Le centre Pompidou a une salle entière consacrée à l’artiste coréenne Bang Hai Ja, jusqu’au 9 Mars 2025. Pour ceux qui ne la connaissent pas encore, une visite s’impose!
Bang Hai Ja est née le 5 Juillet 1937 à Séoul, en Corée du Sud et est décédée le 15 Septembre 2022 à Aubenas, dans le sud de la France. Ce petit bout de femme est une grande artiste sur divers plans. Mêlant harmonieusement la beauté de sa culture coréenne à celle qu’elle a découvert en France, toute sa vie et son art ont été orientés dans une contemplation de la lumière, pleine de délicatesse et de profondeur.
Bang Hai Ja a reçu le prix de l’art sacré à l’Exposition Grand Prix International de Monaco en 1989. Elle a été décorée de la médaille de l’art de la ville de Montrouge, Grand Prix de peintre d’outre-mer en Corée en 2008, et a reçu l’Ordre des Arts et Lettres par le président de la Corée en 2010. En 2012, elle a reçu le Prix Culturel France-Corée et le Prix d’excellence de la culture et des arts de la Fondation Internationale des femmes coréennes en Roumanie. Ses œuvres ont été exposées en 2015-2016 au Musée Cernuschi lors de l’exposition « Séoul – Paris – Séoul ».
Enfance et jeunesse en Corée
Bang Hai Ja est née et a passé son enfance et sa jeunesse dans un petit village près de Séoul. Ses récits sur sa famille évoquent un monde harmonieux et proche de la nature, où sa mère apprend à danser et à chanter à ses enfants dans le jardin fleuri. La maman était calligraphe comme son propre grand-père qui partait, l’été, à travers la Corée, peindre d’extraordinaires paysages. L’hiver, quand la nature perd sa floraison, il fabriquait des orchidées de papier qu’il accrochait sur des branches dans sa chambre. Son enfance restera toute sa vie une source d’inspiration.
Élève à la faculté des Beaux-Arts de l’Université nationale de Séoul, sa santé fragile l’oblige à faire plusieurs séjours dans des monastères où elle s’entretient avec des maîtres bouddhistes.
Elle dit qu’elle doit, étant très jeune, la plus grande part de ses connaissances au sculpteur et historien d’art coréen, Yun Kyông Yol, qu’elle avait rencontré lors d’une visite avec un groupe d’élèves du lycée de Séoul. « C’est lui qui m’a fait saisir l’essence de l’art coréen » dit-elle. Elle est toujours restée fidèle à son exemple et à son enseignement à travers une longue correspondance. Elle a confié que « Chaque fois sa rencontre était une invitation à un voyage intérieur. Il m’a ouvert l’œil du cœur à la beauté … »
Venue en France
Suite la guerre de Corée (1950-1953) qui divise et meurtrit, dont elle dira «il n’y avait alors plus de lumière », en 1961, elle séjourne en France où elle s’établira plus tard. « Je suis venue à Paris attirée par une lumière, dit-elle. Partir c’était aller plus loin, plus au fond de soi-même …». Elle s’inscrit à l’Ecole des Beaux-Arts, apprend la peinture à l’huile et la fresque, s’initie à la gravure dans l’atelier Hayter où elle restera plusieurs années, l’icône à l’institut d’Etudes slaves de Meudon, et même le vitrail. Elle est insatiable parce que passionnée. Elle vit à Paris dans un foyer d’étudiantes où elle montre ses tableaux que remarque le critique Pierre Courthion : il s’enthousiasme pour ce langage nouveau venu de loin, et préface sa première exposition, en 1967.
Lorsque lors d’un entretien à la radio, plus tard, un journaliste lui demande si elle n’aurait pas pu s’accomplir aussi profondément dans son pays, elle répond : « Certainement oui, mais j’avais besoin de l’Occident pour compléter en moi le monde ».
En 1964, suite à une rencontre avec un prêtre qu’elle appréciait beaucoup, elle reçoit le baptême à l’église saint Sulpice et devient catholique. En 1968, avec son mari Alexandre Guillemoz, chercheur au CNRS, elle retourne en Corée où le couple reste huit ans. À son retour en France en 1976, la famille s’installe dans un hameau d’Ardèche. Dans son atelier, passionnée de musique, elle écoute Bach ou Mozart, Satie, Mahler ou Messiaen.
Lien à la matière
Elle se sert de papier coréen de feuilles et de plantes fait à la main, selon des traditions millénaires, par des moniales bouddhistes. On peut le froisser avec les doigts, le modeler. Elle emploie aussi du textile non tissé dit géotextile, dont elle apprécie la transparence. Bang Hai-Ja travaille à plat, sur le sol, peint avec la matière, non sur elle.
Pour calligraphier, elle emploie des pinceaux en poils de chèvre dont elle tient le manche en bambou entre le pouce et l’index, l’annulaire en bas. Elle fait aussi appel à la terre. Visitant la Provence en 1996, elle est subjuguée par les anciennes carrières d’ocre à ciel ouvert de Roussillon. Les vibrations colorées allant du gris à l’orangé la bouleversent et elle voit tout de suite comment intégrer cette matière et sa lumière, en y ajoutant d’autres pigments, à ses recherches colorées, leur donnant ainsi une énergie nouvelle. « Cette énergie m’a pénétrée jusqu’à la moindre de mes cellules » dira-t-elle.
Vitraux
Au cours d’un pèlerinage étudiant, elle découvre la cathédrale de Chartres. Elle est fascinée par les couleurs, la transparence des vitraux, l’atmosphère de l’édifice et le recueillement qu’il inspire. Elle dit elle-même que ses vitraux mêlent influences chrétiennes et bouddhistes, ce qui est unifié dans son cœur peut être ?
Le vitrail s’impose à elle tout naturellement, et les verriers des ateliers Peters l’accompagnent dans la réalisation des vitraux de Chartres. Bang Hai Ja ne les verra jamais installés : elle décède le 15 septembre 2022.
Lumière
Tout son travail est centré sur la lumière, une recherche permanente, qui au travers de son parcours de vie s’est approfondie. Elle est souvent citée comme une artiste empreinte de spiritualité. Mais dans une interview d’elle-même, déjà âgée, elle dit que c’est la matière qui la fascine et qui conduit à la spiritualité. « Je voudrais qu’à travers ces pigments, la matière devienne lumière, qu’elle puisse donner à celui qui regarde une énergie, un sourire intérieur ». Elle n’a cessé de mener cette quête de la lumière, à partir d’un savoir-faire traditionnel et virtuose, de l’emploi du célèbre papier coréen, d’une grande maîtrise de la calligraphie, tout en s’émerveillant pour le souffle présent dans l’art moderne occidental. Elle était également poète et la plupart de ses œuvres, notamment ses vitraux, sont associés à des poèmes qu’elle a composés. Elle parle aussi du jeu, du fait que la performance artistique est plus proche d’un jeu, qui comporte le sérieux des enfants quand ils jouent, et la légèreté de ceux qui se savent aimés gratuitement.