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Dans les lieux déserts nous construirons avec de nouvelles briques

Ce titre choisi pour le meeting de Rimini (22-27 août) a donné l’occasion à Giorgia Meloni de commenter la poésie de T.S. Eliot à la lumière de son expérience politique.

 

Giorgia Meloni

 

Dans son poème « le Rocher » Eliot s’inspire de la divine comédie pour dépeindre la situation du monde sécularisé et laïc qui rejette l’Eglise. La force d’Eliot est de montrer que l’Eglise est d’autant plus rejetée qu’elle est elle-même pénétrée par l’esprit mondain et que les chrétiens se laissent prendre par le scepticisme et le matérialisme de la société. Le résultat de l’athéisme contemporain est de transformer l’homme en automate, en rouage d’un système anonyme, « tellement parfaits que plus personne n’aurait besoin d’être bon. »

Le discours de Meloni aux membres de Communion et Libération reprend les intuitions et les expressions d’Eliot pour montrer que l’action politique ne vise pas des systèmes où l’individu est noyé et condamné à la solitude et à la distraction, mais des communautés humaines où l’appartenance permet à chacun de déployer ses talents.

Lorsque l’Eglise s’affadit, elle n’offre plus une véritable appartenance, mais des idéaux abstraits et des valeurs mondaines. C’est ainsi qu’on risquerait aussi de comprendre le titre du meeting, comme si l’activisme permettait de reconstruire le Temple du monde. Georgia Meloni reprend intelligemment la phrase en définissant la personne comme le but de la construction : l’amour de la personne est le cœur de son engagement politique.

Ce discours vaut la peine d’être lu, car Meloni comprend et valorise l’héritage de Luigi Giussani et de son mouvement Communion et Libération. Giussani est sans doute l’un des chrétiens qui a le mieux compris l’importance de la présence chrétienne en politique, non pas pour défendre des valeurs ou des clans, mais pour faire naître des personnes libérées par leur appartenance vécue. Elle invite ainsi les membres de CL à être fidèles à leur charisme qui a suscité tant de dynamisme pour l’engagement des chrétiens en politique.

Traduction en francais :

C’est pour moi un plaisir et un honneur d’être ici avec vous aujourd’hui, car je suis convaincue que ce qui se passe chaque année dans ces pavillons est quelque chose d’extrêmement précieux. Et je sais bien ce que signifie organiser des événements de ce type : je suis personnellement témoin de tout le travail, de tous les sacrifices, de toute l’élaboration, de toute la dévotion qu’ils exigent. Et je confesse que j’ai toujours regardé le Meeting avec admiration, parce qu’il est la place du dialogue par excellence, comme l’indique le titre même de cette rencontre.

Il en a été ainsi même dans les années où la polarisation idéologique était plus marquée, même dans les années où il était plus difficile de dépasser les clivages pour parvenir au cœur des problèmes réels des personnes, des familles et des entreprises. Je lis chaque fois, dans les yeux, sur les visages, dans les bras des nombreux volontaires qui donnent vie à cette manifestation et qui choisissent de consacrer une partie de leur été – et pas seulement – à préparer cet événement, une passion que seul celui qui connaît le sens d’appartenance à une communauté peut reconnaître.

Sans les volontaires, tout simplement, le Meeting n’existerait pas, et je veux leur rendre ici mon applaudissement, car ils sont l’âme même de ce lieu, le feu qui alimente chaque édition, et ils sont objectivement un véritable spectacle.

« Dans les lieux déserts nous construirons avec des briques nouvelles. » Vous avez choisi pour cette édition cette splendide phrase de Thomas Stearns Eliot, un auteur qui m’est très cher, un chrétien, un conservateur, devenu une référence dans l’histoire de la littérature, jusqu’au prix Nobel en 1948. Dans les Chœurs du Rocher, Eliot raconte l’entreprise de quelques ouvriers chargés de construire une nouvelle église en terre hostile, l’une des nombreuses périphéries urbaines où l’Église est effacée d’un simple trait de plume. Les ouvriers rencontrent des imprévus, des difficultés de toutes sortes, mais ils ne se rendent pas et réussissent finalement dans leur entreprise. Construire une église dans ce désert, un lieu où les hommes sont réduits à des bouteilles vides, à des ruches sans miel, qui vivent peut-être tranquilles mais sans éprouver ni satiété ni désespoir. Un monde vaincu par le néant, où il n’y a pas de place pour une tension spirituelle, pour une aspiration verticale, habité par des individus anesthésiés, qui ne s’intéressent qu’à trouver un endroit pour pique-niquer, ou se perdre avec de puissantes voitures sur des routes secondaires.

Et ici je pourrais trouver des similitudes avec Atreyu, le garçon de L’Histoire sans fin qui lutte contre « le néant qui avance » et qui, comme on le sait, a joué un rôle important dans mon imaginaire culturel. Mais le point est que nous sommes face à une puissante métaphore de notre époque, une époque dans laquelle on voudrait tout uniformiser, transformer chacun de nous en consommateur parfait, un vide consigné qui peut être rempli de n’importe quoi, des individus sans identité, sans mémoire, sans appartenance nationale, familiale ou religieuse, des individus dont les désirs changent continuellement et qui donc n’aiment plus rien. Des individus en somme dans l’existence desquels il n’y a plus rien qui vaille la peine de s’engager, de construire ou de combattre. Les ouvriers d’Eliot font un choix différent.

