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Philippines : Quand la nature se déchaîne, une nation face à ses fragilités

À quelques semaines d’intervalle, l’île de Cebu, au cœur des Philippines, a été frappée par deux catastrophes naturelles majeures : un puissant tremblement de terre, puis un cyclone accompagné d’inondations meurtrières.

 

l’île de Cebu. Photo: Internet

 

Le typhon Tino a provoqué des pluies diluviennes et des inondations dévastatrices. Au moins 111 personnes ont perdu la vie, et plus de 32 000 familles ont été déplacées vers des centres d’évacuation. Les quartiers riverains ont été particulièrement touchés, avec de nombreuses maisons détruites et des infrastructures gravement endommagées, compliquant l’aide humanitaire. Ces inondations mettent en évidence la fragilité des infrastructures et le rôle crucial des flood control projects, qui, dans de nombreux cas, ont été mal exécutés ou corrompus, aggravant l’impact humain et matériel de la catastrophe. Mais, comme souvent dans ce pays où la nature est à la fois généreuse et sauvage, l’île se relève, panse ses blessures et reprend peu à peu vie.

Un pays magnifique… mais exposé

Archipel volcanique, les Philippines reposent sur des plaques sismiques instables, à l’origine de fréquents tremblements de terre. Plusieurs volcans restent en activité. À cela s’ajoute la position du pays sur la trajectoire des cyclones du Pacifique : une vingtaine de typhons chaque année, dont certains atteignent le niveau de super typhons. La beauté luxuriante du pays – soleil, pluie et forêts – coexiste avec cette réalité : la nature peut se montrer brutale et imprévisible.

Des catastrophes naturelles en plein scandale national

Ces événements surviennent dans un contexte particulier : le scandale des flood control projects, révélé en septembre dernier. Il a mis au jour un système massif de corruption dans l’attribution de projets censés limiter les inondations : chantiers inexistants, infrastructures de mauvaise qualité, surfacturations, rétrocommissions (estimées entre 25 à 30 %). Un scandale d’autant plus douloureux qu’il concerne des travaux destinés à protéger la population face aux catastrophes naturelles. Les Philippines figurent malheureusement parmi les nations les plus touchées par la corruption selon les classements internationaux. [1]Actuellement, selon Transparency International, elles sont classées 114ème sur 180 pays dans l’Indice de Perception de la Corruption (CPI), avec un score de 33/100, la moyenne mondiale étant de … Continue reading

 

Manifestations sur la Place Edsa – Manille

 

Un peuple discret, marqué par l’histoire

Ces révélations peuvent-elles provoquer un sursaut national ? Rien n’est moins sûr. Les Philippins sont peu enclins à descendre dans la rue. Les longues années de la dictature Marcos ont laissé des traces profondes : peur, habitude de subir, mais aussi un respect hiérarchique très enraciné. Contester ou protester n’est pas culturellement encouragé. La corruption finit par piéger tout le monde : chacun, d’une manière ou d’une autre, a déjà bénéficié ou accepté ce système, ce qui rend toute réforme intérieure encore plus difficile.

EDSA : une révolution qui a déçu

Le dernier grand élan populaire remonte à 1986, lors de la Révolution EDSA. À l’appel du cardinal Sin, des millions de Philippins se sont levés pacifiquement pour mettre fin à la dictature de Ferdinand Marcos, qui avait duré plus de vingt ans (1965-1986), appauvrissant le pays et le maintenant dans la terreur. Ce fut un moment lumineux de l’histoire du pays : un peuple se dressant pacifiquement, chapelets à la main. Après 20 ans de dictature, la démocratie était enfin rétablie et l’espoir immense. Cependant, l’arrivée au pouvoir de Corazon Aquino n’a pas tenu toutes ses promesses : son gouvernement fut lui-même secoué par des accusations de corruption, et surtout le système clientéliste et clanique est resté en place. Depuis, la liste des dirigeants impliqués dans des affaires de corruption ou d’abus est longue.

Terrain de jeu politique

Le président Marcos Junior, qui a révélé le scandale des flood control projects, affirme vouloir lutter contre la corruption. Il a nommé une commission indépendante pour enquêter, mais jusqu’ici aucune personnalité n’a été arrêtée ni mise en examen, la commission n’ayant par ailleurs pas de pouvoir judiciaire.

La sincérité de sa démarche peut être mise en doute, compte tenu du passé de sa famille, accusée de détournements massifs durant leur période au pouvoir. Certains de ses alliés politiques pourraient également être concernés.

Dans ce vide politique, l’opposition menée par la vice-présidente Sara Duterte tente de récupérer le scandale, jouant sur la tentation d’une réponse brutale. Depuis l’alliance électorale de 2023 entre les clans Marcos (Nord, Luzon) et Duterte (Sud, Mindanao), des tensions sont apparues, donnant l’impression d’une véritable guerre politique, notamment après l’arrestation et l’extradition controversée de l’ancien président Rodrigo Duterte, accusé par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité. [2]Rodrigo Duterte a été arrêté sur ordre du gouvernement Philippin et remis à la Cour Pénale International de La Haye le 13 mars 2025. Son procès est toujours en cours. Il est accusé de Crime … Continue reading

Malgré tout, la pression populaire reste forte pour que les investigations aboutissent concrètement. La question demeure : comment un vrai changement pourra-t-il advenir ?

 

Manifestations-Place Edsa, Manille

 

Le rôle de l’Église catholique

Un acteur clé dans ce combat est l’Église catholique. Depuis l’éclatement du scandale, certains leaders se montrent courageux et déterminés à promouvoir un véritable renouveau moral. Des figures comme le Cardinal Pablo David ont encouragé et accompagné divers rassemblements publics, notamment celui du 30 novembre. Il a appelé à un véritable « reset », une « remise à plat morale et spirituelle » : un changement de cœur et de conscience citoyenne, pour refuser l’indifférence et exiger la justice et la transparence. « Nous encourageons qu’une telle action continue soit menée à l’échelle nationale comme signe de notre unité… ».

Si un changement profond est indispensable au sein même des sphères du pouvoir, et si les responsables de ce désastre doivent être traduits en justice, il est tout aussi essentiel que ce renouveau s’opère au niveau de la société tout entière. Le cardinal exhorte les Philippins à refuser « le patronage, l’extravagance et le consumérisme insensé », et à embrasser « une vie de simplicité et de solidarité avec les pauvres ».

La pression de la rue continue de s’exercer sur les dirigeants pour que les responsables de ces scandales soient enfin amenés à rendre des comptes. Mais il apparaît de plus en plus clairement qu’un véritable changement, s’il advient, ne sera pas uniquement politique : il devra naître au cœur même de la société. Déjà, le courage de ces hommes et de ces femmes qui manifestent par leurs voix et leurs prières constitue un signe réel d’espérance pour le pays : l’indifférence n’a pas vaincu !

References

References
1 Actuellement, selon Transparency International, elles sont classées 114ème sur 180 pays dans l’Indice de Perception de la Corruption (CPI), avec un score de 33/100, la moyenne mondiale étant de 46/100
2 Rodrigo Duterte a été arrêté sur ordre du gouvernement Philippin et remis à la Cour Pénale International de La Haye le 13 mars 2025. Son procès est toujours en cours. Il est accusé de Crime contre l’Humanité dans le cadre de sa guerre contre la drogue alors qu’il était Maire de Davao puis Président de la République

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