de Raphaël Gaudriot 18 janvier 2013
Temps de lecture 7 mn
Le 12/12/2012, ce n'était pas l'explosion finale de la crise, mais le dîner culturel sur les issues possibles à la crise, qui a eu lieu à Paris avec Franck Margain, directeur à la Deutsche Bank.
Manhattan dans le noir après Sandy CC BY-ND Stefan Leijon
Cet homme de 50 ans, père de 4 enfants, a commencé par se présenter avec humour : « J'ai trois tares : je suis 1) banquier, 2) catholique pratiquant et 3) homme politique ! »
Il a d'abord parlé de la crise financière qui a explosé en 2008 et de ses causes profondes. Il a ensuite exposé ses propositions pour en sortir, fort de son expérience à ce haut poste de l'une des banques d'investissement les plus importantes au monde.
Pour redonner l'essentiel de ses propos, nous reprendrons des extraits du livre clair et profond qu'il a écrit cette année et qui est intitulé, « Sortir de la crise – Un banquier chrétien s'engage ».
Les causes de la crise et son enseignement
« Je me revois, la boule au ventre, assister à ce qui n'était pas la fin du monde, mais la fin d'un certain monde (…). Ce fût, rétrospectivement, la période la plus effroyable de ma carrière professionnelle (…). C'est l'annonce de la faillite de Lehman Brothers et la mise en place de toute une procédure de sauvegarde du système bancaire sans laquelle nous serions tous, aujourd'hui, à la soupe populaire car, qu'on le veuille ou non, dans une économie aussi financiarisée, la banque est le nerf de la guerre (…). Les banques, jusqu'ici arrogantes et invincibles, se révélaient être un géant aux pieds d'argile. »
« "Krisis" désigne le jugement. C'est aussi le crible permettant de rejeter ce qu'il convient de rejeter et de garder ce qui doit l'être. Les crises sont donc des moments de discernement. Précisément, de quoi la crise financière fut-elle le révélateur ? Des dérives d'un capitalisme dérégulé livré aux appétits de virtuoses de la finance dont le profit était devenu le seul et unique critère de l'action ; d'un système de production et d'échange qui ne reconnaissait pas d'autres normes que les lois du marché et estimait que c'est à ces dernières de décider in fine ce qui est bien ; de l'idée folle selon laquelle les marchés avaient toujours raison et ne devaient être contrariés par aucune intervention politique ; d'un capitalisme financier qui, en imposant sa logique à toute l'économie, l'avait perverti et qui avait soumis l'industrie aux exigences de la rentabilité financière à court terme, préférant financer le spéculateur plutôt que l'entrepreneur ; de l'aveuglement collectif qui a laissé les banques spéculer sur les marchés au lieu de faire leur métier qui consiste à mobiliser l'épargne au profit du développement économique ; de la folie enfin qui a présidé à la mise en place des systèmes de rémunérations incitant les opérateurs à prendre de plus en plus de risques inconsidérés. »
« Ce que la crise a révélé (…), c'est le règne du mercantilisme. L'invasion de l'économie signifie que tout se pèse et se compte, que le quantitatif et le rapport marchand s'introduisent dans tous les domaines de la vie, même affectif et sentimental, que le profit et les lois du marché sont considérés comme critères absolus au détriment de la dignité et du respect des personnes et des peuples. Autant dire que, de financière et économique, la crise est donc d'abord et avant tout une crise morale. Les dérives des banques et des traders fous, les agissements de Madoff ou de Kerviel, ont été rendus possibles sur la base d'une conception économique de l'être humain et d'un discours qui, élevant le marché au rang de réalité sacrée, a permis et justifié le sacrifice des vies humaines. De cela, la société entière est responsable. »
« Pour autant, il serait erroné de conclure, sur la base des dérives du système, à la condamnation pure et simple de ce dernier. "Le capitalisme est le plus mauvais système économique à l'exception de tous les autres" (Stephen Green). D'abord, il n'existe aucune alternative crédible au marché et il serait illusoire de ramener les pendules en arrière. Ensuite, le système a permis l'amélioration du niveau de vie, même si les écarts restent souvent choquants (…). Attention donc à ne pas se tromper de procès : la crise financière n'est pas celle du capitalisme. C'est la crise d'un système qui, en s'éloignant des valeurs fondamentales du capitalisme, en a trahi l'esprit, l'a dévoyé (…). »
« Le capitalisme n'est pas le court terme, mais la longue durée, l'accumulation du capital, la croissance à long terme. (…) Ce n'est pas l'irresponsabilité généralisée. C'est une éthique, une morale et des institutions. C'est cet esprit du capitalisme qu'il nous faut retrouver. Le capitalisme, donc, mais à condition de le réguler par de solides garde-fous et d'en moraliser les conduites. »
Les issues possibles à la crise
Franck Margain nous propose ensuite « quelques pistes susceptibles de remettre le capitalisme dans le droit chemin ».
« Il s'agit de "retrouver le sens de l'économie" que nous avons perdu. Ce ne sont plus les besoins des hommes qui orientent l'économie, mais leur solvabilité financière et la quête éperdue du profit. Il faut le reconnaître : nous sommes souvent possédés par cet argent que nous voulons à tout prix posséder. Or, faut-il rappeler que si l'argent permet de donner des prix, il n'est pas le bon étalon de la valeur de toute chose ? (…)
La seule question qui intéresse les hommes politiques est celle du taux de croissance. A mon sens, ce n'est pas la bonne. Voici les interrogations qu'il faudrait toujours avoir à l'esprit au moment de prendre des décisions : travailler, mais produire quoi ? Et au profit de qui ? Pour favoriser quel type de vie ? Quel type d'humanisation ? Ces questions engagent la qualité de vie et la destination des richesses et non seulement une vision quantitative de la croissance. Notre éthique a besoin de s'adosser à une conception de "l'homme intégral". Ce devrait être une tâche centrale des programmes de formation que d'aider les gens à comprendre cela.
