Ce samedi 19 avril, dans la nuit, nous avons célébré Pâques nous souvenant qu’il y a 20 ans le cardinal Ratzinger était élu 265° évêque de Rome, Pape de l’Église Catholique, après le long et merveilleux pontificat de Jean Paul II. Qui les cardinaux allaient élire après ce si grand pontife ? Tout le monde se posait la question. Leur choix fut, pour la très grande majorité de l’Eglise et du monde, une énorme surprise. Le cardinal Ratzinger était connu pour être réactionnaire et autoritaire et certains lui avaient donné le surnom de « Panzer cardinal » pour ses origines allemandes. Pourtant ceux qui connaissaient bien le cardinal avait rencontré sa douceur, sa bonté, son immense culture, sa capacité de dialogue et sa lucide opposition à toute sorte d’idéologie, surtout celles qui minèrent son pays, le nazisme et le communisme. La foi catholique profonde de ses parents les avait éloignés de tomber dans de telles horreurs. La foi, depuis petit, aura été le « détecteur de mensonge » dans un monde qui se laisse séduire si facilement par son « Prince » séducteur et trompeur. Elle sera son guide et son soutien et lui donnera une force et une stabilité tel un rocher dans une mer agitée par de terribles bourrasques, maintenant pendant plus de 30 ans la barque de Pierre à flot suivant cette image qu’il avait proposé peu de temps avant la mort de Jean Paul II lors du chemin de croix du vendredi saint de 2005 : « Souvent, Seigneur, ton Église nous semble une barque prête à couler, une barque qui prend l’eau de toute part. »
Le préfet de la Doctrine de la foi
En effet, le cardinal était connu (et redouté) pour être « le gardien de la foi ». Il l’aura été pendant 25 ans. Le pape Jean Paul II le nomma préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en novembre 1981. Il restera à ce poste clé jusqu’à son élection papale en 2005. En cette époque l’Église vivait l’une de ses heures les plus sombres. Le Concile Vatican II qui venait de se terminer depuis à peine 20 ans n’avait pas provoqué le « printemps de l’Église » tant attendu, mais son contraire. Une crise sans précédent mêlée à la crise sociétale occidentale de mai 68 provoquait la sortie du sacerdoce de milliers de prêtres, de sœurs et religieux de leur congrégation ; la messe était célébrée selon le nouveau missel mais très souvent avec des abus en tout genre et le maitre mot était d’être en rupture avec la foi, la doctrine, la discipline d’avant le Concile qui conduisait à des positions folles et une hémorragie de fidèles du giron de l’Eglises. « La rupture de la conscience historique, le renoncement masochiste au passé ont introduit l’idée d’une heure zéro à laquelle tout allait recommencer à neuf et où tout serait bien fait de ce qui jusqu’à présent avait été mal fait » [1]J. Ratzinger, les principes de la théologie catholique, TEQUI, p. 416 . Ainsi l’après concile fut-il une période de violent iconoclasme culturel, artistique, théologique, morale. Les autels et les saints sont brisés, les livres anciens et les vêtements liturgiques brulés en autodafé; on arrête les processions, les oratoires, les signes visibles comme la soutane et le voile sont jeté aux orties, l’ambiance des écoles et des universités catholiques sont sécularisées… dans l’espérance de vivre « l’exigence biblique fondamentale de la conversion et de l’amour du prochain » [2]Ibid, p. 415 mais oubliant qu’avant nous, nos parents aussi avait aimé authentiquement Dieu et leur prochain et que l’amour vrai nait de l’acte de foi sans compromission.
