Les médias cultivent trop souvent un voyeurisme sordide et désespérant sur la violence, les abus. Loin de cacher la souffrance des victimes, le film « Je verrai toujours vos visages » de Jeanne Herry, sur la justice restaurative, nous invite à un regard plus profond qui n’exclut pas le long et dur chemin d’une vérité qui ouvre au pardon.
« C’est tout ce que notre époque déteste… Cela prend beaucoup de temps, beaucoup de gens, c’est incertain, ça ne correspond pas à tout le monde, on ne peut pas toujours dire combien de fois, ni jusqu’à quand…
Et lorsque vous raconterez, qu’à la fin des rencontres, les victimes faisaient des selfies avec les détenus, certains vous traiteront de naïfs, d’autres vous diront que ce que vous faites est magique, vous serez que ce n’était pas magique, c’était juste du travail ».
C’est par ces propos de Fanny lors d’une formation d’animateurs de rencontres condamnés-victimes et de médiations restauratives, que Jeanne Herry choisit de conclure son film « Je verrai toujours vos visages » sur la justice restaurative.
Ces mots résument la démarche de la jeune réalisatrice : nous faire partager une expérience puissante et profonde sans jamais vouloir l’expliquer, nous introduire dans une démarche qui bouscule nos concepts de justice sans chercher à la justifier. Ce film, qui n’est pas un documentaire, se veut une lumière sur ces rencontres qui visent à restaurer nos humanités blessées.
Il nous montre les rencontres entre des hommes condamnés et des victimes ainsi que toute la préparation à ces rendez-vous qui fait partie intégrante du processus des mesures restauratives, menée par Judith, Fanny et Michel. Nous suivons quatre victimes (Sabine, Grégoire, Nawelle et Chloé) concernées par diverses infractions : vol à l’arraché, cambriolage, braquage et viols incestueux respectivement. L’évolution des victimes s’accompagne de celle des coupables.
Des rencontres vraies et exigeantes…
Ce qui est au centre de la démarche et que le film révèle si bien ce sont les rencontres : « ce mot, ‘rencontre’, devient vite dominant lorsque l’on commence à s’intéresser à ce milieu » [1]Terrafemina, 12 septembre 2023. https://www.terrafemina.com/article/-reparer-les-uns-avec-les-autres-jeanne-herry-nous-dit-tout-sur-je-verrai-toujours-vos-visages-son-film-poignant_a369709/1
Lors de la formation des animateurs le ton est donné : « La justice restaurative c’est un sport de combat ». Cela demande du courage, pour les victimes, pour les détenus et les encadrants. « Tu dois être toi-même » insiste celui qui prépare les animateurs. Il ne s’agit plus de faire un métier, ni d’assimiler des techniques. Il y a une exigence de vérité et pour tout le monde. Les détenus, comme point de départ doivent, pour pouvoir participer, avoir nécessairement reconnu les faits qui leur sont reprochés. Mais au cours des rencontres ils sont provoqués à plus. Nassim qui raconte son « homejacking » se fait reprendre fermement par les victimes : « Tu dis tout le temps « on » : « on » les a interrogés, « on » les a bousculés, « on » leur a mis la pression … C’est qui « on » !!! C’est toi ??? Alors dit « Je » !!!! » « Toi Issa, tu te justifies tout le temps, c’est le quartier, c’est pôle emploi, c’est les copains…c’est jamais de ta faute ! » Les questions sont posées concrètement sur les faits et sur les pourquoi. Les victimes, de leur côté parlent de leurs peurs, de leur remords « je n’ai pas su protéger ma fille ce soir-là », des conséquences de leur agression : vulnérabilité, échecs, divorces, dépression grave, dégout d’eux-mêmes etc.
… et profondément humaines
Les masques tombent petit à petit, les choses sont dites : parfois brutalement, parfois paisiblement, le ton peut monter et se durcir, les regards se croisent, les silences sont aussi là, des pardons sont demandés quelques fois, des mercis évoqués épisodiquement : les émotions sont multiples contradictoires et changeantes.
Jeanne Herry nous dévoile peu à peu les cœurs des protagonistes (dans leur obscurité et leur beauté), et surtout elle nous révèle leur souffrance les plus profondes… Chacun librement commence à se reconnaitre dans cette réalité douloureuse de notre condition humaine pauvre et blessée. Grégoire victime d’un cambriolage qui après s’être emporter sur Issa, baisse les yeux, Nawelle qui se scandalise des coups reçus par le détenu dans sa jeunesse, Thomas le cambrioleur qui remonte le moral de Sabine qui pleure sur ses mensonges constants venant de son incapacité à sortir depuis qu’elle fut volée à l’arraché… Peu à peu l’autre ne devient pas si autre… il devient une personne qu’on pourrait connaître, aimer, et qu’on voudrait protéger.
Chloé qui dira de sa rencontre avec son demi-frère qui l’a abusé : « J’ai croisé le loup », utilisant volontairement une expression universelle. C’est d’ailleurs le titre qui avait été pensé originellement pour le film « J’AI CROISÉ LE LOUP. C’était une phrase que tout le monde pouvait partager. Les loups aussi ont croisé des loups, qui eux-mêmes… etc. » [2]https://medias.unifrance.org/medias/125/2/262781/presse/je-verrai-toujours-vos-visages-dossier-de-presse-francais.pdf
Mais cela sert à quoi ?
A certain moment de l’expérience, la question se repose : « Mais qu’est-ce que je fous ici ? » se demandera Grégoire irrité, dénonçant l’irresponsabilité d’un détenu. Difficile de répondre, car tout cela est vécu dans la gratuité, ce qui est probablement la dimension qui dérange le plus et qui est si présente dans le film.
La justice restaurative « est un dispositif basé sur le volontariat et la gratuité » répondra Michel au détenu Nassim qui se pose la question d’y participer. « Réparer les uns par les autres, avec les autres, grâce aux autres, si possible. C’est un processus, dont la finalité n’est pas certaine, car ce n’est pas magique, mais humain. C’est du boulot, c’est de l’effort, c’est fragile. » [3]Terrafemina, ibid commentera Jeanne Herry. Une gratuité présente dans ce qui est visé et dans le mode de vivre cette démarche, avec notamment la présence de deux bénévoles, Cyril et Yvette, qui ne sont présents lors des rencontres que pour « manifester que cette démarche est importante pour la société ». Ils sont là gratuitement, avec des plats qu’ils ont cuisinés pour tout le monde, pour parler éventuellement lors des pauses, pour vivre une rencontre en toute gratuité.
Le résultat n’est jamais assuré, mais lorsque lors de la dernière rencontre Nassim est interrogé sur son avenir, il répond très ému « Je ne crois pas que je pourrai récidiver, je verrai toujours vos visages ».
References