentait pas capable de s’assoir pour prier. Je lui proposai de rester allongée, et de simplement s’unir à ma prière. Je me mis à chanter le Veni Sancte Spiritus, ce chant si beau qui manifeste l’œuvre de réparation et de vie que fait l’Esprit- Saint : « Lave ce qui est souillé, guéris ce qui est blessé, assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé… ». À la fin, elle s’exclama : « Ah, cela faisait longtemps que je n’avais pas prié comme cela ! » et s’émut, en me disant, « Je ne priais plus vous savez… ». « Anna, ce qui compte, c’est maintenant, c’est que la source de la prière a recommencé à couler en vous. C’est comme de l’eau, qui a recommencé à couler… ». Elle approuva avec la conviction de celle qui vient d’en faire l’expérience : « Oui, c’est comme de l’eau bien fraîche ! ».
Je dus m’absenter une dizaine de jours, et lors du passage d’un prêtre qui célébrait la messe dans la chapelle de l’hôpital, elle put recevoir le sacrement des malades.
Lorsque je revins, elle s’était beaucoup affaiblie. Sa chambre ne désemplissait pas de visites, elle était sous oxygène, de moins en moins consciente. Je rencontrai sa famille, ses enfants, ses amis. Je m’approchais alors simplement d’elle pour la saluer et prier brièvement en silence à ses côtés, puis sortais discrètement pour laisser sa famille être près d’elle.
Un jour, j’entrai dans sa chambre, elle était vide. Seule une aide-soignante la regardait, sur le pas de la porte et me fit comprendre que c’était la fin. Je lui fis signe que j’allais rester prier à ses côtés. Je m’approchai de Anna et je lui dis : « Anna, je crois que tous les membres de votre famille sont venus vous dire au-revoir, je vais prier, et si vous voulez, quand vous serez prête, vous pourrez partir. » Je m’assis à ses côtés et je lui pris la main, comme je l’avais si souvent fait ces dernières semaines. Elle me disait toujours que j’avais les mains froides, et qu’elle me les réchauffait. Je priai le chapelet, lentement, simplement. Le premier mystère pour remercier pour sa vie, le second, pour demander pardon pour ses fautes, le troisième, pour qu’elle puisse pardonner à une personne qui lui avait fait du mal, dont elle m’avait parlé, le quatrième, pour tous ceux qu’elle aimait, et le dernier, pour demander la grâce d’une bonne mort, que Marie l’accompagne dans son passage vers le Père. Puis j’invoquai tous les saints, et spécialement Saint Michel, et la bénis. Je m’assis de nouveau près d’elle, et sa respiration se fit de plus en plus lente. Elle était paisible et lumineuse. C’était un moment de grâce, si simple. Elle ne reprit plus sa respiration. Je restai près d’elle un moment en silence. Elle était passée de ce monde au Père.
Pouvoir être là, près d’elle à ce moment précis a été une grâce. Je ne peux qu’y reconnaître la main d’un plus Grand, qui avait tout guidé, et sa miséricorde, qui avait tout pris, et s’était manifestée pour elle de manière si concrète, et pour moi aussi. Je souris en pensant que, même en mourant, Anna m’avait réchauffé les mains, dernier acte d’amour…
Visiter Anna, visiter tous ces malades me fait souvent penser à la mort. C’est un moment à la fois simple et sacré, douloureux, mais grand, et beau. C’est un moment plein de grand silence. C’est finalement se remettre face à notre destinée, au Visage lumineux et mystérieux du Père.