Le martyre du père Jacques

Le 26 juillet 2016, Adel Kermiche et Abdel Malik Petitjean, deux jihadistes de 19 ans qui se réclamaient du groupe Etat islamique (EI), entrent dans l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray en pleine messe et égorgent devant les paroissiens le prêtre Jacques Hamel, 85 ans. Les deux assaillants seront tués par la police.

Le Père Jacques Hamel

Le lendemain du drame, Cheyenne Marie Carron, cinéaste, se rend sur place, bouleversée par cet évènement. Elle prie. Lui est inspiré alors la réalisation d’un film. Sept années s’écouleront avant la sortie en salle de son film « Que notre joie demeure », retraçant le martyre du père Jacques. « Heureusement que je n’ai pas fait ce film trop tôt. Sinon il n’aurait pas été bon et vengeur. En prenant le temps, je me suis apaisée et je pense avoir trouvé un angle juste ».

Elle nous présente en effet un prêtre extrêmement simple. Les premières minutes nous font entrer dans l’épaisseur du quotidien de ce vieux prêtre. Il ne s’agit en aucun cas d’un héros, d’un charismatique, d’un prédicateur talentueux mais d’un petit prêtre de rien du tout, dont la vie frôle presque l’ennui. Cheyenne-Marie n’enjolive pas la situation bien qu’elle se permette quelques libertés afin de raconter une histoire, de nous introduire dans l’extrême banalité de la vie de ce prêtre et du cheminement du jeune Adel, récemment sorti de prison où il y a reçu un enseignement salafiste.

Cheyenne-Marie ne cède pas à une apologie de la foi catholique en utilisant le martyre du père Jacques, ni à un dualisme malsain dans une atmosphère polémique, ni à un mélodrame sentimental. Elle demeure sur la brèche d’une tragédie qui conduira Adel à l’absurde et le père Jacques au Mystère. Deux destins que tout semble opposer se retrouvent étroitement liés au pied de l’autel du Sacrifice de la Messe. Elle se maintient comme à distance, avec une très grande gratuité, une compassion pour ce prêtre, pour les paroissiens, et également pour ce jeune désœuvré.

Adel reçoit par sa mère une éducation représentant le symbole d’une intégration algérienne ayant, selon lui, tout abandonné pour adopter une culture étrangère. Sa sœur est tournée vers l’hindouisme. La figure paternelle est absente.

Dans ce contexte familial, le jeune Adel entretient une rancoeur, reçue en prison, contre ce qu’il nomme une traîtrise aux racines de son peuple, de sa culture pour une France des lumières leur ayant tout volé et continuant de les spolier. Alors qu’il se marie discrètement, par internet, avec une jeune musulmane habitant Marseille, il continue de se préparer au sacrifice de sa vie : il souhaite mourir martyre. Il attaquera demain et touchera le cœur du pays : une église.

Cheyenne-Marie filme avec proximité et pudeur. Tout les dialogues sonnent juste. Pas de mièvrerie. Un réalisme étonnant sans voyeurisme ni effusion de sang. Le drame se joue au cœur des acteurs dont le talent est hors du commun. Le martyre du père Jacques est exprimé ici avec une telle délicatesse cinématographique, au point de toucher le spectateur au cœur par la puissance du drame et la beauté du don désintéressé de la vie du père Jacques.

Le titre « Que notre joie demeure! » manifeste la foi et l’espérance enracinées de notre cinéaste talentueuse, dont elle dit elle-même qu’elles irriguent ses films. Cheyenne-Marie n’est reconnue par aucun de ses pairs et ne reçoit aucune subvention de l’Etat. Nous sommes très proches pourtant du style des Frères Dardenne. Le seul « souci »: la liberté de Cheyenne-Marie dans le choix des dialogues, des acteurs et du scénario, et là elle ne coche aucune case. Ce film est un véritable vent de liberté.

Une procédure de béatification du père Jacques Hamel a débuté le 10 avril 2019 avec la remise des actes de l’enquête diocésaine à la Congrégation pour la cause des saints, à Rome. La très probable reconnaissance du martyre du père Hamel le conduira, avec la grâce de Dieu, à être célébré sur les autels. Par son intercession, nous solliciterons un regain de foi, d’espérance et de charité. La Toute-Puissance de l’Amour se manifeste dans le témoignage de ce serviteur inutile. Le générique de fin donne la voix à un des membres ayant oeuvré activement au martyre du père Jacques, qui depuis sa prison remercie par écrit l’Eglise de lui avoir pardonné sa participation à ce meurtre, pour lequel il demande pardon.