Autre façon de prémunir le capitalisme de tous risques de dérives : promouvoir l'économie mutualiste. Les coopératives, mutuelles, associations ou fondations représentent 8% du PIB et 10% de l'emploi en France ; les 3/4 du système bancaire (CIC, Crédit Mutuel…).
La vraie différence avec les sociétés de capitaux réside dans l'appropriation du profit : dans une société de capitaux, les profits appartiennent intégralement aux actionnaires alors que dans une entreprise d'économie mutualiste, la part des profits qui revient aux adhérents ou aux sociétaires est plafonnée, voire inexistante. (…) La contrainte de rentabilité découle alors de la question : entreprendre, oui mais, pour qui ?
Autre différence : la double qualité des bénéficiaires. L'adhérent ou le sociétaire est en même temps client, ou utilisateur, ou producteur. Cet aspect est capital car c'est lui qui assure un alignement entre l'utilisateur et la gouvernance. Il y a une réelle cohésion et motivation dans une entreprise dont les salariés valident par le vote toutes les décisions stratégiques ; la capacité d'une mutuelle à adapter ses tarifs aux besoins réels plutôt qu'à accumuler des profits qu'elle ne pourrait de toute façon pas distribuer. (…)
Autre façon de réguler le capitalisme : favoriser l'avènement d'un tissu de PME où la dimension humaine joue un rôle capital, et où les salariés comprennent mieux le sens de leurs efforts, s'investissent avec plus d'ardeur mais aussi certainement de bonheur. (…) Il est temps de rattraper notre retard, notamment par rapport à notre voisin allemand. (…)
L'autre façon de moraliser l'économie de marché est de généraliser les initiatives que l'on classe habituellement dans le domaine de la responsabilité sociale des entreprises. Je pense à Danone et sa micro-usine dans le nord du Bangladesh. (….) C'est aussi avec ce type de projet de petite envergure que l'on pourra envisager l'avènement d'un tout nouveau type de marché à même de changer les fondements économiques du monde et de donner un visage plus fraternel à la mondialisation. »
Pour Franck Margain, un des remèdes à la crise est enfin d'arrêter la course au surendettement. « Les gouvernements doivent arrêter de se lancer dans des projets dont ils savent très bien à l'avance qu'ils ne seront absolument pas solvables, mais qu'ils veulent faire passer pour des raisons démagogiques ou idéologiques. »
Un regard d'espérance
Le regard de Franck Margain est très réaliste, tout en proposant des solutions concrètes pour sortir de cette crise, basées sur un regard profond sur l'Homme, un regard positif sur la réalité qui nous est donnée.
« La banque, le marché, le capitalisme et la mondialisation, ne sont pas ces monstres froids auxquels il convient d'imputer tous les maux. Le marché est simplement le lieu de la rencontre et de la demande, et spéculer étymologiquement, signifie prévoir l'avenir. A condition de les réguler, de leur donner un sens, de contenir leurs dérives par de solides garde-fous, à condition surtout de retrouver une vision du bien commun, je crois intimement à leurs vertus. »
« La crise n'est pas la conséquence logique d'un processus historique inévitable : elle est le fruit de notre volonté et le reflet de nos valeurs. Ce que la crise nous donne à lire n'est autre que l'image morale de nous-mêmes. (…)
Il convient donc de faire le deuil d'une certaine conception de la vie, de la société, de la production et d'oser imaginer un monde dans lequel le donné, à savoir l'humain, est plus important que le fabriqué. Le vrai développement d'une société ne dépend pas de sa croissance économique. Le désarroi qui touche les pays en récession montre bien que la richesse matérielle avait masqué l'absence de développement spirituel. (…)
Ainsi, plutôt que de dresser des scénarios noirs de sortie de crise, il m'apparaît plus urgent et pertinent de cultiver une vision de l'homme comme responsable, à travers son activité économique, de la vie économique et du vivre ensemble. Seule une telle vision nourrira l'espérance qui nous accompagnera au-delà de la crise actuelle qui est d'abord une crise du sens. Et si l'Occident ne décline pas, c'est précisément parce qu'il est enclin à espérer. »
Enfin un article de fond!
Oserait-on à therme sortir de la dictature de la croissance, pour privilégier la qualité de vie au niveau de vie? Le vivre ensemble à la réussite individuelle? et effectivement retrouver un idéal commun: n'ayons pas peur des mots: l'espérance!
merci de cette contribution intéressante Les mutuelles et coopératives sont une alternative en ce qu'elles ont en principe un plus grand souci du long terme mais elles sont aussi sujettes aux contraintes économiques et pour se développer ou survivre multiplient les alliances ou partenariats rentrant ainsi inévitablement dans la même logique que les sociétés avec actionnariat classique. Et les dérives existent aussi…Il eut été aussi intéressant d'étudier le modèle de certaines entrreprises où l'on privilégie le long terme en s'appuyant sur un actionnariat stable (l'air liquide par exemple)