Avec Jean Paul II, le cardinal travailla sans relâche pour infuser dans l’Église une authentique interprétation du Concile. Il est très important de souligner que ces deux hommes n’ont jamais rejeter le Concile. « Le Concile est une Pentecôte » [3]Ibid, p. 411 écrivait Ratzinger et pour Jean Paul II : « Alors que le Jubilé est achevé, je sens plus que jamais le devoir d’indiquer le Concile comme la grande grâce dont l’Église a bénéficié au vingtième siècle: il nous offre une boussole fiable pour nous orienter sur le chemin du siècle qui commence » [4]Jean Paul II, Novo Millennio Ineunte, n. 57 . Il faut donc comprendre le travail théologique et pastoral de ces deux hommes à cette lumière. Leur œuvre est marquée par le Concile; le Concile est leur préoccupation comme pour Saint Athanase, saint Hilaire ou saint Robert Bellarmin. Il faut aussi comprendre Joseph Ratzinger en l’associant à l’œuvre colossale du pontificat de Jean Paul II. Sans ses clés de lecture la vie de Ratzinger serait une curiosité théologique parmi d’autres et non l’homme choisi par Dieu pour enseigner de façon authentique l’Eglise en ce début de III° millénaire.
Pour Ratzinger, il faut différencier l’interprétation mainstream faite au Concile selon laquelle il fallait se fier à un hypothétique et indéfinissable « esprit du Concile » et « à la dégradante obligation d’être de son temps » [5]Hannah Arendt suivant les modes successives ; à une interprétation autorisée c’est-à-dire ancrée dans les fondements des Saintes Écritures et de la Tradition. Une interprétation fidèle à la foi apostolique. Nous n’entrerons pas dans le thème de l’esprit du Concile, sa consistance ni ses enjeux mais force est de constater que le texte conciliaire Gaudium et spes qui invite au dialogue avec le monde a eu tendance à sanctifier « le monde », avec ses fameux « signes de temps » et ses « chrétiens anonymes » comme si ce monde caractérisé par les modes passagères devenait la référence première pour trouver la vérité [6]Cf. J. Ratzinger, Mon Concile Vatican II, p. 33-36 , peu importe si elle est changeante car il est bien entendu que le monde change continuellement.
Entre la foule de documents à notre disposition, deux me semblent importants pour comprendre le Concile correctement : le Catéchisme et « Dominus Jesus ». La grande œuvre de son service à la Doctrine de la foi sera l’extraordinaire « Catéchisme de l’Eglise Catholique ». Il ne l’a certainement pas écrit lui-même, mais il a guidé la commission de cardinaux et de théologiens en charge de ce pari fou d’écrire un résumé de la foi catholique. Le résultat est d’une grande richesse qui fait dialoguer les Conciles de tous les temps, les saints, les maitres spirituels… et les défis de l’Eglise d’aujourd’hui.
La Déclaration de foi « Dominus Jesus » publiée en plein Jubilée de l’an 2000 est un texte inespéré qui rappelle dans un monde d’un absolu relativisme que le Christ est l’unique sauveur des hommes et la Parole définitive et parfaite de Dieu de telle sorte que toute autre prophétie ou image de Dieu ne correspond pas à qui est Dieu réellement. Au Christ il fallait, selon ce texte, attacher l’Eglise, seul moyen du salut éternel. L’Eglise n’est pas le Christ mais elle est son corps et son épouse et sans elle on ne peut se sauver. Il rappelait enfin que cette Eglise était la seule Eglise Catholique gouvernée par le Pape et les évêques en communion avec lui. Ce texte fit l’effet d’une bombe et continue à être une pierre d’achoppement pour les tenants du relativisme théologique qui règne dans bien des universités catholiques du monde. Après avoir rappelé ces articles de foi essentiels, le texte explique quelle relation l’Eglise et tout chrétien doit avoir avec les autres communautés chrétiennes (orthodoxes, protestants…), ceci est l’œcuménisme sans confusion et les autres religions, ceci est le dialogue interreligieux. Pour Ratzinger, un vrai dialogue se fait toujours dans la charité et dans la vérité.
