Animatrice française à succès, Frédérique Bedos a quitté le petit écran pour raconter sur internet des histoires de héros anonymes. Des gens qui nous ressemblent, mais qui font bouger les choses. Et ça marche.
© Anne Gallot
Elle était la première animatrice française sur la chaîne musicale MTV. Le monde de Frédérique Bedos, c’était les projecteurs et les paillettes de la télévision. Après 18 ans de petit écran (sur France 2, M6 ou MCM), la présentatrice quitte la lumière des spots pour lancer sa propre émission sur internet, Projet Imagine, qu’elle qualifie de « média alternatif, utile et philanthropique ». Par le biais de moyens métrages, Frédérique Bedos dresse le portrait de héros anonymes qui, dans l’ombre, œuvrent pour les autres.
Son inspiration ? Ses parents, les premiers « héros » qu’elle a connus. Bénévoles pour Terre des hommes dans les années 1960, bouleversés par les enfants réputés « inadoptables » dont ils traitent les dossiers (handicapés, trop âgés, traumatisés, etc.), ils en adoptent… 18 ! Cette famille atypique, décrite comme accueillante (« Attention, chien gentil ! ») et joyeuse (« On n’avait pas le temps de se regarder le nombril »), a profondément marqué la journaliste. Elle désire transmettre aujourd’hui les valeurs qu’elle y a reçues. Frédérique Bedos était intervenante lors de la rencontre Nicolas et Dorothée de Flue, en décembre dernier à Saint-Maurice (Suisse).
Qu’est-ce qui vous a décidée à interrompre votre carrière pour lancer le Projet Imagine ?
Frédérique Bedos : Il y a 4 ans, j’ai eu comme un déclic et j’ai porté un regard critique sur le monde de la télévision : il y a une réelle détérioration de la qualité des programmes, et ce n’est pas du tout anodin. Beaucoup de patrons de chaînes minimisent en disant que ce n’est que du divertissement, que les gens ont le choix, qu’ils peuvent toujours zapper ; mais je crois que c’est faux. La puissance de feu des médias est devenue énorme. Il faut être un extraterrestre pour y échapper ! Et c’est encore plus vrai pour la télévision, qui pénètre l’intimité des foyers et qui marque les consciences par la force des images. A force de voir sans cesse le pire, avec des programmes cruels ou avilissants, les gens ont l’impression que le monde est moche et qu’il ne sert à rien de se lever de son fauteuil.
Et c’est là que vous avez réagi?
– C’est là que tout ce que j’avais vécu dans mon enfance est remonté à la surface. Mes compétences professionnelles, je voulais les mettre au service des valeurs d’amour et d’entraide que nous vivions à la maison. Je me suis dit que si on pouvait utiliser ne serait-ce qu’une toute petite parcelle de la puissance médiatique pour diffuser ce qui est le meilleur de nous, ça pourrait redynamiser l’espérance des gens.
Les médias sont généralement critiques et incisifs. Parler de ce qui va bien, n’est-ce pas un peu naïf ?
– Je ne fais pas le journal des bonnes nouvelles ! Je parle des problèmes, mais sous l’angle de ceux qui s’engagent pour les résoudre. Je parle de cette niaque qui nous fait nous battre même si nos épaules ne sont pas très larges. Les héros anonymes sont des gens qui nous ressemblent ! En voyant leur portrait, il y a un effet de miroir et on se dit : « Moi aussi je peux faire quelque chose ! ». Et donc là, on crée un média utile. Un média utile, c’est un média qui vous donne envie de vous lever et de participer au monde qui vous entoure.
« Utile », c’est un adjectif que vous revendiquez pour le Projet Imagine ?
– Parfaitement. Il ne s’agit pas d’oublier les problèmes et de jouer aux Bisounours ! D’ailleurs, nos héros ne sont pas des Bisounours. Décider d’aimer dans un monde qui prône autant l’individualisme, c’est véritablement héroïque.
Vous proposez ces émissions gratuitement sur internet. Quelles sont vos ressources financières ?
– Tout se fait grâce aux dons. En tant que professionnelle de la télévision, j’aurais pu proposer mon projet à M6 ou à France 2 ; peut-être même qu’ils auraient trouvé l’idée intéressante. Malheureusement, je connais le système de l’intérieur : le but de nos chaînes de télévision, c’est de vendre de la lessive et des voitures. Il aurait fallu que ça ressemble à ceci ou à cela, que ce soit découpé de manière à vendre, en définitive, de la lessive et des voitures ! Il fallait donc creuser un nouveau sillon, totalement indépendant.
Y a-t-il des bénévoles ?
– Oui. Du début à la fin, c’est un petit miracle ! De plus en plus de professionnels sont touchés par le projet et se manifestent. Caméramans, ingénieurs du son et monteurs viennent nous aider gratuitement. Pour moi c’est pareil, je ne me paie pas avec Projet Imagine, je travaille à côté, j’anime des tables rondes et des conférences un peu partout dans le monde pour gagner ma vie. Cela me fait deux temps pleins !
Recevez-vous des échos positifs de la part du public ?
– Je reçois régulièrement des mails de gens qui me disent : « Ça y est, je crois de nouveau en l’humanité » ! Je pense vraiment que le cynisme est devenu une arme de destruction massive. On nous fait croire qu’on vit dans un monde absurde. Cette illusion-là est en train de nous faire mourir à petit feu. Mais dès qu’on commence à se décentrer de soi-même et à regarder l’autre, on commence à aller mieux. Dans l’entraide, c’est d’abord soi qu’on sauve. Mais pour aller vers l’autre, il ne faut pas avoir peur. Et les médias jouent sur la peur.
Vous ne regrettez pas la carrière que vous avez laissée ?
– Dans mes émissions musicales en début de soirée, j’avais sept ou huit millions de téléspectateurs. Mais pour leur dire quoi ? Les gens qui me connaissaient avant ont eu l’impression qu’en partant je quittais la lumière. Mais c’est aujourd’hui que je travaille pour diffuser la lumière. Pour rappeler que nous sommes nés pour le meilleur !
Aller sur le site : http://www.leprojetimagine.com
Article paru dans l'Echo Magazine du 17 janvier 2013
Le 7 mars prochain, Frédérique Bedos sera l'invitée de Points-Coeur pour une table ronde à l'ONU (Genève). Elle parlera du rôle des médias dans la construction d'une culture des droits de l'Homme, et donnera également une conférence publique le 8 mars au soir à l'Université de Genève (information: contact.onu@pointscoeur.org)