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Yasmina Khadra, Cœur d’Amande

Nestor, « Ness » pour les amis, est un personnage que l’on croirait tout droit sorti d’une chanson de Jacques Brel. C’est un paumé au grand cœur, un naufragé rêveur, tantôt tendre et tantôt boxeur. Faut dire qu’il en a pris, des coups, de l’indifférence de sa mère aux moqueries des passants anonymes. Ce n’est pas faute d’avoir voulu rendre coup pour coup, mais les siens sont sans grande conséquence. Car Nestor est nain.

 

 

Il a grandi à l’ombre du Sacré Cœur, à Barbès. Le quartier est peuplé de visages amis: Nicole, Kader, José La Tour, Grand frère Frédo, Diarra, Nanard, Adama… Peut-être est-ce par ce qu’il est lui-même familier de la souffrance, Nestor connaît leurs peines, leur histoire. Au sens propre comme au sens figuré, Nestor — qui tantôt considère sa condition avec humour et philosophie, tantôt cède à la rage et au ressentiment — ne regarde jamais personne de haut. Ce n’est pas « la vie » qui lui apprit ça, c’est « mamie », sa grand-mère Bernadette, avec qui il vit à Barbès. Autrefois, elle s’occupait de lui. Aujourd’hui, c’est lui qui s’occupe d’elle et qui lui rend amour pour amour. La première moitié de Cœur d’Amande, c’est une ode à la vieillesse, à l’amour d’une grand-mère et au dévouement reconnaissant d’un petit fils. C’est elle, mamie, qui est « l’amour de sa vie ». C’est pourquoi, lorsque la maladie d’Alzheimer commence à étendre sur elle son ombre et que sa fille, cette mère que Nestor appelle froidement Louise de Cahuzac, réapparaît soudain pour faire interner sa mère dans une maison spécialisée, le monde de Nestor s’apprête à basculer dans le néant. Séparé de celle qui fut l’ancre de sa vie, il part à la dérive. L’amour de la littérature, que sa grand-mère luí a légué, et son amitié naissante avec Léon, qui souffre du même handicap que lui, parviendront-ils à le sauver de ses démons : le cynisme et le ressentiment ?

Coeur d’Amande est le 29ème livre de Mohammed Moulessehoul. Né en Algérie, c’est au cours de sa carrière militaire qu’il commence à écrire sous le nom de son épouse, Yasmina Khadra, pour échapper à la censure à laquelle sont soumis les écrits de militaires. Elle dira à ce sujet : « Tu m’as donné ton nom pour la vie. Je te donne le mien pour la postérité ». Accédant au rang de commandant dans les années 90 il est engagé dans la lutte contre les djihadistes. Il s’exile avec sa famille au Mexique en l’an 2000 et s’installe en France en 2001. Là, il est enfin libre de révéler son identité et de se consacrer tout entier à l’écriture. De Barbès à la Roque-d’Anthéron, en Provence, Cœur d’Amande est une lettre d’amour à son pays d’adoption : ses rues, sa vie, son vin, ses écrivains… et par-dessus tout la liberté que la France lui a donnée. Sa plume témoigne également de son amour de la langue française : de l’argot des villes à celui des campagnes, du français de la rue à celui des émissions littéraires, il savoure les expressions et explore les possibilités de la langue française, n’hésitant pas pour cela à employer des mots rares ou peu usités. Enfin, dans le portrait qu’il dresse de « mamie », Bernadette de Cahuzac, l’écrivain blessé par le fondamentalisme musulman qui l’a forcé à l’exil ne cache pas son admiration pour la figure humble et paisible, forte et libre – en un mot, aimante – de cette femme chrétienne, façonnée par la prière, vivant à l’ombre du Sacré Cœur.

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