Ce qui est amusant avec un tel texte magistériel considéré comme réactionnaire, trahissant le Concile et ses avancées surtout en terme de charité avec ceux qui ne pensent pas comme nous, est qu’il est tout entier tissé de citations du Concile, citations qui sont mises en exergue pour être interprétées correctement comme cette fameuse déclaration de Lumen Gentium selon laquelle l’Eglise catholique est la seule vraie église : « c’est dans l’Église catholique qu’elle subsiste, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui » [7]n. 8 . Dominus Jesus et bien d’autres textes de Ratzinger insistent pour bien comprendre le verbe « subsister ». Il veut dire que l’Eglise maintenant n’est pas la somme de toutes les « églises » ou communautés chrétiennes rassemblées en fraternité dans la confession de Jésus Fils de Dieu. Mais c’est l’Eglise Catholique qui est seule légitime à réintégrer les frères qui se sont séparées d’elle, s’ils reviennent à la vraie foi comme ces communautés anglicanes lors du pontificat de Benoit XVI [8]Cf. Benoit XVI, Constitution Apostolique Anglicanorum Coetibus, 4 novembre 2009 .
Comment interpréter le Concile : l’herméneutique de la continuité
Une fois devenu Pape sous le nom de Benoit XVI, Ratzinger conceptualisa clairement cette interprétation fidèle de la foi après le Concile lors de son premier discours à la curie romaine comme pape :
« Pourquoi l’accueil du Concile, dans de grandes parties de l’Eglise, s’est-il jusqu’à présent déroulé de manière aussi difficile? Eh bien, tout dépend de la juste interprétation du Concile ou – comme nous le dirions aujourd’hui – de sa juste herméneutique, de la juste clef de lecture et d’application. Les problèmes de la réception sont nés du fait que deux herméneutiques contraires se sont trouvées confrontées et sont entrées en conflit. L’une a causé de la confusion, l’autre, silencieusement mais de manière toujours plus visible, a porté et porte des fruits. D’un côté, il existe une interprétation que je voudrais appeler « herméneutique de la discontinuité et de la rupture »; celle-ci a souvent pu compter sur la sympathie des mass media, et également d’une partie de la théologie moderne. D’autre part, il y a l' »herméneutique de la réforme », du renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Eglise, que le Seigneur nous a donné; c’est un sujet qui grandit dans le temps et qui se développe, restant cependant toujours le même, l’unique sujet du Peuple de Dieu en marche ».
Autre chose amusante chez Ratzinger – si tant est qu’on le juge ainsi – ce renouveau de la réforme dans la continuité qui lui est si chère et qui d’une certaine manière était le rêve des pères conciliaires et de Jean XXIII est arrivé bien souvent et essentiellement là où on ne l’attendait pas ! Pendant que des commissions et des réunions échafaudaient toutes sortes de nouvelles stratégies pseudo chrétiennes, naissaient dans l’ombre les Mouvements et Communautés Nouvelles, profondément enracinées dans la Tradition, dans la foi de toujours mais animées d’une nouveauté apostolique capable d’attirer de nombreux jeunes des nouvelles générations peu préoccupés de changer le monde mais amoureux du Christ et désireux de le vivre pleinement. « Il existe cependant, et heureusement, un espace intermédiaire où le renouveau conciliaire s’enracine, notamment avec les mouvements ecclésiaux (…) ce qui est décisif, c’est qu’il y est des hommes – des saints – qui, par un engagement de leur personne que nul ne peut leur imposer, créent quelque chose de vivant et de neuf » [9]J. Ratzinger, Mon Concile Vatican II, p. 32 ; cf. La foi chrétienne hier et aujourd’hui, cerf, p. VIII (préface pour l’édition de l’an 2000) ; les principes de la théologie catholique, p. … Continue reading .
References
↑1 | J. Ratzinger, les principes de la théologie catholique, TEQUI, p. 416 |
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↑2 | Ibid, p. 415 |
↑3 | Ibid, p. 411 |
↑4 | Jean Paul II, Novo Millennio Ineunte, n. 57 |
↑5 | Hannah Arendt |
↑6 | Cf. J. Ratzinger, Mon Concile Vatican II, p. 33-36 |
↑7 | n. 8 |
↑8 | Cf. Benoit XVI, Constitution Apostolique Anglicanorum Coetibus, 4 novembre 2009 |
↑9 | J. Ratzinger, Mon Concile Vatican II, p. 32 ; cf. La foi chrétienne hier et aujourd’hui, cerf, p. VIII (préface pour l’édition de l’an 2000) ; les principes de la théologie catholique, p. 422 |