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Bill Viola, Filmer l’au-delà

Le 12 juillet dernier, Bill Viola est mort à l’âge de 73 ans dans sa maison de Long Beach, en Californie. Au cours d’une carrière artistique de cinq décennies, ce pionnier des nouvelles technologies, a acquis une reconnaissance mondiale pour ses vidéos explorant sans relâche un mystère à la fois personnel et fondamental, universel : naissance, mort et résurrection.

 

Bill Viola

 

J’ai eu la joie de visiter le studio de Bill Viola à Long Beach, en Californie, en février 2016. Ou plutôt, leur studio. En effet, Bill Viola disait toujours « nous », « notre » lorsqu’il parlait de ses oeuvres, incluant sa partenaire Kira Perov, qui fut partie prenante de son œuvre, offrant à ses intuitions visionnaires le soutien de son intelligence pratique et circonspecte.

A mon arrivée, Bill et Kira avaient préparé un bol de fraises et un café. Nous avons visité le bureau de Bill et sa bibliothèque, qu’une belle icône de la Vierge à l’enfant protégeait de son regard maternel. Après la visite du studio, où je m’émerveillais des mécanismes en place pour filmer les véritables sons et lumières que sont chacune de ses œuvres, Bill Viola m’a conduit dans la salle de visionnage et, assis dans la salle obscure, nous avons regardé ensemble une de ses œuvres : Three women. Créée en 2008, cette vidéo est emblématique de l’œuvre et de la vie de son auteur.

 

 

Elle met en scène trois femmes : une mère et ses deux filles adolescentes. Elles sont filmées verticalement et, tout au moins au début de la vidéo, en noir et blanc. Entre ces trois femmes et la caméra (c’est-à-dire entre elles et nous) se trouve un rideau liquide si fin et si lisse qu’il est presque invisible. La mère, en premier, se dirige vers nous et passe au travers du rideau, émergeant de l’autre côté (donc de notre côté), trempée mais en couleur. Elle invite alors ses filles, l’une après l’autre, à faire le passage. L’utilisation du ralenti, en étirant le temps en direction de l’éternité, donne à cette scène une gravité solennelle et pour ainsi dire rituelle.

 

Bill Viola – Tristan’s Ascension

 

L’eau, comme symbole à la fois de mort et de vie, est omniprésente dans l’œuvre de Bill Viola. Dans The raft (2004), Bill Viola réimagine le radeau de la méduse en soumettant un groupe insouciant, qui semble dans l’attente désespérée d’un bus qui n’en finit pas d’arriver, à un jet d’eau si puissant que l’immobilité homogène du groupe est brisée en autant de mouvements que le groupe comprend d’individualités, filmées encore une fois au ralenti. Dans Tristan’s Ascension, Bill Viola inverse la force de gravité, et filme un corps laissé pour mort qui est soulevé de la pierre tombale dans une cataracte inversée, comme pluie torrentielle montant de la terre vers le ciel.

 

 

Bill Viola a compris la valeur symbolique de l’eau au cours d’une expérience traumatique, alors qu’il n’avait que six ans. Tombé dans un lac, il est sauvé in extremis de la noyade par son oncle qui vient à sa rescousse. Cependant, Bill Viola ne garde pas de cet effleurement de la mort un souvenir angoissant. Le monde dont il s’est approché, et qui reste pour toujours gravé dans sa mémoire, est un monde de lumière de couleur.

Il avait 18 ans lorsqu’en 1969 il voit pour la première fois, au cours d’une classe, une caméra en action. La lumière bleue qui en émanait lui rappelle l’expérience du lac. Ce n’est plus l’eau en tant que telle, mais un medium qui lui ressemble, le flot liquide et continu des électrons, qui lui ouvre à présent un monde de lumière et de couleur. Toute sa vie, il emploiera la vidéo pour sonder la profondeur de l’expérience qu’il a vécue à 6 ans.

 

Bill Viola – Three women

 

Eduqué dans la religion chrétienne, son œuvre emprunte souvent un langage explicitement religieux, comme c’est le cas dans son chef d’œuvre The greeting (1994), qui reconstitue la scène de la Visitation telle qu’elle fut peinte par Pontormo, ou encore dans la série des Martyrs (2014), dans lequel l’élément de l’eau est rejoint par l’air, la terre et le feu pour matérialiser cette force mystérieuse, la Grâce, qui à la fois nous secoue, nous dévore et nous purifie.

 

 

Les écrans vidéos, petits ou grands, ont aujourd’hui envahi notre vie quotidienne. Cette ubiquité ne rend pas l’œuvre de Bill Viola redondante, au contraire En en faisant le medium de son art, Bill Viola éduque notre rapport à l’écran. Il redresse l’écran horizontal, il le dresse à la verticale pour l’adapter à la personne humaine. Contre notre appétit insatiable d’action et de stimulation, il offre des vidéos lentes, où chaque geste, chaque regard acquiert un poids considérable. Contre la culture de l’immédiateté et de la satisfaction il offre une vision symbolique du monde, où la réalité matérielle est porteuse d’une signification métaphysique qui la pénètre et à la dépasse.

On pourrait presque dire que les vidéos de Bill Viola nous introduisent dans un espace liturgique. Bill Viola nous rappelle que cette vie et ce que nous appelons « réalité » ne sont que les prémices d’une vie et d’une réalité plus pleines. Le passage par l’eau, qu’elle soit douce comme un rideau de velours transparent ou violente comme le déluge, symbolise à la fois la naissance, la mort, et la résurrection. C’est le baptême, d’eau ou de feu, qui est mis en scène, inlassablement, dans l’œuvre de Bill Viola. Prions pour qu’il puisse à présent contempler dans l’au-delà la plénitude de la lumière et de couleur qu’il a entrevue, et qu’il nous fait entrevoir, ici-bas.

 

 

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