J’ai compris l’exhortation que vous adressez à tous avec le titre de ce Meeting : nous sommes appelés, dans les déserts physiques et existentiels de notre temps, à suivre le même chemin que ces ouvriers. Et pour ceux qui, comme moi, portent la responsabilité du gouvernement, cette exhortation implique beaucoup de choses. Construire avec des briques nouvelles signifie comprendre l’époque dans laquelle on vit, savoir y faire descendre son propre système de valeurs. Cela signifie construire avec des briques capables de résister aux vents de cette époque, capables de résister à ses tempêtes. Cela signifie savoir agir avec des méthodes nouvelles, savoir franchir les nombreuses – trop nombreuses – zones marécageuses que l’on rencontre sur le parcours, surtout en Italie, où les meilleures intentions sont souvent freinées par des mécanismes bloqués, des processus lourds, des rentes de situation, des préjugés idéologiques.

Le champ dans lequel nous avons démontré vouloir nous tenir durant ces presque trois années à la tête de la Nation n’est pas celui des idéologies, ni celui des utopies, ni celui de ceux qui pensent qu’il est possible de modeler la réalité en fonction de leurs propres convictions. Le champ que nous avons choisi est celui du réel, car comme nous l’a enseigné Jean Guitton, « mille milliards d’idées ne valent pas une seule personne. Nous devons aimer les personnes : c’est pour elles qu’il faut vivre et mourir. » Voilà le champ dans lequel nous voulons jouer, en mettant dans nos décisions cette humanité, cette concrétude que seul celui qui ne perd pas le contact avec le monde réel peut démontrer.

Dans ces presque trois années, nous avons essayé d’apporter nos « briques nouvelles », nous en avons apporté dans la posture internationale de l’Italie. Vous savez combien d’énergies j’ai personnellement consacrées à ce que je considère comme une mission. Et cette mission est de faire en sorte que l’Italie retrouve la place qui lui revient dans le monde : forte, fière, franche, loyale, en un mot, autorisée. Et aujourd’hui je suis fière que l’Italie soit vue ainsi au niveau international, qu’elle ne soit plus considérée comme le grand malade de l’Europe, mais même comme un modèle de stabilité, de sérieux gouvernemental, que les investisseurs internationaux nous considèrent comme une nation sûre, au point que désormais les taux d’intérêt que nous payons sur notre dette soient alignés sur ceux d’un pays comme la France, que les institutions communautaires certifient que l’Italie est la première en Europe pour la mise en œuvre du PNRR, ou que la presse internationale, qui n’a jamais été particulièrement bienveillante à notre égard, soit souvent amenée à nous considérer comme une « anomalie positive ».

Je pourrais rappeler les nombreux prophètes de malheur qui désignaient précisément la politique étrangère comme le talon d’Achille éventuel d’un gouvernement Meloni, mais ce n’est pas cela qui m’intéresse ; ce qui m’importe davantage, c’est que beaucoup d’entre eux ont dû se confronter à une réalité différente, et je ne peux qu’espérer qu’au fond d’eux-mêmes ils soient tous heureux de s’être trompés. Et j’espère — mais nous devons aussi être honnêtes — et alors, pour dire la vérité, ce n’est pas grâce à moi ni au Gouvernement si l’Italie est aujourd’hui considérée comme une protagoniste. Nous n’avons rien fait d’autre que d’être conscients de ce que nous représentions : la grande Nation que nous avons l’honneur de diriger. Cette conscience est la seule véritable différence avec le passé, et c’est cette conscience que nous portons sur toutes les tables, à commencer par celles concernant les graves crises internationales que nous traversons.

(…)

 

 

Nous revendiquons le rôle pragmatique et constructif de l’Italie sur l’échiquier international et au sein de l’Union européenne. Une Union européenne qui semble de plus en plus condamnée à l’irrélevance géopolitique, incapable de répondre efficacement aux défis de compétitivité posés par la Chine et les États-Unis, comme l’a justement relevé Mario Draghi il y a quelques jours depuis cette tribune. Or, moi qui suis passée du statut d’“infréquentable” pour avoir placé mon parti dans l’opposition au gouvernement Draghi à celui de “draghiénne de fer”, je m’amuserai demain à lire les journaux pour comprendre dans quelle des deux cases on m’inscrira cette fois.

Mais en réalité, ce n’est pas cela qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse, ce sont les thèmes qui ont été posés. Ce qui m’intéresse, c’est de constater que beaucoup des critiques que j’ai entendues à l’égard de la condition actuelle de l’Union européenne, je les partage tellement que je les ai moi-même formulées à de nombreuses reprises au fil des années, et que j’ai pour cela été durement critiquée, y compris par beaucoup de ceux qui aujourd’hui s’applaudissent à tout rompre. Mais je savais que tôt ou tard tout le monde devrait se confronter à la réalité. Car cette phase d’immenses bouleversements — une phase où ont volé en éclats les paradigmes sur lesquels nous avons vu se construire l’Union européenne — et où des démocraties hésitantes, des autocraties cyniques nous défient chaque jour, nous offre, par paradoxe, une grande opportunité. Une opportunité que nous pouvons saisir seulement si l’Union européenne sera capable de redécouvrir son âme et ses racines. Oui, aussi celles culturelles, aussi celles religieuses, honteusement niées il y a des années. Tout simplement, parce que si tu ne sais pas qui tu es, tu ne peux pas non plus définir ton rôle dans le monde, ta mission dans l’histoire. La bureaucratie ne nous sortira pas de la tempête. La politique, elle, peut le faire.

Les réglementations ne nous rendront pas plus forts, les idées peuvent le faire. Les idéologies aveugles ne libéreront pas nos sociétés, mais les valeurs de référence appliquées à la réalité que nous vivons peuvent le faire. Toutefois, nous devons savoir que redevenir protagonistes de l’histoire et de son propre destin n’est ni facile, ni indolore, ni gratuit.

 

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