« Une goutte de positivité et ce pays explose de joie ! » me disait une amie en commentant les foules de gens qui se pressaient sur le bord de l’autostrade, drapeaux, banderoles ou poster en mains, pour attendre de voir passer la voiture du pape. « C’est impressionnant de voir la différence avec les visites des présidents des grands pays, pour lesquelles d’ailleurs personne ne se déplace. Avec le pape, il ne s’agit pas de politique, c’est différent » confiait une autre. Depuis plusieurs semaines déjà, toutes les routes reliant les différentes étapes retenues pour la visite papale ont été entièrement refaites d’un asphalte reluisant, puis couvertes de bannières aux couleurs du Liban et du Vatican. Le pays l’attendait, les souvenirs des visites de Jean-Paul II en 1997 et Benoit XVI en 2012 ayant laissé une trace profonde dans la mémoire de chaque famille. Deux jours fériés ont ainsi été décrétés pour permettre aux enfants de goûter à la joie d’accueillir le successeur de Pierre. De nombreux Libanais de la diaspora sont revenus pour l’occasion, tandis que des centaines de chrétiens ont laissé le mont Liban et la vallée de la Bekaa pour rejoindre la côte.

Les musulmans eux-mêmes ont pris part à la fête, la presse s’étonnant de voir des files de scouts affiliés au Hezbollah accompagner le cortège à la sortie de l’aéroport et tout au long de l’itinéraire qui traversait les quartiers chiites du sud de la capitale (où les images du papes avaient remplacé provisoirement les portraits de Hassan Nasrallah). Puis ce groupe de danseurs de dabké originaires de Baalbek, chiites eux-aussi, qui ont accueilli Léon XIV sous des trombes d’eau aux environs du palais présidentiel. Alors que les tensions géopolitiques régionales présagent le pire, et que le désespoir alourdit le cœur de beaucoup, le peuple libanais semblait impatient de faire une nouvelle expérience de communion sous le regard bienveillant d’un père. C’est finalement ce que beaucoup d’entre eux ont retenu de cette visite : l’attitude paternelle du pape, à la fois recueillie et pleine de compassion, qui valorise ce qu’ils sont et les encourage à persévérer malgré les épreuves. Sans oublier les magnifiques arcs en ciel qui ont régulièrement couronné le port de Beyrouth et qui paraissaient signaler à tous que ces journées était un moment de grâce. « On a tous pleuré ces deux jours qu’on aurait voulu élastiques » résume un chroniqueur.
Ce regard plein de positivité qui retient tout ce qui est bon, le souverain pontife l’a posé sur les Libanais dès son passage au palais présidentiel, le premier jour de sa visite : « outre les beautés naturelles et les richesses culturelles du Liban, déjà louées par tous mes prédécesseurs qui ont visité votre pays, une qualité resplendissante distingue les Libanais : vous êtes un peuple qui ne succombe pas, mais qui sait toujours renaître avec courage face aux épreuves. » Les jours suivants, il a saisi l’occasion de chacune de ses prises de parole pour valoriser un aspect de la culture libanaise, que ce soient la nourriture ou la musique, la danse ou la liturgie… Et bien sûr les saints, en se recueillant sur la tombe de Saint Charbel à Annaya, mais aussi en se rendant – première pour un pape – à l’hôpital psychiatrique Deir-el-Salib fondé par le Bienheureux Abouna Yaacoub. La mère Marie Makhlouf, supérieure des Sœurs franciscaines de la croix au service des malades, n’a pu retenir ses larmes en présentant au souverain pontife les difficultés financières de l’établissement et la beauté de leur mission. « Merci Sainteté parce que vous êtes un père pour les oubliés et les abandonnés [..] Soyez sûrs que nous prions avec vous notre Mère en disant à la Vierge : apprends-nous à être comme toi debout devant la croix face aux croix très nombreuses ». Quant aux patients, la plupart musulmans, ils exultaient de joie, certains d’entre eux ayant constitué un chœur pour accueillir leur hôte.

C’est aussi avec un regard plein de compassion pour les souffrances de son peuple que le pape est venu au pays des cèdres. Dans le sillage de Benoit XVI, le pape a plusieurs fois pleuré l’hémorragie de la jeunesse, pris en étau entre un profond attachement à sa terre et l’impossibilité de gagner sa vie convenablement dans un contexte de crise économique et de tensions politiques qui paraissent sans fin. La discrétion de Léon XIV, son regard et son écoute attentive n’ont pas tardé à conquérir les cœurs. « Par sa seule présence, il a unifié un peuple meurtri et lui a redonné l’espoir » écrit un journaliste. Myriam Nasr Schuman, directrice de l’Agenda culturel de Beyrouth renchérit : « Votre venue est une parenthèse qui nous apaise le temps de quelques heures, qui nous permet de laisser nos larmes couler devant tant de douleurs, tant d’épreuves, tant de tristesse. […] Merci pour ces quelques heures, merci pour ce baume. » Le sommet de sa visite fut peut-être ce moment de prière sur les lieux de l’explosion du port de Beyrouth, lorsqu’un silence impressionnant a tout à coup envahi l’esplanade où l’attendaient 150 000 personnes pour la messe finale. Beaucoup d’entre eux pleuraient en le voyant consoler les familles des victimes… « En demeurant avec Marie près de la croix de Jésus [1]cf. Jn 19, 25 , notre prière, pont invisible qui unit les cœurs, nous donne la force de continuer à espérer et à travailler, même lorsque le bruit des armes gronde aux alentours et que les exigences de la vie quotidienne deviennent un défi. […] Souvenons-nous que la Croix est notre première école, et que notre seul Maître est le Christ » déclarait le pape au sanctuaire Notre Dame du Liban à Harissa.
Le pape ne s’est pas gardé non plus de parler avec autorité, en recentrant le regard sur l’essentiel et en éduquant quand il le fallait. Aux jeunes réunis à Bkerké, naturellement soucieux de trouver des solutions humaines aux difficultés de la réalité libanaise, il a répondu magistralement : « Vous m’avez demandé où trouver le point d’ancrage pour persévérer dans l’engagement en faveur de la paix. Très chers amis, ce point d’ancrage ne peut être une idée, un contrat ou un principe moral. Le véritable principe d’une vie nouvelle c’est l’espérance qui vient d’en haut : c’est le Christ Lui-même ! Jésus est mort et ressuscité pour le salut de tous. Lui, le Vivant, est le fondement de notre confiance ; Il est le témoin de la miséricorde qui rachète le monde de tout mal. » Sans humilier ni dénigrer le désir des jeunes de faire le bien, le Saint Père les a exhorté à être « contemplatifs comme saint Charbel » avant de terminer son allocution par la prière de Saint François « Seigneur fais de moi un instrument de ta paix… ». De même lors de sa belle homélie de la messe finale, il a renouvelé cette invitation à l’ensemble du peuple libanais d’embrasser un regard d’émerveillement qui célèbre la beauté plutôt que de verser dans le désespoir : « La parole du Seigneur cependant nous invite à trouver des petites lumières qui brillent au cœur de la nuit pour nous ouvrir à la gratitude et pour nous engager ensemble en faveur de cette terre. »
References
| ↑1 | cf. Jn 19, 25 |
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